Jusqu’à la moitié des années 90, le choix de la plaque tournante était relativement aisé : une dizaine d’aéroports américains incluant Atlanta, Chicago, Dallas, Newark ou Miami faisaient l’affaire ; en Europe, Roissy se battait au coude à coude avec Amsterdam, Copenhague, Francfort, Londres-Heathrow, Madrid ou Zurich. Enfin, en Asie, les incontournables avaient pour nom Bangkok, Singapour et Hongkong. Mais comme le reste de l’industrie aérienne, le monde des aéroports a connu bien des bouleversements. Septembre 2001 a précipité la disparition annoncée ou la restructuration de nombreuses compagnies aériennes, entraînant, du même coup, la chute de certains aéroports. En Europe, Bâle- Mulhouse, Bruxelles ou Zurich ont perdu en partie leur rôle de plaque tournante ; la restructuration des compagnies américaines a, par exemple, obligé Delta Air Lines à abandonner son hub de Dallas. Les strictes consignes de sécurité sur l’aéroport de Miami ont forcé plusieurs transporteurs tels qu’Iberia à transférer leur trafic vers d’autres cieux.
Dans le même temps, l’émergence de nouveaux marchés comme la Chine, l’Inde, le Brésil ou la Russie et les ambitions affichées de certains transporteurs aériens redessinent la carte des flux de passagers dans le monde. Au cours des dernières années, de nouveaux hubs sont ainsi apparus : Milan- Malpensa ou Munich en Europe, Toronto ou São Paulo en Amérique, Kuala Lumpur ou Séoul en Asie. La Chine aérienne est devenue l’un des premiers marchés du monde. Elle a dépassé pour la première fois le Japon en 2004 en accueillant dans ses 133 aéroports 242 millions de voyageurs. Pékin ou Shanghaï font désormais partie des aéroports les plus importants de la planète avec quelque 40 millions de passagers par an. La formidable montée en puissance des compagnies du Golfe a propulsé Dubaï et Doha au rang de nouvelles plaques tournantes mondiales, rôle qu’elles devront prochainement partager avec Abu Dhabi et Bahrein, qui nourrissent des ambitions similaires.
Le phénomène des transporteurs low cost a lui aussi quelque peu redistribué les cartes. En servant essentiellement des marchés de point à point, ces compagnies ont contribué à l’émergence de plates-formes secondaires. C’est ainsi qu’avec la présence de Germanwings et Hapag Lloyd Express à Cologne-Bonn, cette plate-forme a volé la vedette à son grand voisin de Düsseldorf. Des aéroports comme Beauvais, Bratislava, Liverpool ou Bergame, considérés sans grand avenir il y a encore une décennie, connaissent de leur côté un essor remarquable grâce aux compagnies à bas tarifs, avec des taux de croissance annuels allant de 30 % à 100 %.
L’aéroport, objet de prestige
Toutes ces tendances font souffler un vent d’optimisme sur l’aéroportuaire. Selon les chiffres de l’ACI, le Conseil international des aéroports, le nombre de passagers accueillis à travers le monde a atteint quatre milliards en 2005. En 2020, il devrait pratiquement avoir doublé pour atteindre 7,4 milliards de passagers. Mais cette croissance a son revers : il y a désormais urgence à développer de nouvelles infrastructures d’accueil. “Sans une expansion adéquate des capacités, nous estimons que le déficit d’accueil sur nos aéroports atteindra un milliard de passagers en 2020”, déclarait l’an dernier Robert J. Aaronson, directeur général de l’ACI, lors de son congrès annuel à Auckland ; “ce qui se traduira par une congestion croissante et une détérioration de la qualité de service.”
