Créativité – Les entreprises jouent l’atout culturel

De prime abord – allez donc savoir pourquoi – la chose culturelle se coltine une charge émotionnelle synonyme d’ennui ; d’événement certes élégant, mais qu’on subit plus qu’on apprécie. Et pourtant… Certaines entreprises n’hésitent pas à passer par-dessus ces idées reçues avec des opérations exceptionnelles aux retombées très positives.

Lever la tête de son écran d’ordinateur pour vagabonder, le temps d’une soirée, dans l’imaginaire onirique de Niki de Saint Phalle et de ses Nanas stimule la créativité.

La France, terre bénie pour les opérations incentive à connotation culturelle ? Avec tout ce que le pays compte comme charge historique, la chose est entendue. On recense en effet plus de 40 000 monuments ou lieux protégés, une trentaine de sites classés au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, mais aussi 8 000 musées – dont plusieurs espaces de nouvelle génération – ainsi qu’une multitude de parcs et de jardins remarquables.

Si l’on ajoute à cela près de 500 festivals, des saisons théâtrales à n’en plus finir, des concerts et des spectacles de danse, le choix est vaste pour les entreprises… Paris, en particulier, regorge de lieux et d’événements culturels sur lesquels une société peut s’appuyer pour monter une opération incentive. “Nous avons organisé un dîner au studio Harcourt pour Google Enterprise ou encore, pour Essilor – Varilux, une soirée de prestige pour 600 personnes à l’occasion de la réouverture du musée des Arts décoratifs”, évoque Émilie Dumarest, créatrice de De l’Art, une agence spécialisée dans le conseil en communication par le vecteur culturel et artistique. Mais cela peut tout aussi bien être la visite des coulisses d’un théâtre réputé comme celui du Rond-Point ou de celles de la Maison de la Radio avec le privilège, en complément, d’assister à l’enregistrement d’une émission.

Quoi qu’il en soit, une constante existe en matière d’incentive culturel : le lieu ne doit pas être défini au hasard, l’opération doit coller au message que les entreprises veulent faire passer. Ainsi, actuellement, la préférence d’une société espagnole ira plutôt à l’exposition Vélasquez au Grand Palais qu’à celle consacrée aux Tudors au musée du Luxembourg. “Nous ne proposons pas n’importe quelle manifestation à nos clients. Nous essayons de fonctionner en corrélation avec l’identité de l’entreprise, avec sa politique de communication et sa problématique”, confirme Tania Zana- Turini, directrice de Senzeô Art. Tania Zana-Turini cite par exemple la mise en abîme de la politique environnementale et de gestion de l’eau du groupe Sopra-Steria, spécialisé dans les systèmes informatiques.

Hokusai et le thème de l’eau

Pour ce client, Senzeô Art a privatisé en octobre 2014 la galerie Sud-Est du Grand Palais à l’occasion de l’exposition sur le maître japonais Hokusai, dont l’une des pièces maîtresses était la célébrissime Grande Vague. “Nous avons organisé une conférence sur le thème des enjeux de l’eau avec comme intervenante la navigatrice Maud Fontenoy. Les espaces ont été entièrement scénarisés par l’architecte Nicolas Martin. L’événement, qui réunissait 300 personnes, s’est achevé par un cocktail dînatoire et une visite privée de l’exposition”, raconte Tania Zana-Turini. Les résultats de l’opération sont allés bien au-delà des prévisions, Sopra-Steria prolongeant l’expérience par un mécénat et fait travailler de jeunes artistes sur le thème de l’eau.

Senzeô Art fait un rêve, celui que les entreprises s’approprient l’art et la culture, deux vecteurs très porteurs en matière d’image et de message. À travers eux, les entreprises touchent à l’universel et renforcent leur identité, aussi bien vis-à-vis de leurs clients, partenaires et prospects qu’auprès de leurs collaborateurs, les ressources humaines (RH) appréciant l’ouverture d’esprit offerte par leur biais, à même de booster la créativité des salariés.

Le tout peut aller jusqu’à la création d’un événement clé en main comme celui monté pour Cegos, spécialisé dans la formation professionnelle. En effet, depuis trois ans, Senzeô Art organise pour ce client les Rendez-Vous Art et Business, qui s’adressent aux services RH des grands comptes de Cegos. Chaque année, un lieu différent est choisi, par exemple le Grand Palais en 2014, à l’occasion de l’exposition Monumenta 2014, où les artistes Ilya et Emilia Kabakov proposaient au public de se perdre dans le dédale d’une ville utopique, L’Étrange Cité.

