Economie – Top modèle scandinave

Marché riche et mature de 25 millions d’habitants, la Scandinavie est un cocon où les banques sont solides, l’environnement économique stable, le PIB par habitant largement au-dessus de la moyenne européenne, l´inflation maîtrisée, le chômage au plus bas. Comment mieux comprendre nos voisins scandinaves en dix leçons...

Consensus social, confiance envers les dirigeants politiques, balances commerciales excédentaires, pouvoir d’achat élevé, ouverture d’esprit derrière une certaine austérité, franchise, maîtrise parfaite de l’anglais chez les plus jeunes comme chez les plus âgés: autant de signes du bien-être scandinave dans une Europe où l’économie est en berne. Devant un tel constat, peut-on encore prétendre que les petits États ne peuvent survivre dans une économie globale? On aurait au contraire envie de déclarer que le capitalisme suédois, norvégien ou danois est un véritable modèle du genre, caractérisé par une adaptation à la mondialisation, un système social largement développé et un esprit fondé sur des valeurs égalitaristes.

D’ailleurs, depuis 2013, tous les pays nordiques, à l’exception de l’Islande, ont relevé le défi du triple A… Mais ils n’en boudent pas moins l’euro. Car, dans le Club des Cinq, seule la Finlande s’est mise à la monnaie commune, tandis que l’Islande a stoppé les négociations de son entrée dans l’Union européenne et que les Norvégiens l’ont refusée par deux fois lors d’un référendum.

Copenhague

Conjuguer atouts et savoir-faire est la grande force de ces petits pays. Depuis longtemps en effet, chacun a su se distinguer tout en oeuvrant pour le bien communautaire, la Finlande en se concentrant sur la recherche, la Suède sur l’industrie et les services, le Danemark sur la logistique et les transports, la Norvège sur les matières premières. Cependant, les tendances actuelles indiquent que les secteurs porteurs tendent à se rejoindre d’un pays à l’autre, même si la Norvège reste la seule à surfer sur une énorme vague pétrolière.

Le souci du mieux vivre

D’Oslo à Stockholm en passant par Copenhague, les domaines de la recherche et des technologies de pointe, de l’écologie et des “green techs”, ou encore de la gastronomie, du mieux habiter et du mieux vieillir sont définitivement de mise. “Fondée sur les besoins d’une population vieillissante, le mieux vieillir, ce qu’on appelle communément la “silver economy”, est quelque chose qu’on prend de plus en plus au sérieux en Scandinavie”, explique Kirsten Fägerten, chercheuse en sciences sociales à l’université de Stockholm. Si ce domaine ne rebute pas les entreprises, c’est aussi parce que l’esprit scandinave trouve ses fondements dans les notions de solidarité, d’intégration sociale, de responsabilité individuelle et d’État providence.

Cependant, par delà ces préoccupations centrées sur la vie locale, la Suède, la Norvège tout autant que le Danemark ont su s’adapter à une économie globale de plus en plus concurrentielle. Car l’esprit scandinave, c’est être bien chez soi tout en restant ouvert au monde, le tout mâtiné de valeurs telles que la transparence, la franchise et l’honnêteté. “Ici, une poignée de main ferme s’accompagne toujours d’un regard dans les yeux de son interlocuteur”, reprend Kirsten Fägerten. Dans son livre Heureux comme un Danois (voir p.86), Malene Rydahl raconte comment, sur le bord des routes du Danemark, sont vendus fruits et légumes… sans vendeurs. Les clients déposent dans une boîte prévue à cet effet la somme correspondant à leurs achats. Avec de l’argent sonnant et trébuchant pour qu’ils se rendent euxmêmes la monnaie!

Olso

Stockholm, Copenhague, Oslo : trois capitales pour trois pays liés aussi bien historiquement et culturellement que par une unité de style économique. Loin des mégapoles survoltées, ces villes à taille humaine séduisent par leur art de vivre. Après le design avant-gardiste d’un Arne Jacobsen ou d’Ikea, d’essence plus démocratique, la région diffuse son soft power à coup de polars et de séries à succès, Borgen ou Bron (The Bridge) entre autres. Sans parler d’une gastronomie comptant parmi les plus inventives au monde, avec des bases bien dans l’air du temps : du local et du bio.

Sans doute la prédominance d’une morale luthérienne, celle-là même qui a depuis toujours contribué aux prix exorbitants de l’alcool pratiqués à travers toute la Scandinavie, joue-t-elle en faveur d’une économie efficace et presque sans zones d’ombre. “Dans une réunion d’affaires, plutôt que d’entrer lentement en matière par des circonvolutions, on préfère aborder directement le sujet, ce qui ne veut pas dire qu’on ne puisse pas se montrer ouvert et cordial et aller boire un verre d’aquavit en sortant”, reprend l’universitaire. Toutefois, malgré leur sens aigu du hygge, concept danois qui exprime une forme de bien-être fondée sur la jonction du chaleureux et de l’esthétique, les Scandinaves veillent à maintenir leurs distances au travail, en particulier physiquement. “Nous sommes bien moins tactiles que ne le sont les Latins”, s’amuse Kirsten Fägerten.

