Haute contribution : classes à part

Les compagnies aériennes peuvent-elles encore se surpasser en matière de service ? Depuis une décennie, on a assisté à une refonte complète des produits affaires et première chez la plupart des grands transporteurs. Après les années 90, qui ont vu la mise en service des super classes affaires dotées d’espaces entre les sièges de plus en plus généreux – le record étant actuellement détenu par Air New Zealand, Etihad et Virgin Atlantic avec un espacement de plus de deux mètres –, les années 2000 ont connu la généralisation des sièges-lits. Lancé d’abord en première classe, le siège-lit s’est étendu aux classes affaires chez la plupart des grandes compagnies mondiales.

Nouvelles classes affaires

Chaque année, le rituel veut que de cinq à dix transporteurs dévoilent leurs nouveaux produits au grand public promettant encore plus de confort, un siège encore plus incliné et une gastronomie toujours plus raffinée. L’année 2005 n’a pas dérogé à la règle avec le lancement de nouvelles classes affaires ou première sur China Southern, Eva Air, Malaysia Airlines et Thai Airways en Asie, Gulf Air au Moyen Orient, Finnair en Europe ou encore Air Canada et Delta Air Lines en Amérique du Nord. Et 2006 ne devrait pas être en reste. Le scandinave SAS a récemment lancé des sièges-lits tandis que la compagnie nationale d’Abu Dhabi, Etihad Airways, promet d’offrir un produit exceptionnel avec la mise en service de ses nouveaux avions.

Les compagnies américaines, financièrement décimées par le 11 septembre 2001, rattrapent le temps perdu depuis 2005 avec l’installation de sièges-lits en classe affaires. American Airlines a ainsi annoncé équiper l’ensemble de sa flotte de Boeing 767-300 et Boeing 777 de vrais sièges-lits à l’horizontale. Tous les B767 seront reconfigurés en 2006, les B777 en 2007. À mots couverts, les transporteurs américains reconnaissent avoir perdu au cours de ces dernières années des parts de marché en haute contribution avec un produit jugé désuet par rapport à la concurrence. “Nos passagers réclamaient plus de confort sur les vols long-courriers. Avec notre siège-lit et plus d’espace pour ceux qui souhaitent travailler, American Airlines proposera une classe affaires de niveau mondial”, explique Dan Garton, executive vicepresident marketing de la compagnie. Les détails du nouveau produit seront dévoilés en juillet, à Chicago, lors de la convention des agences de voyages d’affaires américaines.

Tous les cinq ans, on change

Mais c’est surtout du côté de British Airways que l’on peut s’attendre à quelques surprises. Depuis une vingtaine d’années, la compagnie britannique joue les pionniers dès qu’il s’agit d’innovation à bord. Elle fut non seulement la première à offrir une cabine privée avec un lit en première classe, mais ce fut aussi celle qui lança le concept du siège-lit en classe affaires. Le transporteur va consacrer 100 millions de livres à la mouture 2006, qui doit être présentée avant la fin de l’année au grand public. Il s’agit du plus gros investissement effectué depuis cinq ans par la compagnie britannique. “Le nouveau produit reprend les éléments qui ont fait l’actuel succès de notre siège-lit en Club World, mais va en plus créer de nouveaux standards de confort pour les voyageurs d’affaires”, a déjà annoncé Willie Walsh, le PDG de British Airways.

De fait, ce rythme de cinq ans est devenu la moyenne de l’industrie, la durée de vie d’un produit classe affaires et première s’étant sensiblement raccourcie au cours de la dernière décennie. Les nouvelles technologies sont les premières responsables de cette accélération. Si l’on prend l’exemple de la vidéo individuelle à bord, le chemin parcouru en quinze ans est remarquable. Au début des années 90, American Airlines ou Emirates proposaient aux passagers de première un lecteur vidéo individuel assorti d’un catalogue d’une cinquantaine de titres. Puis Virgin Atlantic, British Airways, Singapore Airlines lancèrent la vidéo individuelle avec cinq ou six chaînes télé disponibles. Aujourd’hui, un transporteur comme Singapore Airlines met à disposition à bord 60 films, 104 programmes télé, 80 jeux vidéos et 225 CD ; le tout à la demande. De leur côté, Lufthansa ou Emirates offrent la télévison en direct par satellite ou même sur Internet.

Confort physique et psychique

La course est donc engagée pour proposer le dernier cri de la technologie, et aussi le service le plus original. Car avec une offre à bord de haut niveau, mais de plus en plus standardisée, les compagnies aériennes doivent désormais faire marcher leur imagination pour affirmer leur identité. Selon des études faites par Air France auprès de ses passagers long-courriers, l’attente de ces derniers porte sur la qualité des espaces et des services. La durée des vols longue distance rend prioritaire la notion de confort à bord, avec une véritable synergie entre confort physique – être bien installé – et confort psychologique – se sentir détendu.