Autre exemple d ’événement sur mesure, la création pour la Caisse d’Épargne d’Ile-de-France des Rencontres économiques et culturelles. Il s’agit d’une conférence sur un thème économique et géopolitique, donnée dans un espace muséographique et qui est associée à la découverte d’une collection permanente ou d’une exposition en adéquation avec le sujet. Les intervenants sont des experts de l’économie, des philosophes, des écrivains ou des historiens d’art… Ainsi en juin 2013, une soirée privée portant sur les marchés émergents asiatiques s’est tenue au musée Guimet en présence du géopoliticien Alexandre Adler et du sinologue Hervé Beaumont.

© O. Panier des Touches

1 — Classée monument historique, la salle des fêtes du musée d’Orsay prête son cadre prestigieux à des cocktails et des dîners de gala agrémentés de musique classique. Ces soirées sont le plus souvent précédées d’une visite privée commentée par un conférencier.

3 — Les ateliers proposés par l’agence Paroles en scène font découvrir le monde du théâtre, laissant libre cours aux émotions générées par le répertoire classique.

Selon Émilie Dumarest, de l’agence De l’Art, “les sociétés amatrices d’opérations culturelles ressemblent à celles qui utilisent le sport dans leur stratégie de stimulation. Seules les cibles diffèrent !” Car, il faut bien le reconnaître, inviter une personne à assister à une manifestation prestigieuse sans faire la queue, le tout commenté par un conférencier de qualité, avant de terminer par un dîner de gala sort le participant de son quotidien. Côté organisation, le format qui a la cote aujourd’hui est un groupe d’une trentaine de personnes, avec une privatisation ou une visite guidée en fin de journée, voire en nocturne, suivie d’un dîner. Mais surtout rien d’ostentatoire ! Isabelle Genri, responsable du marché France au sein de l’Office du tourisme et des congrès de Paris, constate ainsi que “les clients ne souhaitent pas forcément une privatisation, mais plutôt une thématique à connotation culturelle. Les lieux généralement retenus sont ceux qui accueillent une exposition phare, comme c’est souvent le cas au Grand Palais”.

Pour répondre à ces nouveaux besoins, les sites culturels se sont organisés, ou sont en train de le faire. Ainsi, les opéras Bastille et de Versailles ont mis en place des modules Entreprises, tandis que le Centre des monuments nationaux répertorie les sites classés privatisables. Les plus beaux châteaux attirent également les organisateurs d’incentive. Le domaine de Chantilly, pourtant non classés aux monuments nationaux, fait notamment partie des demandes récurrentes des sociétés.

À une cinquantaine de kilomètres de Paris, Chantilly profite de sa situation géographique et les établissements s’organisent en conséquence. C’est le cas du Dolce Chantilly qui a mis en place des activités de team building en collaboration avec des prestataires extérieurs. Ces dernières sont adaptées aux groupes de 10 à 500 participants et se déroulent dans le domaine de Chantilly, notamment dans les jardins dessinés par Lenôtre. Des quizz avec des questions portant sur les monuments ont pour objectif la découverte historique du site. Des déjeuners et des dîners gastronomiques complètent le séjour, tout comme des spectacles en plein air.

4 — La France offre un nombre incalculable de lieux historiques, comme ici le domaine de Chantilly, que les groupes incentive peuvent explorer par équipe, à travers des quizz culturels.

5 — Organisés dans tout le Grand Est de la France, les Dîners insolites du patrimoine associent la découverte de lieux culturels rarement ouverts au public à des repas d’exception. Ils ont aussi un objectif salutaire, celui d’accompagner la sauvegarde de toutes ces petites églises, moulins ou lavoirs qui font la beauté de la région.

L’art contemporain fait le buzz

Dans le domaine de l’art, trois tendances se dessinent quant à la teneur des événements : la photographie, l’art contemporain et la mode. Ainsi, ces derniers mois, les expositions Jackie Kennedy au musée des Arts décoratifs et Yves St Laurent au Grand Palais ont remporté un franc succès auprès de la clientèle corporate. L’art contemporain possède lui aussi de vrais atouts pour les incentives selon Alain Pascail, consultant fondateur de Pelios Coaching : “nous sommes tous habités par des représentations collectives, des projections inconscientes. L’art contemporain permet une projection de son imaginaire sur une oeuvre”.