Tous égaux

Côté égalité des sexes, le monde scandinave mérite également une médaille. Et même une médaille historique, puisque le droit de vote des femmes remonte à plus d’un siècle chez nos voisins du Nord: 1906 pour la Finlande, 1913 en Norvège, 1915 au Danemark et 1919 pour l’Islande. Cela fait presque rougir. D’autant qu’aujourd’hui, les pays scandinaves continuent à faire figure de pionniers en matière de féminisme et de politique familiale. Le Danemark dispose d’un ministère de l’égalité des genres depuis 1999. La Suède, de son côté, offre 480 jours de congés aux parents lors de la naissance ou de l’adoption d’un enfant, et 25% de ces congés ont été pris par des hommes en 2012. Certes, on est encore loin de la parité totale, mais le chiffre montre bien l’engagement masculin au sein de la famille.

Autre record, celui des femmes en politique. Après les élections de 2010, 45% des sièges au parlement suédois étaient occupés par des femmes, soit le plus haut pourcentage au monde! Par ailleurs, des lois imposent, notamment en Norvège, un quota de femmes à l’embauche. Elles sont dès lors plus nombreuses au sein des entreprises, mais surtout, elles occupent des postes phares. D’ailleurs, l’on compte plus de décideuses en Scandinavie que dans le reste de l’Europe.

Olso

À Oslo, une passerelle fait la jonction entre le quartier populaire de Gronland et celui, en pleine effervescence, de Bjorvika. Un nouveau musée Munch y est attendu pour 2018, succédant à l’inauguration du futuriste opéra national, symbole architectural de la capitale norvégienne.

Ce sens de l’égalitarisme s’applique aussi aux salaires. En Norvège comme au Danemark ou en Suède, les écarts entre les revenus féminins et masculins, mais aussi entre les plus bas et les plus hauts échelons des organigrammes, sont limités. Ainsi, un dirigeant acceptera-t-il sans broncher d’être proportionnellement moins rémunéré que son homologue d’un autre pays européen. Dans un même ordre d’idée, la distance hiérarchique est faible au sein des entreprises, même à des postes élevés. Un patron scandinave se doit d’être accessible et disponible pour ses employés.

Du sérieux, pas d´arrogance

Voilà sans doute comment les petits pays du Nord ont su trouver un équilibre entre capitalisme et bien-être social. Malgré tout, ils semblent avoir conscience de l’importante pression fiscale exercée sur les contribuables; la Suède surtout, qui depuis quelques années tente de réviser à la baisse ses taux d’imposition.

Dans ce contexte, comment naviguer en eaux froides lorsqu’on souhaite s’implanter en Suède, au Danemark ou en Norvège? Comment apprivoiser son homologue du Nord? “Pour commencer, il faut faire preuve de professionnalisme et d’un vrai sens de l’organisation. Par exemple, envoyer un ordre du jour avant une réunion fera très bonne impression”, explique Éric Greley, un Français installé à Copenhague depuis plus de dix ans et devenu coach en entreprise.

Ce professionnalisme ne doit pourtant pas être interprété comme un signe de froideur ou de désintérêt pour les personnes engagées dans une négociation. “Une fois un contrat signé, il n’est pas rare qu’on se rende au restaurant pour célébrer l’événement, ou même… au sauna”, poursuit Éric Greley. Sauf à vouloir passer pour arrogant ou snob, deux attitudes mal considérées dans les pays du Nord, il est impossible de se soustraire à une telle invitation à suer en choeur. À ne jamais faire non plus: lancer des plaisanteries douteuses, trop exprimer ses émotions et parler d’une voix agressive ou anxieuse.

Au contraire, la précision, la clarté, la patience et le calme seront fort appréciés. “Se mettre soi-même en avant plutôt que son équipe, embellir une situation commerciale pour gagner un marché, c’est une très mauvaise stratégie de négociation. Cela risque surtout de susciter la méfiance chez un interlocuteur ou un potentiel partenaire”, conclut Eric Greley. Aux pays des glaces, la transparence n’a pas de prix.

10 règles à respecter pour bien travailler en Scandinavie :

• Savoir faire preuve de flexibilité et de disponibilité.
• Accorder de l’importance à la notion d’égalitarisme.
• Éviter les situations ambiguës ou les incertitudes.
• Séparer les aspects personnels des sujets professionnels.
• Être structuré, ponctuel et respectueux des règles imposées.
• Se soucier d’une bonne efficacité au travail tout en accordant de l’importance au bien-être personnel et collectif (en Suède, on fait souvent une petite pause café conviviale au bureau, la Fika).
• Reconnaître et récompenser les accomplissements de ses collaborateurs afin de solidifier le sentiment d’appartenance à un groupe.
• Rester accessible aux autres, quelle que soit sa position au sein d’une entreprise.
• Ne jamais faire primer l’individualisme au détriment de la collectivité.
• Montrer de la loyauté envers ses collègues et collaborateurs en toute circonstance.

Olso

Le “hygge”, le bien-être : les Danois ont une façon bien à eux de traduire ce qui fait le sel de la vie, que ce soit les moments passés entre amis, les lieux intimes ou les ambiances cosy et chaleureuses.


Aller droit au but

Aller droit au but, sans fanfaronnades : la rigueur scandinave n’empêche pas une grande ouverture à l’autre.