
Un vrai paradoxe ! Alors que l’économie française vit en léthargie depuis plusieurs années, l’aviation d’affaires se porte de mieux en mieux. Ainsi, la flotte d’appareils d’affaires a progressé de 3,3 % en 2005, celle de l’Europe de 5,5 %. La prédominance des États-Unis dans ce secteur est absolue. L’Amérique détient 70 % des parts de marché de l’aviation d’affaires, contre 10 % pour l’Europe des Vingt-Cinq.
Pourtant, la France n’occupe pas une si mauvaise place au palmarès de l’aviation d’affaires. Elle possède le sixième parc d’appareils dans le monde et le second en Europe, derrière l’Allemagne. Paris-Le Bourget est le premier – ou le second selon certains critères – aéroport d’affaires en Europe, avec un trafic qui a atteint plus de 121000 passagers en 2005.Viennent ensuite des plates-formes comme Cannes-Mandelieu ou Lyon-Bron, qui comptent parmi les plus fréquentées du continent ; avec des taux de croissance annuels qu’envieraient certains grands aéroports.
Le succès des plates-formes d’affaires vient souvent d’une offre aérienne régulière inconsistante au départ des régions. Par exemple, Cannes-Mandelieu a vu son trafic passagers croître de 157 % de 2001 à 2005, Le Mans n’est pas en reste avec 175 % durant la même période tandis que Saint- Nazaire affichait une hausse de 105 % et cela malgré la proximité de l’aéroport international de Nantes-Atlantique.
Changement d’image
À quoi tient cette évolution ? Tout d’abord au changement d’image de l’aviation d’affaires. Car pendant longtemps, l’aviation d’affaires (ou aviation générale) a suscité dans l’inconscient collectif des réminiscences de séries des années 80 où de riches hommes d’affaires, les lunettes de soleil couvrant la moitié du visage, débarquent d’un avion sur un aéroport américain pour s’engouffrer immédiatement dans une limousine. Il a fallu plus d’une vingtaine d’années à la France pour venir à bout de ce cliché. “De plus en plus, les entreprises considèrent que l’avion d’affaires n’a rien de glamour, mais qu’au contraire, elle leur permet d’économiser du temps et donc de réaliser des économies substantielles. C’est aussi vrai pour une mission économique que pour un affrètement dans le cadre d’un voyage incentive”, explique Bruno Perdriel, directeur général de Pro Sky Airbroker, entreprise spécialisée dans la location d’avions. “Le secteur se démocratise. L’Europe rattrape son retard sur les États-Unis. Les entreprises ont compris que l’aviation d’affaires permettait de gagner du temps”, indique Laurence Ducerf, directrice commerciale et marketing d’Aero Services.
Au cours de la dernière décennie, et surtout ces trois ou quatre dernières années, l’aviation d’affaires a su attirer de nouveaux clients, en s’attaquant à un des marchés les plus prometteurs, celui des PME-PMI. “Je préfère parler d’aviation d’entreprise plutôt que d’aviation d’affaires. Car dans ma société, nous transportons plus souvent les cadres que les patrons des grosses entreprises françaises”, déclare Guillaume Collinot, gérant d’Aérovision, une société d’aviation générale basée à Toulouse. Les gains de productivité substantiels de l’aviation privée font en général pencher la balance chez les décisionnaires d’entreprise. Cela commence par les déplacements des hommes d’affaires qui représentent 40 % de l’activité de l’aviation générale. “Les affrètements pour un anniversaire ou le déplacement d’une star ne pèsent plus grand-chose dans notre activité”, affirme Guillaume Collinot.
Formalités plus rapides
Aujourd’hui, les contraintes de temps inhérentes à l’aviation régulière sont de plus en plus reconnues par les entreprises et vécues comme autant de contraintes potentielles. Les mesures de sûreté ont rallongé les temps de présence à l’aéroport ; les horaires des transporteurs réguliers empêchent d’enchaîner des rendez-vous en plusieurs lieux différents au cours d’une même journée, “une contrainte particulièrement vraie lorsqu’il s’agit de liaisons transversales province-province”, confirme Bernadette Deschamps, directeur de clientèle Aviation d’affaires chez le broker Air Partner ; enfin, les retards constatés avec les compagnies classiques ainsi qu’une baisse de la qualité des services jouent en défaveur du transport régulier. Reste alors la solution de l’aviation d’affaires.
Cette dernière apporte deux atouts essentiels : gain de productivité et flexibilité. Le temps de voyage se réduit au minimum grâce à des embarquements à la carte, rapides, et des possibilités d’effectuer une mission en moins d’une journée ; ce qui permet de diminuer les frais de mission tels que repas, nuitées d’hôtel ou heures supplémentaires rémunérées. De fait, l’avion prolonge l’activité du bureau car il permet de travailler durant le temps de vol. Pour Guillaume Collinot, d’Aérovision, la notion de confidentialité est un élément essentiel de l’aviation d’entreprise : “Imaginez par exemple, que dans un jet privatisé, un groupe d’avocats peut continuer de travailler sur un dossier sans craindre d’être écouté par des oreilles indiscrètes.”
L’autre atout est une souplesse garantie. “Il ne faut pas oublier qu’une compagnie aérienne d’affaires a des standards de service comparables à ceux d’un hôtel. Le personnel est totalement flexible et à la disposition du client. Le passager possède, par exemple, le portable du capitaine pour changer un horaire, si nécessaire”, explique Bernadette Deschamps d’Air Partner. Les autres avantages sont la possibilité d’utiliser des aérodromes non desservis par une ligne régulière. On en recense quelque 2 000 en Europe ! L’atterrissage sur de petites plates-formes permet des formalités d’embarquement et débarquement plus rapides et une totale souplesse dans les horaires, car ces aérodromes sont rarement saturés. “C’est l’équipage qui attend le client et non pas le contraire. Quant aux services de douane et d’immigration, ils sont souvent réduits à leur plus simple expression”, souligne encore Bernadette Deschamps.