Alain Pascail estime que les entreprises ont tendance à être trop rationnelles et à n’utiliser que la partie gauche de leur cerveau. Or, en se servant aussi du côté droit, celui des sensations et des émotions, on s’ouvre immanquablement à d’autres champs. Ce coach a ainsi élaboré une méthode exclusive à destination des entreprises et des dirigeants de PME-PMI. Il amène les groupes incentive au musée et réunit les participants deux par deux. Et c’est là que le vrai challenge démarre. Chaque tandem doit sélectionner ses deux oeuvres préférées, puis expliquer son choix à l’ensemble du groupe. Lors de ces “performances”, les émotions sortent, les individus se révèlent les uns aux autres, et surtout à eux-mêmes. “Nous essayons d’amener les entreprises vers plus de créativité et d’audace afin qu’elles s’adaptent de façon proactive ou réactive à l’évolution permanente de leur environnement, ajoute Alain Pascail. Lorsqu’une symbiose a lieu avec une oeuvre, c’est une tout autre lecture du réel qui s’affirme. En fait, cela agit comme une sorte de rétroviseur qui permettrait de voir les angles morts : les problèmes et les solutions.

Le théâtre participe également de cette théorie. “En réservant une soirée ou un atelier, les invités sont transportés dans un autre univers”, observe Véronique Sternberg, directrice de Paroles en Scène. L’agence propose plusieurs modules s’articulant autour du monde du spectacle, dont les soirées se déroulent ainsi : d’abord une conférence de présentation afin de mieux connaître l’auteur, puis le spectacle, ensuite une coupe de champagne, suivie d’un cocktail dînatoire avec l’équipe artistique. Autre option : un dîner-conférence sur une question concernant le théâtre dans un lieu convivial et animé par un historien du théâtre ou un metteur en scène reconnu. À l’issue du débat, les participants reçoivent une place pour un spectacle faisant écho à ce qui s’est dit. “Nous faisons réellement entrer le client dans la vie créative du théâtre”, souligne Véronique Sternberg.

Réviser ses classiques

Les ateliers peuvent aussi être organisés par des écoles de théâtre reconnues, comme celles du Soleil ou de la Rue Blanche. Alors, les groupes ne travaillent pas sur une pièce en relation avec la vie de leur entreprise, mais plutôt sur des grands classiques de la Comédie française. “D’emblée, ils partagent des émotions esthétiques, découvrent le beau et au final s’approprient un univers totalement inconnu de la plupart d’entre eux”, poursuit Véronique Sternberg. En travaillant sur de grands textes, les participants éprouvent une certaine fierté et surtout découvrent leur propre potentiel. Autant de retombées positives pour l’entreprise organisatrice ! Grâce à cette expérience, une majorité reprend aussi plaisir à aller au théâtre.

Pour favoriser l’écoute des autres, le musée Dapper organise des team buildings au son des percussions africaines.

Dans un autre domaine, c’est un peu ce que vivent les privilégiés qui participent à l’un des Dîners insolites du patrimoine. Une fois par an, de nombreux repas se tiennent en partenariat avec la Fondation du patrimoine et ont pour objectif d’accompagner la sauvegarde du patrimoine vernaculaire du Grand Est (Alsace, Lorraine et Franche-Comté). Au total, ce sont 120 événements qui se déroulent comme suit : visite guidée d’un site classé, apéritif, dîner gastronomique composé de cinq plats concoctés par un chef de renom et servi dans un espace décoré par des entreprises emblématiques des arts de la table. Le tout dans une ambiance musicale avec, en prime, la découverte du travail d’un artiste peintre, d’un grapheur ou d’un photographe. Ces soirées d’exception, ouvertes à tous et bien sûr aux sociétés qui trouvent là l’occasion de communiquer, sont à réserver à l’avance.

En plus de proposer aux entreprises des prestations VIP avec des places “prestige” et des dîners d’après-concert, la Philharmonie de Paris encourage le mécénat culturel à travers son programme Prima la Musica.

