
Denver, Colorado, USA. Un mythe western, des réminiscences de conquête de l’Ouest, de chariots bâchés, de mauvais garçons et de filles légères faisant la vie dans les saloons… Aujourd’hui, il ne reste évidemment pas grand-chose d’époque dans la ville de la ruée vers l’or (1849) pour les voyageurs arrivant d’Europe à l’aéroport de ce qu’il faut considérer comme “la porte du Far West”.
Denver : 2,5 millions d’habitants, une métropole high-tech aux élégants immeubles postmodernes, une ville conviviale aux bars combles, aux musées et à la scène musicale dynamiques, à l’agenda culturel surbooké. Une exception dans cette partie de l’Ouest où les cités sont plutôt de gros bourgs. Il se passe toujours quelque chose à Denver. En juin dernier, plusieurs centaines d’artistes investissaient Larimer Street, la plus ancienne rue du centre aux bâtisses XIXe, pour habiller ses trottoirs d’œuvres à la craie spectaculaires. Denver est rompu aux opérations incentive. Gigantesque et performant centre de congrès : pour ce seul mois de juin, plus d’une quarantaine d’assemblées s’y sont déroulées, sans compter les salons. “Mais au-delà de nos infrastructures, la ville est très agréable, ensoleillée 300 jours par an, avec un vaste quartier piétonnier arboré, un patrimoine historique riche”, résume Jayne Buck, vice-présidente du bureau du tourisme de Denver. “Nos pubs brassent une bière merveilleuse ! Côté shopping, c’est le paradis dans une ambiance très décontractée. Nous constituons l’étape urbaine et branchée d’un périple dans le Wild West qui, lui, sera nécessairement plus orienté vers la découverte de la nature, les loisirs de plein air et l’histoire des pionniers.”
Cap sur le Wyoming
À une heure et demie de route de Denver et après la traversée d’une plaine sans fin peuplée d’antilopes, commence le Wyoming, un nom qui réveille le souvenir des héros ayant foulé son sol et entretenu bien des rêves d’enfant : Butch Cassidy, Davy Crockett, Calamity Jane ou Buffalo Bill… Des personnages au caractère bien trempé qui véhiculent la merveilleuse mythologie de l’Ouest. Il s’est joué ici une partie décisive de l’histoire américaine, la quête d’un éden qui devait assurer la fortune éternelle du pays, la conquête du Far West. Une exploration et une annexion rendues très périlleuses par la muraille que dresse l’immense cordillère des Montagnes Rocheuses et ses sommets culminant à plus de 4000 mètres. Sans compter, bien sûr, les Indiens…
Vaste comme la moitié de la France, le Wyoming est aujourd’hui le moins peuplé des États de l’Union, à l’exception de l’Alaska. Avec ses 500000 âmes, environ deux habitants au kilomètre carré, il demeure un État chéri et très visité des Américains, autant pour ses paysages grandioses, démesurés et religieusement préservés, que pour les événements dont ils furent le théâtre. “Bien entendu, nous jouons beaucoup sur ce patrimoine, remarque Rita Greene Bellardo, directrice du Wyoming Travel & Tourism basé à Cheyenne. L’État comprend une pléthore de sites historiques dont la vocation est de plonger nos visiteurs dans tous les aspects de l’histoire de l’Ouest.”
Paisible et accueillante, Cheyenne cultive son charme provincial sans se préoccuper de son titre de capitale du Wyoming. Il est vrai qu’avec 50000 habitants, soit la population de Carcassonne, la ville est à l’abri des soucis des grandes cités. Elle a ainsi tout le loisir d’aménager avec soin ses plus belles demeures victoriennes en bed & breakfast douillets, de retaper le lobby Art déco de son ancienne gare en lieu festif et privatisable.
Elle débuta comme toutes les villes de la région en village de tentes au milieu du XIXe siècle. Il s’agissait à cette époque de l’un de ces campements de fortune établis sur le chantier du chemin de fer transcontinental qui, en reliant l’Est à la côte Pacifique, assura l’unité du pays. Zone servant à entreposer du matériel, ces villes-étapes vont concentrer l’essentiel de la main-d’œuvre, composée d’immigrants démunis, d’ex-soldats et de délinquants… toute une population indigente payée au lance-pierres.
Un véritable western
Dans ces futures gares, au milieu de nulle part, il se constitue rapidement une petite agglomération de baraques de rondins sommairement équarris, mais sagement alignées le long de la rue principale accueillant saloons et maisons closes prompts à essorer les maigres ressources des travailleurs du rail. Alcool, jeux, prostitution : la trilogie de villes pionnières est installée sur fond de dénuement. Le film peut commencer. “En termes d’incentive, les opérations s’inspirent de la vie des “westerners”, remarque Janet Cowley, directrice des conventions à l’office du tourisme de Cheyenne. Les participants aiment partir à la rencontre des bisons, ils raffolent aussi des chants et poésies des cow-boys à la veillée et, bien entendu, ils veulent partager l’ambiance unique de notre grand rodéo annuel.”