L’apparition des formules de multipropriété dans l’aviation – dont les champions sont, entre autres, les entreprises NetJets et FlexiJet – ont apporté souplesse et flexibilité financière aux entreprises, et même aux particuliers. Au lieu d’entretenir une flotte d’appareils en propre, la multipropriété permet de disposer d’un quota d’heures annuelles sur un appareil, bien entendu, à un coût moindre. La multipropriété a connu en Europe un succès foudroyant. L’américain NetJets, devenu le plus grand opérateur d’Europe en aviation d’affaires, a vu son volume d’activité se démultiplier : depuis 2002, il s’est accru de plus de 1250 % !
Alors qu’en 2002, NetJets Europe ne comptait que 89 clients et quatorze jets en Europe, elle possède aujourd’hui 20 % de tous les avions à très long rayon d’action sur le continent et sa clientèle comprend plus de 1 200 organisations, entrepreneurs et voyageurs haut de gamme. NetJets vient du coup de commander 24 jets Falcon 7X chez Dassault Aviation, la plus grosse commande jamais enregistrée en Europe dans l’aviation d’affaires, un contrat de plus de 1,1 milliard de dollars. Les appareils, livrables à partir de 2008, permettront aux clients de NetJets de traverser d’un seul trait la ligne Paris-Los Angeles…
D’autres formules de location ont également vu le jour, tel un système de cartes de préachat d’heures de vol, qui permet d’offrir une aviation d’affaires complètement adaptée à la demande. En juillet dernier, Bombardier Flexjet, le programme de multipropriété du constructeur aéronautique Bombardier Aerospace et de Jet Solutions LLC, lançait la Flexjet 25 jet card, proposant un programme de vols à l’heure pour une carte prépayée de 25, 30 ou 35 heures, “la meilleure solution pour un choix optimal d’appareils, de souplesse de voyage et de rapport qualité/prix”, indiquait lors de la présentation du produit Sylvain Lévesque, vice-président marketing de Flexjet. La carte a une validité variant de 275 à 365 jours et est commercialisée, en France, par Aero Services.
Formules à la carte
Air Partner propose une formule similaire. “Il est facile pour une entreprise d’optimiser cette carte et, de plus, de tenir son budget voyages…”, affirme Gilles Meynard, directeur général France d’Air Partner. Généralement, l’affrètement d’un vol affaires revient à peine plus cher qu’un vol régulier “dès que l’on voyage à plusieurs et surtout si on effectue plusieurs touchers dans la journée”, précise Bruno Perdriel. Sa société Pro Sky propose même sur son site Internet de simuler le coût d’une location d’avion selon les critères de son interlocuteur (voir encadré). L’aviation d’affaires ne sert pas seulement à transporter quelques hommes d’affaires en tournée. Elle sert de plus en plus au transport de larges groupes d’entreprises, qui assistent à un congrès ou une réunion ou bien encore qui effectuent ce que l’on appelle désormais un roadshow, c’est-à-dire la tournée de plusieurs sites appartenant à l’entreprise.
Ce type d’opération demande une organisation plus sophistiquée, dont le soin revient généralement aux courtiers d’avions, chargés de trouver le meilleur appareil au meilleur coût. “Nous sommes en mesure de mobiliser pour une opération tout type d’appareil, du jet de sept places à un Boeing 747 de 300 sièges, si cela s’avère nécessaire. Nous constatons par exemple une très forte demande depuis quelque temps pour les business jets, ces avions de type Airbus A320 ou Boeing 737 équipés uniquement d’une classe affaires”, indique Laurent Battard, directeur des ventes de Pro Sky France. La flotte virtuelle – celle que le courtier a la possibilité de mobiliser – peut comprendre plusieurs centaines d’appareils, offrant un choix quasi infini au client.
Les équipages viennent le plus souvent des pays d’Europe occidentale, où les critères de sécurité et de maintenance sont les plus stricts. “La France est parmi les plus rigoureuses en matière de sécurité et de bonne maintenance des appareils, souligne Bernadette Deschamps. En revanche, la France reste chère et nous faisons régulièrement appel à des équipages étrangers, de Belgique, d’Allemagne ou d’Autriche, où les coûts d’exploitation sont plus raisonnables.”
Un important volet pour la location d’appareils de grande capacité reste le voyage de motivation. “C’est un domaine qui connaît une forte poussée, cependant avec certaines évolutions par rapport à ce que l’on constatait il y a quelques années, remarque Bruno Perdriel. La crise économique, les nouvelles mesures de sécurité ont en fait recentré les déplacements incentive sur des destinations proches du Bassin méditerranéen ou en Europe. “L’Europe centrale avec Prague, mais aussi le Maroc et l’Espagne sont très populaires”, poursuit le directeur de Pro Sky France.
Là encore, la notion d’excellence et de personnalisation dans le service crée toute la différence avec une compagnie régulière. Pour Pro Sky, affréter un avion pour une entreprise privée peut permettre de pavoiser l’avion aux couleurs de l’entreprise avec têtières de sièges siglées aux noms de la société, couleurs personnalisées des bouquets de fleurs ou repas particulier. “Je dois reconnaître que le côté très luxe – caviar, champagne à flot façon jet-set –, n’est plus vraiment de mise. Au contraire, nos clients recherchent l’efficacité et la discrétion”, explique Bruno Perdriel. Signe certain de sa banalisation, l’aviation d’affaires adopte tous les signes d’une certaine normalité.
Le triomphe de l’aviation d’affaires
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Préachat d’heures de vol