L’air du temps : Movida verte et Arty

Madrid fait peau neuve depuis une décennie, son modèle de croissance tourné vers les services et des infrastructures d’envergure ont donné une vraie impulsion à la capitale espagnole. Qui, se faisant, se fraie un chemin parmi les grandes de ce monde.
L’image que l’on se fait traditionnellement de Madrid et de son économie ne correspond pas exactement à la réalité”, lance Jesus Sainz, président de Promo Madrid, l’entité créée pour asseoir le rayonnement international de la capitale espagnole et de sa région. “Les gens pensent seulement au tourisme, mais il y a en effet bien d’autres secteurs d’excellence”, dit-il. Certes, depuis une décennie, le tourisme représente toujours une bonne partie des revenus de la région administrative. D’autant qu’entre 2003 et 2010, les résultats de ce secteur ont augmenté de 53 % et que la métropole espagnole est passée de la 23e à la 6e place au classement de l’International Congress and Convention Association (ICCA). Malgré la crise, Madrid a atteint les 10 millions de visiteurs en2010, trouvant ainsi sa place dans le cercle fermé des villes les plus courues d’Europe. Juste derrière Paris et Londres. Une vraie performance.
 
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Mais aujourd’hui, l’aura de la capitale espagnole dépasse de loin cette attractivité touristique. “L’économie madrilène est une économie moderne et globale, très ouverte et très libérale, car plus de 80 % de son PIB est basé sur les services”, explique encore le président de Promo- Madrid. De nouvelles mesures ont été prises récemment afin de faciliter le développement des affaires, avec la réduction des obligations d’ordre bureaucratique et la levée des taxes d’implantation pour les investisseurs, aussi bien espagnols qu’internationaux. “Ces cinq dernières années, Madrid a accueilli 69% des investissements étrangers réalisés en Espagne”, affirme encore Jesus Sainz.

Culturellement et historiquement, la capitale espagnole s’est d’ailleurs toujours nourrie de cette diversité ; ce qui témoigne, aujourd’hui plus que jamais, d’une grande ouverture d’esprit. Les chiffres à ce propos sont éloquents : 35% de la population madrilène vient d’une autre région d’Espagne et 17 % d’un pays étranger. Ces dix dernières années, principalement en raison de l’immigration, la communauté autonome de Madrid est passée de 5,5 à 6,5 millionsd’habitants.Aussi, on le comprend, investisseurs et entrepreneurs étrangers n’ont aucune difficulté pour s’implanter ici. La capitale espagnole est même la troisième métropole au plan européen en termes de présence de multinationales et totalise près de 90 % des sièges sociaux du pays.
 
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Les revenus des 5 000 principales entreprises espagnoles sont en effet pour moitié générés par des sociétés établies à Madrid. “La croissance de la région a longtemps oscillé autour des 4 %, et ce jusqu’en 2009. Elle se situe actuellement à 1,7 %, alors que l’Espagne enregistre une progression du PIB proche de 0,6 %”, reprend Jesus Sainz. Il est vrai qu’à elle seule, la communauté autonome compte pourprèsde20%duPIBnational, contre 17,7 % en 2005. Et c’est elle qui affiche, avec 30 000 euros, l’un des plus hauts revenus bruts par habitant du pays. Madrid présente également un taux d’emploi (proportion de personnes disposant d’un emploi par rapport à l’ensemble des personnes en âge de travailler) de près de 65 %. Un record, quand on sait que l’Espagne souffre d’un des plus forts taux de chômage de la zone euro.

Carrefour des continents

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L’un des atouts majeurs de la ville réside également dans sa position stratégique. Proximité historique oblige, Madrid a des liens étroits avec l’Amérique latine, qui se traduisent par le nombre de vols au départ de l’aéroport de Barajas –un tiers environ– à destination du sous-continent. Cette porte d’entrée sur un marché de plus de 500millions d’âmes explique que l’Espagne soit le deuxième investisseur étranger en Amérique latine après les États-Unis. Plateforme économique entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique du Sud, la métropole a tous les arguments nécessaires pour motiver les investisseurs. Consciente aussi de son rôle de carrefour au cœur de la péninsule ibérique, la région s’est par ailleurs lancée depuis une décennie dans de vastes projets d’améliorations de ses infrastructures. Désormais, un immense réseau de trains à grande vitesse, dont la plus récente ligne a été ouverte il y a quelques mois en direction de Valence, relie la capitale à tout le reste du pays, et bientôt au Portugal.

C’est l’une des raisons pour lesquelles 85 %des entreprises de logistique espagnoles sont basées dans la capitale. “La ville est devenue un véritable hub, aussi bien ferroviaire qu’aérien”, raconte Roberto Diez, conseiller export pour Ubifrance Espagne, “et c’est sans doute pour cela que, depuis trois ans, la région a repris la tête en termes de croissance et d’investissements étrangers en Espagne ; devant le Pays basque et la Catalogne”.
 
Malgré un endettement qui se situe autour des 15 milliards d’euros, la communauté autonome de Madrid mène la danse. Car, si ses projets d’envergure lui ont coûté – très – cher, c’est toute la dynamique de la ville et de la région qui s’en trouve métamorphosée. Parmi ces grands travaux, le plus impressionnant est sans doute celui de Madrid Río, un plan de réaménagement de tout un quartier le long des berges de la rivière Manzanares. Mais, avant cela, il y eut, entre autres, la réhabilitation de l’ancienne poste centrale où, cet été, s’est installée la nouvelle mairie qui aura coûté une bonne centaine de millions d’euros. Ouencore le grand centre de congrès IFEMA, près de l’aéroport, où deux pavillons ont été récemment inaugurés et qui compte chaque année près de 5millions de visiteurs. Ou l’aéroport Barajas qui, en 2006, s’est doté d’un quatrième terminal et de deux pistes. Et, enfin, de nouvelles routes, de nouvelles autoroutes et 200 km supplémentaires de lignes de métro en dix ans à peine pour offrir à la ville un des plus vastes réseaux au monde, et certainement l’un des plus modernes.
 