Cheyenne, la Mecque du rodéo
Mieux que de rester une ville du Far West, Cheyenne a en effet entretenu et valorisé ce qui établit sa singularité depuis 1897, le Cheyenne Frontier Days. Cette manifestation centenaire a hissé la cité au rang de Mecque du rodéo. À la fin juillet, quelque 2000 cavaliers y affluent rituellement de tout le pays, mais aussi du Mexique, d’Argentine ou du Brésil pour s’affronter une semaine durant devant plus de 100000 spectateurs. Monte à cru de taureaux et de chevaux sauvages, capture de veaux au lasso, mise à terre d’un bouvillon en le maîtrisant par les cornes… Les épreuves très physiques et hautement dangereuses de la compétition célèbrent l’activité du cow-boy dans un décorum de fête populaire. “C’est durant cet événement que les opérations incentive s’intensifient”, souligne Janet Cowley. Avoir sur place les meilleurs cavaliers du genre et de grands chanteurs de musique country permet de monter des événements uniques.”
Cette folle semaine est en effet rythmée de concerts au centre d’une arène cernée de stands d’où déferle une marée de selles, de lassos, de bottes, d’éperons ou de boucles de ceinturons dont certains modèles collectors peuvent atteindre les 1000 dollars. “Il s’agit du plus grand rodéo du monde”, assurent ses organisateurs, enchantés de constater que la mode cow-boy est devenue très tendance et que les bullriders venant ici se partager un million de dollars de primes sont adulés comme des stars.
Lors des parades inaugurant les compétitions, lorsqu’ils défilent dans leurs chaps aussi brodés qu’un boléro de toréador, le parallèle avec la corrida s’impose. Leur sport est tout aussi risqué, sinon plus. L’an dernier, le T-shirt bestseller du Cheyenne Frontier Days délivrait ce message : “La douleur est la fragilité s’échappant du corps”. C’est dire si la mystique de l’Ouest est encore vivace.
A cheval, manager !
La route qui mène au Nord serpente dans les Big Horn Mountains, chaîne éternellement enneigée qui culmine à Cloud Peak (4013 mètres) et se poursuit au Montana tout proche où se déroula l’une des batailles les plus meurtrières de l’histoire de l’Ouest, Little Big Horn, qui s’acheva en juin 1876 par l’anéantissement du 7e régiment de cavalerie du général Custer par 2000 guerriers sioux et cheyennes.
Aux environs de Shell, bourgade de 50 habitants dans le bassin des Big Horn, plaine désertique parsemée d’une herbe maigre et de sauge sauvage, s’étend l’un des plus grands ranchs de la région. Le Flitner ranch, 120000 hectares dont 2500 de fermages irrigués, est l’une de ces propriétés qui accueillent les visiteurs pour les initier à la vie des cow-boys. The Hideout, le site des maisons d’hôtes haut de gamme (voir guide pratique), s’est spécialisé dans les séjours corporate. “Le comportement du cow-boy avec autrui, les chevaux et le bétail, explique Peter De Cabooter, responsable Europe de ces programmes, est un modèle dont nous nous inspirons fortement. Ce cocktail de flegme et de fermeté, le respect de la parole donnée, la détermination et la souplesse mises en œuvre pour parvenir à leurs fins dans le dressage des broncos ou le contrôle des troupeaux est un modèle dont nombre de managers peuvent s’inspirer. Immerger ces groupes avec nos cow-boys dans le travail de la ferme permet de souder une équipe en partageant une éthique.” La plupart des grandes entreprises européennes et américaines ayant séjourné au Hideout y reviennent régulièrement.
Brokeback Mountain
Cap à l’est. Au pied des Big Horn, Sheridan (15000 habitants) tient son nom du général (1831-1888) héros de la guerre de Sécession, puis adversaire impitoyable des Indiens : “Plus j’en vois, plus je me persuade qu’il faut les tuer tous, ou ne les maintenir en vie que comme des spécimens de pauvreté.” Mais la ville ces derniers temps est plus célèbre pour être à l’origine du film Brokeback Mountain. Annie Proulx, l’auteur du livre dont il est adapté, séjourne dans les environs. C’est au Mint Bar qu’elle échafaude son histoire, en observant les regards échangés entre un vieux cow-boy et un groupe de jeunes accoudés au billard. Cette institution née en 1907 présente sur ses murs un concentré de la culture de l’Ouest : une foule d’animaux empaillés, de magnifiques photos d’époque et une innombrable collection des fers à marquer le bétail utilisés par les ranchs de la région. Les quatre Oscars remportés cette année par le film enchantent le Wyoming Travel & Tourism qui attend cet été une affluence record de visiteurs. En revanche, au Mint Bar, dont l’enseigne dessine au néon un cavalier chevauchant un bronco, cette renommée éclair irrite. Penny Becker, de Sheridan Travel, conseille de ne pas demander aux clients ce qu’ils pensent du film. “Au Wyoming, État profondément conservateur, il n’est pas bienvenu de suggérer que ses ranchs sont exploités par des cow-boys gays.”
