Business – Les belles façons du Soleil Levant

Quelques notions de savoir-vivre et deux mots de japonais pour réussir ses négociations.

Jusqu’à quel point peut-on attendre d’un voyageur d’affaires occidental qu’il se conforme à l’étiquette japonaise ? L’évaluation est difficile, tant il est quasiment impossible de suivre le savoir-vivre nippon dans son intégralité. Si les manquements sont pardonnés, s’efforcer cependant d’appliquer quelques règles de base sera toujours très apprécié. “Les Japonais sont des gens tolérants. Ils comprennent qu’on ne sache pas tout”, affirme Sahé Cibot, spécialiste des relations franco-japonaises. Née en France de père français et de mère japonaise, elle a su naviguer très tôt entre les deux cultures. “Il est bien de connaître quelques mots comme ’hajimemashite’, ce qui veut dire ’enchanté’, ou ’arigatô-gozaimasu’, ’merci’ en japonais. Bien sûr, parler couramment impressionnera ses interlocuteurs”, remarque-t-elle.

Avec des règles de savoir-vivre aussi nombreuses que subtiles, la psychologie nippone n’est pas immédiatement accessible aux Occidentaux. Conscients de cette complexité, les Japonais tolèrent les impairs de leurs visiteurs. À condition de respecter quelques bonnes manières élémentaires comme l’exactitude, la courtoisie et l’écoute de l’autre.

Lost in translation

Cependant, dans la plupart des cas, l’aide d’un interprète est une bonne chose, car il jouera de diplomatie pour lisser les aspérités d’une conversation et atténuer les humeurs et les agacements des uns et des autres. “Parfois, des signatures de contrats n’ont pas lieu à cause d’une mauvaise compréhension liée à une différence culturelle, et non aux termes du contrat lui-même”, assure Sahé Cibot. Côté savoir-vivre, il est recommandé d’inviter un interlocuteur japonais dans un restaurant français ou européen, car il est important de partager sa culture, mais aussi de maîtriser une situation.

Cela fait partie de la négociation qui, au Japon, se déroule en deux temps. D’abord de manière très formelle, dans les locaux d’une entreprise, où l’on parlera uniquement d’affaires, puis dans un contexte plus détendu, afin d’apprendre à se connaître et évoquer des projets personnels relevant parfois de la vie privée. Autrefois, on se retrouvait dans les onsen, les bains traditionnels, mais cela implique une séparation homme-femme. Il est désormais plus commun d’aller au restaurant ou de se rencontrer autour d’un verre. La chose est même si ancrée dans la culture qu’un terme anglo-japonais a été forgé pour la nommer : “nomunication”. En japonais, “Nominasu” signifie boire, il s’agit donc ici de l’art de communiquer en buvant… Attention cependant à siroter son saké avec modération : au Japon, le verre de l’invité fait l’objet d’un remplissage ininterrompu…

Autre chose à savoir : les Japonais adorent les dessins qui synthétisent une idée”, poursuit Sahé Cibot. Lors d’une présentation, il est donc judicieux de préparer des schémas. Mais il est aussi de très bon ton de ne pas venir les mains vides. Le mieux étant d’apporter un petit présent, par exemple des chocolats ou des gâteaux emballés dans de jolies boîtes, qui évoqueront l’image de la France, si chère au coeur des Japonais.

Surtout par de blague

Parmi les choses à éviter, l’humour est le plus souvent cité. Les jeux de mots risquent de tomber à plat ou d’être mal interprétés. Beaucoup d’Occidentaux, pour détendre l’atmosphère, commencent une présentation en racontant une anecdote, voire une plaisanterie. Cela est assez mal perçu au Japon, où le travail se distingue nettement des moments de détente à l’extérieur de l’entreprise. Les situations formelles doivent donc toujours le rester.

Un autre écueil, mais moins grave celui-là, consisterait à tendre la main au lieu de s’incliner. De même, omettre de raccompagner son interlocuteur jusqu’à l’ascenseur, si celui-ci est venu en visite, est une impolitesse ; tout comme oublier d’apporter ses cartes de visite ou fouiller dans son sac afin d’en sortir une à moitié éborgnée. Investir dans un porte-carte élégant que l’on garde à la main lors des présentations peut se révéler judicieux. Dernière question sensible : celle du prénom. S’il est de mise en France, par mimétisme avec les États-Unis, d’appeler ses collaborateurs par leur prénom, on évitera ici cette familiarité. Enfin, Emmanuel Neveu, clarinettiste au Tokyo Symphony depuis douze ans, insiste sur la ponctualité, même au sein d’un orchestre ! “Il m’est arrivé deux fois d’être en retard à mes débuts, parce que je ne maîtrisais pas bien le système des transports en commun… J’ai vu que cela ne passait pas du tout, d’ailleurs les répétitions avaient commencé sans moi”, se souvient-il. Pour le reste, ce Français parfaitement bilingue estime que son pays d’adoption est un pays où il fait bon vivre. “Les Japonais aiment sortir après le travail, mais ce sont des gens très occupés qui n’apprécient pas qu’on leur fasse perdre leur temps”. Sa dernière recommandation : savoir s’imposer tout en restant respectueux et discret. Un art de funambule…

Au Japon, le sushi est tout un art

Japon

On pourrait croire que trouver des sushis à Tokyo est un jeu d’enfant. Et pourtant… Ce mets n’est destiné qu’aux occasions spéciales : anniversaires, promotions professionnelles, célébrations en tous genres. Ce qui est assez rare, finalement. Du coup, pour réserver chez les meilleurs sushi-chefs comme Jiro, vénéré par les grands cuisiniers français, ou même chez le jeune Rinda, l’un des derniers à faire courir le Tout Tokyo, il faut s’y prendre à l’avance. Sinon, les restaurants des grands hôtels peuvent être une bonne alternative. Mais attention, il convient tout de même de respecter quelques règles de base comme par exemple ne pas s’offusquer – on risquerait de perdre la face et de se faire mal voir – si notre sempiternelle noisette de wasabi accouplée au facon de sauce soja ne se montre pas à table. Daijiro Sakamoto, le sushi-chef du restaurant Kazahana de l’hôtel Conrad à Tokyo, explique : “le wasabi n’est placé que par le chef, sous le poisson, et en une fine couche à peine visible, mais qui donne beaucoup de goût”. Aussi en rajouter et faire trempette dans la sauce est considéré comme un manque d’élégance, voire une insulte à l’artiste à qui l’on semblerait dire que son poisson a mal été choisi.

Restaurant Kazahana

Car c’est là que réside l’autre règle à laquelle il ne faut pas déroger : on laisse au chef le choix de son assortiment, en fonction des trouvailles qu’il aura faites le jour même au célèbre Tsukiji Fish Market. Bien sûr, on peut s’accorder le droit de refuser le fugu, ce poisson venimeux que les Japonais adorent, mais qui doit être préparé avec une extrême précision pour ne pas être létal. Plus sérieusement, il ne faut pas oublier que le saumon n’est pas un poisson des mers du Japon… Quitter un restaurant parce qu’on n’y trouverait pas son habituel California Roll serait une très rude impolitesse, pourtant régulièrement commise par de nombreux Occidentaux. Seule fantaisie acceptée : redemander du gingembre mariné à volonté. Mais à voix basse… Car déguster des sushis est tout un art, on le pratique dans un religieux silence et dans le respect du plaisir des autres convives.

KAZAHANA : conradhotels3.hilton.com • SUSHI JIRO : www.sushi-jiro.jp • SUSHI RINDA : www.rinda-tokyo.com