Les petites améliorations dans le service vont ainsi non seulement aider le passager à se relaxer mais aussi à rendre son voyage agréable. C’est en particulier sur la gastronomie que les compagnies travaillent ; un élément essentiel du voyage car le repas sert beaucoup à dissiper ce fond d’angoisse qui subsiste toujours un peu lorsque l’on prend l’avion. Beaucoup de compagnies proposent des menus concoctés par de grands chefs. Air France s’est ainsi adjoint les services de Guy Martin du restaurant Grand Velfour, à Paris, pour sa première classe et assure un service à la carte. En classe affaires chez Austrian, Gulf Air ou Lufthansa, des chefs sont à bord pour préparer les plats en temps réel. Singapore Airlines collabore avec des chefs provenant d’ horizons très divers : le Français Georges Blanc, le Singapourien Sam Leong, le Japonais Yoshihiro Mirata ou très récemment l’Indien Sanjeev Kapoor. Les spécialités créées par chacun peuvent être commandées à l’avance sur n’importe quel vol long-courrier. Sur SAS et surtout sur Alitalia, la machine à espresso est un must.

Améliorer les services au sol

D’autres transporteurs jouent volontiers la carte de la surprise. Si l’on peut regretter la disparition de l’espace massage de Virgin, il faut noter que Gulf Air a introduit des Sky Nannies pour s’occuper des enfants, que des cocktails maison et des tours de magie sont proposés par les stewards de la compagnie coréenne Asiana, qu’Austrian Airlines distribue des kits spa en affaires et que Japan Airlines change les couleurs des sièges et des plateau-repas au gré des saisons. Finalement, à défaut de massage, on pourra toujours déguster un excellent verre de vin avec son voisin de vol au bar de l’Upper Class de Virgin Atlantic.

Mais la vraie bataille des services s’est cependant transposée au sol. Des consignes de sécurité plus strictes ont passablement allongé les temps d’attente dans les aéroports. Les compagnies aériennes étudient donc des espaces exclusifs réservés à leurs passagers Premium.

Lufthansa a créé l’an passé une aérogare à Francfort uniquement consacrée aux passagers Première. “C’était une exigence de nos passagers First d’être totalement séparés des autres voyageurs dès leur entrée dans l’aérogare jusqu’à l’embarquement dans l’avion. Nous leur avons offert ce produit à Francfort avec une aérogare privative et un transfert jusqu’à l’avion en limousine. Du coup, notre chiffre d’affaires sur la première est en hausse de 30 %”, explique Thierry Antinori, vice-président services passagers chez Lufthansa. Emirate offre des facilités similaires, tout comme Qatar Airways qui construit actuellement une aérogare privative First à Doha. En Asie, Singapore Airlines et Thai ont des zones d’enregistrement spéciales avec l’assistance d’un concierge pour les passagers première.

Les salons ont également gagné en confort. British Airways offre depuis plusieurs années un spa avec massage à Londres-Heathrow, tandis que Malaysia Airlines a aménagé une salle de gym ainsi qu’un espace boulangerie dans ses salons de Kuala Lumpur. En termes de services, Virgin excelle une fois de plus. La compagnie de Richard Branson vient de consacrer 11 millions de livres à un salon comprenant plusieurs espaces, permettant au passager affaires de s’offrir une coupe de cheveu, un sauna, une séance de solarium ou un massage ; de se détendre autour d’un billard ; de visionner un film, de dîner, de savourer un cocktail ou simplement de se reposer sur la terrasse agrémentée d’arbres et de plantes. Comme l’a commenté Richard Branson le jour de l’inauguration, “avec notre nouveau Clubhouse, je pense que nos passagers upper class viendront plus tôt à l’aéroport pour profiter pleinement de notre palette de services !”

Le prix de l’exclusivité

La construction ou l’expansion des aéroports à travers le monde va permettre de systématiser ces espaces exclusifs pour les passagers haute contribution. Le réaménagement de Roissy 1 et 2 à Paris, la récente inauguration de l’aérogare 4 à Madrid ou la future ouverture du terminal 5 à Londres-Heathrow et de l’aéroport de Bangkok permettront bientôt de proposer à chaque voyageur le service le mieux adapté à sa classe de voyages.

Tout ce luxe a pourtant une conséquence pour le passager. Outre l’augmentation des tarifs moyens en première et affaires, il est de moins en moins facile aujourd’hui de se faire surclasser lorsque l’on voyage en classe économique. C’est probablement le prix à payer pour préserver une certaine aura d’exclusivité.