Cody, Buffalo Bill et ses cinq musées
Quoi qu’il en soit et sous leurs aspects rugueux, les cow-boys rencontrés sont aux petits soins avec les étrangers, curieux de recueillir leur point de vue sur la région et enthousiastes de communiquer leur amour du pays dans une ambiance enfumée avec, l’alcool aidant, des propos parfois tricotés de désillusion et de nostalgie.
À 200 km vers l’ouest, Cody (9000 habitants) célèbre à tous les coins de rue son héros local, William Cody (1846-1917), passé à la postérité sous le nom de Buffalo Bill. Dans un centre remarquable regroupant cinq musées, le Buffalo Bill Historical Center déroule bien sûr le parcours du héros, mais aussi tous les aspects de la vie quotidienne d’alors, comme la nécessité d’être armé : entre 1850 et 1860, pas moins de 170000 revolvers sont vendus dans l’Ouest !
Le centre retrace également l’histoire des Indiens des Plaines avec, notamment, des témoignages vidéo poignants de leurs descendants. Et il propose de surcroît une exceptionnelle collection de chefs-d’œuvre des peintres explorateurs de l’époque pionnière, dont Georges Catlin (1796-1872) qui fit beaucoup pour la reconnaissance des Indiens. “Ce musée, l’un des plus complets des États-Unis sur ce thème, est incontestablement un passage obligé des visiteurs dans le Wyoming, note Claudia Wade, responsable du marketing touristique du comté de Cody. Après avoir dévalé des canyons en rafting, ou exploré la région en VTT, c’est l’endroit où l’on se pénètre de l’esprit des lieux et de la résonance culturelle de la Conquête.”
Yellowstone, roi des parcs
À l’extrême nord-ouest du Wyoming, le parc national de Yellowstone (600000 hectares) jouit d’un prestige sans égal dans le club des parcs nationaux des États-Unis. Un statut qui s’est imposé le plus simplement du monde puisque Yellowstone s’avère simultanément le champion des curiosités géologiques avec sa noria de geysers et de sources d’eau chaude, et un jardin zoologique exceptionnel où l’on croise des bisons et des mouflons, des cerfs et des chevreuils dans le cadre saisissant des paysages les plus préservés de la région.
Jackson, lieu de villégiature
En descendant vers le sud, la route traverse le Grand Teton National Park et ses sommets enneigés dominant une vallée percée de lacs et traversée par la Snake River où viennent s’abreuver les troupeaux de wapitis. Puis voilà Jackson, station de ski huppée composée de maisons de bois peintes regroupées autour d’un square lui conférant des allures de vieille Europe, si ce n’est ses trottoirs de bois définitivement western. La ville s’est considérablement embourgeoisée depuis ses débuts en 1897 comme comptoir des premiers habitants de la vallée. Elle se résume alors à une épicerie faisant dancing à l’étage, au milieu d’un désert parsemé de cailloux. Aujourd’hui, les villas de Jackson avec vue sur le massif de Grand Teton se négocient à 10 millions de dollars, voire davantage. Dick Cheney, le vice-président des États-Unis, et Harrison Ford, notamment, en ont fait leur lieu de villégiature.
“Été comme hiver, la ville est toujours fréquentée”, se félicite Lori Hogan, directrice de la communication de la chambre de commerce de la ville. “On ne vient pas ici pour se montrer, mais pour avoir la paix, jouir du spectacle de la “wilderness”. Ce qui fait le succès de Jackson, c’est qu’elle reste authentique dans un site magique proche du Yellowstone et d’une réserve où les wapitis viennent hiberner par milliers. Le climat y est très doux, ce qui autorise pour les groupes l’organisation de nombreux sports de plein air ou des barbecues à la belle étoile autour de chariots bâchés reconstituant le corral de l’époque des pionniers.”
Mais l’atout de Jackson, ce sont aussi ces boutiques de luxe et galeries d’art western. Ou encore le Million Dollar Cow-Boy Bar où Clint Eastwood tourna. Avec ses vitraux racontant les premiers jours de la Conquête, ses cornes de buffles, ses tabourets composés de selles de cheval et ses serveuses au bronzage digne de Saint-Tropez, il constitue l’étape la plus civilisée du Wild West.
Et là s’arrête le film. Sur un souvenir de nature sublime, d’Amérique simple et ultra accueillante, de blue jeans, santiags et Stetson. Coupez.
Far West : le grand vert de la nature cow boy
- Far West : le grand vert de la nature cow boy
Hervé Duxin, représentant du Wyoming Travel & Tourism en France