 

Regards vers le futur

Alors, il y a des dettes, bien sûr. Mais c’est parce que Madrid voit loin…très très loin. “Ces nouvelles infrastructures ont contribué à un plus grand rayonnement international de la ville, et donc à un développement du tourisme en général et du tourisme d’affaires en particulier”, reprend Roberto Diez. Surtout lorsque l’on sait que les coûts de l’organisation d’événements corporate y sont, comme à Berlin, parmi les moins chers d’Europe. Aujourd’hui, même au plan national, Madrid remporte la palme de l’attractivité devant Barcelone qui est pourtant longtemps restée entête des destinations espagnoles. Le tourisme, l’un des moteurs de l’économie à la fois espagnole et madrilène, est donc appelé à être renforcé, notamment grâce à une diversification et une spécialisation des secteurs vers les tourismes d’affaires, de santé ou encore l’e-tourisme. “Madrid est la région espagnole qui semble avoir le mieux su affronter le virage dû à la crise”, affirme Roberto Diez. D’ailleurs, les projets continuent. Le maire Alberto Ruiz- Gallardón a annoncé que sa ville se portait à nouveau candidate pour l’organisation des Jeux olympiques de 2020, et l’on parle déjà de la réhabilitation d’un stade situé près de l’aéroport.
 
 

L’innovation pour leitmotiv

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Avec Madrid-Barajas et le parc des expositions IFEMA comme principaux pôles de contribution au PIB, le secteur des services occupe aujourd’hui 83 %de la population active et s’est progressivement affirmé comme moteur essentiel de l’économie locale. Par ce grand mouvement de tertiarisation, Madrid est parvenue, sans conteste, au rang de place financière européenne. Un effort bienvenu pour s’extraire de la dépendance vis-à-vis du secteur immobilier, qui reste très importante au plan national. Or, quand le bâtiment ne va pas, c’est bien connu, rien ne va…“Si l’Espagne a été très touchée par la crise, c’est aussi en raison de l’explosion de la bulle immobilière il y a une dizaine d’années de cela”, explique Julie Muro, chef du secteur économique et financier au sein du service économique de l’ambassade de France. “Entre 2004 et 2008 ont eu lieu environ 800 000 mises en chantier, bien plus qu’en France ou au Royaume-Uni.

Aujourd’hui, le pays cherche à inventer un nouveau modèle de croissance plus productif, notamment dans le secteur de l’énergie renouvelable, avec un grand parc éolien, mais aussi dans les domaines aéronautique et aérospatial”, poursuit l’économiste. Deux domaines sur lesquels Madrid s’est déjà positionné et représente, avec plusieurs sites de production, près des deux tiers du secteur aéronautique espagnol.

Dans le but de stimuler l’innovation, la recherche et le développement, en particulier dans les domaines de la santé, de la sécurité, de l’aéronautique, mais aussi des médias et des énergies renouvelables, la communauté autonome a lancé Madrid Network en 2007. Son but : faire de la région l’une des dix plus avancées au monde et parvenir à la création de quelque 28000 emplois dans les secteurs porteurs. La stratégie : des clusters et des parcs technologiques, comme celui de Tres Cantos situé à une vingtaine de kilomètres du centre-ville. L’interaction entre universités, centres de recherche et jeunes entreprises spécialisées dans la haute technologie et les technologies de l’information est un modèle qui a déjà fait ses preuves ailleurs et que Madrid adopte avec enthousiasme. En tout, une douzaine de clusters ont été définis, dont l’aéronautique, la logistique, la biotechnologie et la santé, les technologies de l’information et de la communication, l’hôtellerie et la restauration, l’audiovisuel… mais aussi la finance, l’édition ou encore l’automobile, secteur où se distinguent d’ailleurs les entreprises françaises, avec la présence du groupe PSA notamment. Des sociétés françaises qui apprécient Madrid.

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“L’an dernier, nous avons domicilié 55 entreprises”, souligne Bertrand Barthélemy, directeur de la chambre de commerce française de Madrid. “Et, s’il fallait encore une preuve que les relations commerciales entre la France et l’Espagne ont toujours été bonnes, la chambre de Madrid, fondée en 1894, est l’une des plus anciennes au monde”.

 

L’heure espagnole

Sur les 1 200 filiales françaises que l’on dénombre en Espagne, plus de 500 seraient implantées dans la capitale espagnole, où les activités des Français se concentreraient principalement dans les services et refléteraient donc bien la tendance économique de la région. “Si le marché espagnol est déjà saturé et que les demandes d’implantation spontanées sont rares, il n’en reste pas moins qu’il est possible de percer dans les secteurs porteurs, notamment la grande distribution ou les produits haut de gamme qui bénéficient d’une très bonne image de marque”, ajoute le directeur. Mais conseil amical, “il ne faut jamais oublier que les Espagnols vivent à un autre rythme, que l’heure espagnole n’est pas une légende”, précise Bertrand Barthélemy. Ici, un rendez-vous à 13 h est un rendez-vous de “fin de matinée”. Les journées finissent tard; le tutoiement est souvent de rigueur ; les rapports professionnels appellent moins de distance qu’en France. Parfois, les réponses aux e-mails se font un peu attendre…“Il ne faut pas se formaliser, il faut s’adapter”, conclut le directeur. Mais à Madrid, avec ses 300 jours de soleil par an, il semblerait que le business ne puisse-t-être qu’au beau fixe.