Devenu un objet de prestige à l’architecture audacieuse, l’aéroport doit également tenir compte d’un environnement qui a sensiblement évolué au cours des dernières années. “Le renforcement des consignes de sûreté oblige les passagers à rester plus de temps dans les aéroports. Du coup, ils perçoivent l’expérience aéroportuaire comme l’un des éléments les plus stressants de leur voyage. Les plates-formes qui changent cette perception par la simplicité de leur design et leurs espaces, tel Hongkong, par exemple, remportent tous les suffrages”, explique Peter Miller, directeur du marketing de Skytrax, société qui, chaque année, sonde des millions de passagers quant à leurs préférences en matière d’aéroports.
Il est vrai que depuis les attentats de New York en 2001, l’environnement aéroportuaire a dû intégrer des consignes de sécurité de plus en plus strictes qui ont conduit à repenser complètement les parcours des passagers. “À Munich, par exemple, nous avons opté pour des contrôles centralisés plutôt que de voir les passagers bloqués à différents points de passage. Un système que nous étendons à l’ensemble de nos aérogares”, commente Hans-Joachim Bues, vice-président Communications de la plate-forme bavaroise.
Cette contrainte sécuritaire doit cohabiter avec les exigences d’un passager aérien de plus en plus expérimenté. Ce dernier souhaite en effet non seulement expédier au plus vite les formalités d’enregistrement ou réduire les temps de transfert, mais il veut aussi disposer de plus d’espaces conviviaux, bénéficier de plus de services et obtenir une délivrance rapide de ses bagages. “Un aéroport réussi est celui qui saura dès sa conception intégrer toutes ces fonctions, planifiant même jusqu’à l’emplacement des boutiques”, raconte Niels Boserup, directeur de l’aéroport de Copenhague et président en exercice de l’ACI.
De plus en plus de compagnies aériennes, en coopération avec les aéroports, séparent les passagers haute contribution des passagers de classe économique. Le système existe depuis plusieurs années à Dubaï, Zurich et Singapour. Lufthansa a créé une aérogare exclusive à Francfort pour ses passagers de première classe, tout comme Qatar Airways à Doha.
En fait les solutions technologiques sont devenues l’unique recours des aéroports pour intégrer les contraintes de temps, de confort et de sûreté. Selon une étude menée conjointement par l’ACI et SITA (Société d’applications technologiques), 64 % des aéroports intègrent les nouvelles technologies dans leur développement, consacrant près de 5 % de leur chiffre d’affaires à la technologie, soit quelque 2,5 milliards de dollars. “Après le 11 septembre 2001, les aéroports ont massivement investi dans le tout sécuritaire, parfois à la limite de l’exagération, ce qui a conduit à une dégradation de la qualité de service dans les aérogares. Les autorités aéroportuaires se concentrent désormais sur les moyens de faciliter le traitement des passagers et décongestionner leurs installations”, indique Catherine Mayer, vice-président Airport Services de SITA.
Enregistrement en self service
Les nouvelles technologies incluent l’enregistrement en self-service, le wi-fi dans les aérogares, l’utilisation des techniques biométriques aux contrôles de passeport et enfin, l’accélération des systèmes de livraison des bagages. L’enregistrement en self-service est l’une des priorités des aéroports. De 42 % en 2005, le nombre d’aéroports équipés de kiosques automatiques d’enregistrement devrait atteindre, selon SITA, 70 % en 2007. La biométrie constitue un autre point fort des investissements technologiques dans un proche futur. Selon l’étude de SITA, 65 % des aéroports devraient avoir recours à cette technologie en 2009 contre 15 % actuellement.
Pour Catherine Mayer, les aéroports devraient favoriser une intégration de tous les modes de transport et des différents acteurs, compagnies aériennes et ferroviaires, opérateurs de transports publics : “Pouvoir voyager avec un billet unique et transférer sans rupture de charge son bagage devrait être la référence de l’avenir.” Et un voyageur moins stressé saura d’autant mieux apprécier les boutiques et autres services de l’aéroport…
Grands aéroports : à la recherche du temps perdu
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Architecture et aéroports