Enquête : grands voyageurs au quotidien

Le quotidien des voyageurs d’affaires est fait de nouvelles habitudes high-tech, de petites astuces pour limiter le stress des déplacements professionnels, de choix personnels quant à l’hôtel ou la place dans l’avion. Témoignages de cadres nomades toujours entre deux trains ou deux avions.
Les grands hubs n’ont pas de secrets pour les voyageurs qui essaient de limiter le temps passé en formalités d’enregistrement et de sécurité. (En photo, le terminal 2F de Paris CDG).
Les grands hubs n’ont pas de secrets pour les voyageurs qui essaient de limiter le temps passé en formalités d’enregistrement et de sécurité. (En photo, le terminal 2F de Paris CDG).

Ah, ce satané temps qui refuse obstinément de suspendre son vol… Chaque jour, des millions de voyageurs d’affaires se battent contre toutes les horloges du monde, courant du taxi à l’avion, d’hôtels en rendez-vous. Du coup, ils sont bien obligés de trouver chacun ses petites astuces, ses petites habitudes pour rendre les déplacements plus productifs et moins stressants, se fixant parfois des règles très simples comme éviter d’avoir des bagages à enregistrer par exemple. C’est le premier conseil que donnait récemment le PDG de Marriott Arne Sorenson sur le site du groupe hôtelier. Thomas Jonglez, ancien cadre chez Usinor reconverti depuis 2005 dans l’édition de guides touristiques, est lui aussi adepte du voyage “light” : “Que ce soit pour dix jours ou pour six mois, sauf à de rares exceptions, je ne me déplace qu’avec un bagage cabine. J’emporte avec moi huit ou dix chemises ; je me débrouille, je les fais laver, repasser. Cela évite le risque de perdre mon bagage et, surtout, cela fait gagner un temps précieux à l’enregistrement et à l’arrivée.

Perte des bagages, retards et annulations, peur de manquer l’avion, files d’attente interminables aux contrôles de sécurité : les motifs de stress lors d’un voyage d’affaires sont aussi nombreux que variés. Une étude publiée en début d’année par Booking.com montre que 93 % des voyageurs sondés éprouvent du stress à un moment ou un autre de leur déplacement. Heureusement, dans leur quête d’efficacité, les grands voyageurs trouvent aujourd’hui de nouveaux alliés avec les fonctionnalités technologiques intégrées dans les smartphones. “Tout est dans mon téléphone ; la carte d’embarquement, l’application de la compagnie qui me prévient si le vol a du retard ou si la porte de départ a changé, explique Stéphane Estryn, directeur des fusions-acquisitions de Publicis Groupe. Tous les petits frottements lors des déplacements sont ainsi éliminés. Vous vous enregistrez pour votre vol depuis votre téléphone en entrant dans le taxi, vous arrivez à l’aéroport et, si vous êtes voyageur fréquent, vous passez rapidement les contrôles pour aller au salon. J’aime bien ce côté ‘seamless’, facile et fluide.”

La dématérialisation des billets et des cartes d’embarquement simplifie la vie des voyageurs.

La dématérialisation des billets et des cartes d’embarquement simplifie la vie des voyageurs.

Dans le cadre d’un parcours plus fluide au sein des grands hubs mondiaux, la banalisation des kiosques automatiques – qui, d’une certaine manière, pourrait passer pour un moindre service de la part des compagnies et des opérateurs aéroportuaires – trouve aussi grâce aux yeux des voyageurs. Selon le sondage annuel conduit par SITA, leader mondial des technologies destinées au transport aérien, 56 % des voyageurs ayant utilisé la dépose bagages automatique plébiscitent cette solution. Pour Francesco Violante, PDG de SITA, “une fois que les passagers ont commencé à utiliser les kiosques pour faire leur check-in, les portes automatiques et autres nouvelles technologies, ils préfèrent continuer à les utiliser plutôt que de revenir à l’interaction humaine.” Ce sentiment est confirmé par une étude conjointe de la Global Business Travel Association et du GDS Sabre montrant que plus de 70 % des voyageurs d’affaires – un peu moins en Europe du Nord et en Allemagne – favorisent les technologies en self-service pour gérer leurs déplacements.

Mais c’est aussi par leur aptitude à gérer les aléas des voyages que les solutions high-tech sont largement adoptées par les cadres nomades. Expert en sécurité chez Saretech, Pierre Guillemin effectue de nombreux allers-retours par mois en France, en train majoritairement, et apprécie particulièrement de pouvoir modifier son parcours à loisir via l’application de la SNCF. “Je sais toujours quand je pars, mais jamais précisément quand je reviens. Neuf fois sur dix, je dois échanger mon billet à la dernière minute. Grâce au smarpthone, c’est extrêmement facile”, explique ce voyageur qui note aussi que “l’appli peut limiter le stress, par exemple en indiquant la voie de départ quand vous n’avez que quelques minutes pour changer de train.

