
De quelles façons l’approche de la restauration hôtelière par un grand groupe comme Accor est-elle en train d’évoluer ?
Ian di Tullio – On est en train de casser les codes. Pendant longtemps, on a créé des « restaurants d’hôtel », essentiellement tournés vers la clientèle résidente. Ce vocabulaire doit disparaître selon moi. L’hypothèse d’une harmonisation entre la marque hôtelière et une enseigne de restauration – par exemple les Novotel Cafés ou les ibis Kitchen – ne fait plus sens. Ce que les gens recherchent aujourd’hui, ce n’est pas de la cohésion – ce modèle est cassé -, mais une expérience. Si on ouvre un restaurant dans un hôtel, c’est avant tout parce que son concept peut attirer la clientèle locale extérieure à l’hôtel, qu’il apporte de la vie à l’établissement, qu’il renforce son attractivité pour les voyageurs.
La restauration est donc vue comme un vecteur important pour la réussite d’un établissement ?
I. d. T. – Regardez ce qui s’est passé aux Etats-Unis il y a quelques années avec l’essor d’hôtels dits « lifestyle » : les gens voulaient être vus au bar, y dîner, quelquefois y dormir, d’où un impact positif sur le prix moyen des chambres. C’est la même chose pour les hôtels de SBE, et c’est une des raisons pour lesquelles Accor a souhaité investir dans ce groupe. Leurs resorts sont toujours pleins, avec de belles piscines, des bars et restaurants attractifs, des boîtes de nuit. Ce sont des lieux où vous pouvez passer des journées entières. Si on est capable de déployer cette perspective dans nos hôtels, leur fréquentation s’en ressentira d’autant.
Justement, la réouverture récente du Pullman Paris Montparnasse a vu l’intégration de certains concepts développés par SBE tels le fast food haut de gamme Umami Burger, le restaurant italien Fi’lia ou le Skybar. Pourquoi le choix de cet établissement ?
I. d. T. – Comme il accueille une large part de voyageurs étrangers, le Pullman Paris Montparnasse était le lieu parfait pour intégrer des concepts de marques à vocation internationale. Par exemple, certains clients ont déjà pu découvrir le restaurant italien Fi’lia au SLS de Dubaï, où ce concept plaît énormément. Aux Etats-Unis, à Los Angeles et Miami, SBE proposait déjà un super concept de bar en rooftop, tout à fait adapté pour Paris. D’autant que le rooftop du Pullman Paris Montparnasse est à taille humaine, cosy, avec une vue incroyable, pour de très belles expériences.
Pourquoi être allé chercher ces idées à l’extérieur ?
I. d. T. – Déjà, il faut remarquer qu’Accor est un des plus grands acteurs de la restauration avec 10 000 restaurants dans le monde – dont 960 en Europe du Sud et 800 en France – et autant de bars. La partie Food & Beverage génère 26% des revenus en Europe du Sud, ce qui la rend stratégique pour le groupe. La question est de savoir comment nous repensons la restauration, les bars, l’entertainment, pour créer des facteurs forts pour la mise en avant de nos hôtels. D’où cette idée d’aller chercher cette expertise chez SBE, mais aussi chez Paris Society, dont Accor est également actionnaire. Le Novotel Megève, ouvert l’été dernier, est à ce titre un autre bon exemple puisqu’il accueille une trattoria Bambini, sur le modèle du restaurant parisien au Palais de Tokyo, et le Piaf, un lieu de vie nocturne mêlant restaurant, bar à cocktails et boîte de nuit. D’où cette attractivité exceptionnelle que nous recherchons.

Votre stratégie se limite-t-elle aux concepts développés par SBE ou Paris Society ?
I. d. T. – Bien sûr, nous allons polliniser ces concepts à travers notre réseau d’hôtels. Mais nous pouvons aussi nous appuyer sur une douzaine de concepts conçus en interne comme Pia, axé sur l’Italie, ou Pimelo, d’inspiration californienne. Ce dernier a été créé à l’ibis Styles Toulouse Labège, dans une zone commerciale entre l’aéroport et la ville. Depuis, le chiffre d’affaires du restaurant a doublé. Notre responsabilité de franchiseur est de donner les moyens à nos hôteliers d’augmenter autant les revenus de l’hôtel que ceux de la restauration. Dans ce cadre, un peu comme nous avons pu le faire en matière de design, nous sommes en train de créer une banque de concepts que nos hôteliers pourront choisir en fonction de la clientèle de l’hôtel, de son tissu local, éventuellement de ce que proposent aussi les autres établissements du groupe dans la ville.
La question est de savoir comment nous repensons la restauration, les bars, l’entertainment, pour créer des facteurs forts pour la mise en avant de nos hôtels.