Bien sûr, l’aboutissement de toutes ces actions corporate imprégnées de culture conduit au mécénat. D’après une étude réalisée en février 2014 par CSA et publiée par Admical, “selon les mécènes eux-mêmes, le mécénat offre un moyen original d’incarner une identité, de développer des relations avec les acteurs d’un territoire et de mobiliser ses collaborateurs. En ce qui concerne le mécénat de proximité, souvent mis en oeuvre par les PME et TPE, les budgets sont principalement alloués aux domaines du social, de la santé et de la culture… Le mécénat culturel ainsi que le mécénat environnemental sont principalement le fait des entreprises de taille intermédiaire et des grandes entreprises”. Ainsi, il apparaît que 79 % des sociétés mécènes, dont 82 % de PME/ TPE, soutiennent des structures agissant au niveau local. Pour leur part, les grandes entreprises parrainent de 11 à 50 projets par an, le budget moyen par projet dépassant les 10 000 €. Au travers de ces actions, les mécènes souhaitent fédérer leurs collaborateurs, mais aussi donner un sens à leur métier et construire des relations avec les acteurs du territoire et les parties prenantes de leur activité.

Émilie Dumarest constate que le mécénat est de plus en plus mis en place par les entreprises, en particulier dans le domaine culturel. Et de citer pour exemple un de ses clients, le groupe Vinci, qui a participé aux travaux de rénovation de la Galerie des Glaces du château de Versailles. Pendant toute la durée du chantier, l’entreprise a invité ses collaborateurs sur le site. L’initiative, très réussie, leur a donné une vraie fierté d’appartenir à une société soutenant un lieu aussi prestigieux. Une fois la rénovation terminée, beaucoup sont revenus spontanément au château de Versailles. Attitude qui confirme la pensée d’Émile Henriot : “la culture, c’est ce qui demeure dans l’homme lorsqu’il a tout oublié”. Évidente raison pour une entreprise d’associer son nom à tout cela.

Les grandes expositions et événements parisiens de 2015-2016

> Les clés d’une passion

Jusqu’au 6 juillet 2015, Fondation Louis Vuitton.

> Vélasquez et le triomphe de la peinture espagnole

Jusqu’au 13 juillet 2015, Grand Palais.

> Les Tudors

Jusqu’au 19 juillet 2015, Musée du Luxembourg.

> Jean-Paul Gautier, de la rue aux étoiles

Jusqu’au 3 août 2015, Grand Palais.

> Dolce Vita ? Art décoratif italien 1900- 1940,

jusqu’au 13 septembre 2015, au Musée d’Orsay.

> Edith Piaf

jusqu’au 23 août 2015, BnF Mitterrand.

> Osiris, les mystères engloutis d’Egypte

du 8 septembre 2015 au 31 janvier 2016, Institut du Monde Arabe.

> Splendeur du portrait à la cour des Médicis,

du 11 septembre 2015 au 25 janvier 2016, Musée Jacquemart André.

> Andy Warhol : Shadows

du 2 octobre 2015 au 7 février 2016, Musée d’art moderne de la Ville de Paris.

> Ouverture du Musée de l’Homme le 17 octobre 2015.

> D’Utrillo à Picasso

d’octobre 2015 à mi 2016, Musée de Montmartre.

> Martin Scorsese,

du 7 octobre 2015 au 24 janvier 2016, Cinémathèque française.

> Picasso et l’art contemporain

du 7 octobre 2015 au 29 février 2016, Grand Palais.

> Fragonard amoureux

d’octobre 2015 à janvier 2016, musée du Luxembourg.

> Qui a peur des femmes photographes ? (1839-1945),

du 13 octobre 2015 au 24 janvier 2016, Musée d’Orsay.

> 42e FIAC

du 22 au 25 octobre 2015, Grand Palais.

> Chagall et la musique

d’octobre 2015 à janvier 2016, Philharmonie de Paris.

> Le Roi est mort

du 26 octobre 2015 au 21 février 2016, Château de Versailles.

> 7e édition de Monumenta : Huang Yong Ping (Chine),

en mai-juin 2016, Grand Palais.

> Vermeer,

printemps 2017, Musée du Louvre.


En région…

> Icônes américaines : les chefs d’oeuvres du San Francisco Moma et la grande collection Fisher, du 11 juillet au 18 octobre 2015 au musée Granet à Aix-en-Provence.

> Leiris & Co, Picasso, Masson, Miro, Giacometti, Lam, Bacon… jusqu’au 14 septembre 2015 au Centre Georges Pompidou à Metz.

> Michel-Ange, Léonard de Vinci, Raphaël : les géants de la Renaissance, juqu’au 3 janvier 2016 aux Carrières de Lumière aux Baux-de-Provence.

> Joie de Vivre, du 26 septembre 2015 au 29 février 2016, Palais des Beaux-Arts à Lille.