Ces concepts ont-ils vocation à être associés à une marque en particulier ?
I. d. T. – Au début, on a créé ces concepts en se disant qu’il en faudrait trois ou quatre pour l’hôtellerie économique et autant pour les établissements milieu de gamme. Mais on se rend compte qu’ils s’appliquent à l’intégralité de notre parc. Umami Burger en est un bon exemple. Qui, il y a dix ans, aurait dit qu’un Pullman accueillerait un restaurant de ce type ? Les gens auraient dit « non », ce n’est pas du standing d’un Pullman. D’autant qu’en Europe, la clientèle était beaucoup plus conservatrice à cet égard. Mais aujourd’hui, dans une même semaine, les clients peuvent adorer aller manger un burger gourmet et le lendemain aller dans un restaurant étoilé. Ce n’est plus aussi exclusif.
En parlant de restauration étoilée, on a pu voir récemment les cuisines d’un palace comme le Plaza Athénée passer des mains d’Alain Ducasse à celles de Jean Imbert. Vous êtes plutôt top chef ou chef star ?
I. d. T. – Ni tout l’un, ni tout l’autre, nous aimons bien les deux. Même s’ils représentent des coûts élevés en personnel et en équipements, les restaurants étoilés attirent toujours beaucoup de clients internationaux, que ce soit à Paris ou à Tokyo. En parallèle, un restaurant comme le Quindici au Novotel Vaugirard, créé par Denny Imbroisi (NDLR : un ancien candidat de l’émission de télévision), est plein midi et soir. C’est un de mes restaurants italiens préférés à Paris, ex aequo avec le Carpaccio au Royal Monceau. J’aimerais qu’à terme, nous ayons un bon équilibre entre ces chefs reconnus, les concepts apportés par SBE et Paris Society et ceux que nous créons de notre côté. Sans oublier aussi tous ces chefs internes au groupe comme Quentin Lechat, qui a commencé sa carrière au Novotel Les Halles et est aujourd’hui le chef pâtissier du Royal Monceau, ou ces chefs sélectionnés pour s’occuper de la restauration du pavillon de la France à l’exposition universelle de Dubaï. On en a beaucoup comme ça, de ces professionnels talentueux, mais on ne les mettait pas à l’honneur.
De quelles manières Accor entend-il asseoir sa réputation en tant qu’acteur d’importance dans le domaine de la restauration ?
I. d. T. – A mesure de l’avancée de tous nos concepts, ils vont gagner en visibilité, d’autant qu’en matière de médias sociaux, nous sommes très fortement montés en puissance pendant la crise. On va continuer à construire la notoriété d’Accor et de ALL – Accor Live Limitless, notre programme de fidélité, en tant qu’acteur de référence dans le domaine de la restauration. Récemment, nous étions par exemple le sponsor principal des Bocuse d’Or. Depuis peu, Mercure parraine aussi la nouvelle saison de l’émission Top Chef, qui a débuté le 16 février dernier. Un partenariat qui va beaucoup plus loin qu’une publicité, puisqu’on crée des animations dans les hôtels autour de cela, que ce soit des masterclass ou des repas à quatre mains avec un candidat et le chef d’un hôtel. A travers notre programme ALL, nos clients pourront aussi participer à ces événements. Tout cela montre que la marque Mercure évolue, qu’elle se modernise avec des concepts de restauration dans l’air du temps et d’inspiration locale.
Cet accent fort mis sur la restauration comporte-t-il aussi un volet digital ?
I. d. T. – En effet, nous avons récemment recréé une nouvelle plate-forme de restauration, le site restaurantsandbars.accor.com, qui met à l’honneur une sélection de 200 adresses en France, Espagne et Italie. Pendant longtemps, nous avions un site dédié à la restauration, mais qui donnait surtout des informations, sans solution de réservation. Avec cette nouvelle plate-forme, les voyageurs peuvent choisir les restaurants selon leurs envies et y réserver une table. En parallèle, cela permet aussi à nos hôteliers de reprendre la main sur leur base clients face à des sites de réservation en ligne.
En ce qui concerne les habitudes de la clientèle, observez-vous un impact du télétravail sur la fréquentation de vos restaurants ?
I. d. T. – Oui, cela a changé la consommation des restaurants positionnés sur une clientèle d’affaires, avec une concentration plus forte sur le coeur de semaine, alors que les lundis et vendredis, les jours majoritairement consacrés au télétravail, c’est généralement plus tranquille. Ceci étant, en contrepartie, la fréquentation des restaurants loisirs a explosé. Dès les déconfinements, nous avons vu une augmentation incroyable des visites au restaurant. L’appétit pour les expériences authentiques et conviviales est plus que jamais au rendez-vous en 2022 !