Pour sa part, et pour ce qui concerne l’aérien, Stéphane Estryn consulte souvent le site Flightradar24afin de voir où se trouve l’avion qui vient me chercher. Par exemple, un des vols Air France entre Sao Paulo et Paris arrive en fin d’après-midi pour repartir quelques heures plus tard. Si je sais qu’il a du retard sur son plan de vol, c’est intéressant. Cela ne veut pas dire que je vais partir plus tard pour l’aéroport, mais au moins je suis au courant en amont. Et, le cas échéant, je peux anticiper sur d’éventuels longs retards ou annulations.

Comme beaucoup, ce voyageur chevronné passe des heures et des heures en avion. “C’est un peu ma deuxième maison, dit-il. Du coup, j’aime y être comme chez moi.” Ainsi, s’il vole sur des types d’appareils qu’il ne connaît pas ou sur des compagnies autres qu’Air France, privilégiée par son entreprise, vérifie-t-il souvent la qualité des places qui lui sont proposées sur SeatGuru, le site de référence concernant les cabines d’avion lancé par un voyageur fréquent, Matthew Daimler, avant d’être racheté par TripAdvisor en 2007. “Dans les Boeing B777, je n’aime pas être au premier rang, car il y a moins de place, explique Stéphane Estryn. Dans les Airbus A340, je préfère être à l’avant de la cabine, car il fait plus froid au milieu, et dans les A380 plutôt en haut. Sur ce type d’appareil, la classe Affaires est moins bruyante que la Première par exemple.” “Je demande toujours un siège couloir, ajoute-t-il, mais peu importe qu’il soit sur les rangées de côté ou la rangée centrale.

Ce qui est assez rare parmi les grands voyageurs. “Jamais le milieu, côté hublot pour un vol de jour et couloir pour un vol de nuit” : ce sont les exigences de Jean-Claude Bronner, aujourd’hui en fin de carrière après avoir occupé des postes de direction à l’international dans de nombreuses maisons de luxe comme Lanvin, Christofle, Lancel, Hédiard et Lenôtre. “Je me suis vraiment éclaté pendant mes voyages. Les entreprises étaient moins regardantes à la dépense à l’époque, mais c’est vrai aussi qu’il y avait moins de voyageurs d’affaires, se souvient-il. Par exemple, chez Lanvin à la fin des années 70, j’étais un des rares à me déplacer au sein de l’entreprise. J’avais 23 ans et j’étais le seul de cet âge à voyager en Première. A l’époque, la classe affaires n’existait pas. Il faut aussi remarquer que le confort dans les années 80 ne valait pas celui des business d’aujourd’hui. Il fallait prendre un bon bouquin, car on s’ennuyait assez vite. Puis les films à la demande sont arrivés, mais à heures fixes. Aujourd’hui, le choix est illimité.

Avec des systèmes de divertissement en vol toujours plus étoffés, les heures passées en avion semblent en effet de moins en moins longues. Mais à quoi sont-elles réellement consacrées ? Selon un sondage réalisé fin 2015 par British Airways auprès de 800 voyageurs d’affaires français, la plupart d’entre eux partagent ce temps libre entre lecture (72 %), repos (51 %), films (41 %) et un peu de travail (49 %). Mais, avec l’essor du WiFi en vol, cette part dédiée au travail pourrait-elle être amenée augmenter ? “J’utilise le WiFi à chaque fois qu’il est disponible”, précise Jean-Claude Bronner. De son côté, Stéphane Estryn est plus circonspect : “j’aime le côté déconnexion en vol. Je comprends que le WiFi soit une demande, mais à titre personnel, je n’y suis pas favorable. Imaginez que vous receviez une réponse négative d’un client pour un gros contrat ou un mail incisif de votre patron, vous avez envie de les appeler directement pour avoir des explications ou pour éteindre l’incendie. Ça vous évite d’y penser pendant les 10h restantes de vol.”

Les longues heures passées en avion sont consacrées au repos et à la détente. Même si l’apparition du WiFi pourrait changer les habitudes.
Les longues heures passées en avion sont consacrées au repos et à la détente. Même si l’apparition du WiFi pourrait changer les habitudes.
Comme les Eurostar circulant entre Paris et Londres (en photo), le train à grande vitesse offre un cadre propice pour travailler.
Comme les Eurostar circulant entre Paris et Londres (en photo), le train à grande vitesse offre un cadre propice pour travailler.

Or, s’il est un impératif constant pour arriver frais et dispos à destination, c’est de voyager l’esprit serein et de bien dormir. Ce qui suppose parfois quelques aides extérieures… “Il m’arrive de prendre un comprimé de Stilnox ou, pourquoi pas, un petit digestif à la fin du repas, dévoile Andrea Gardella, directeur général de Banco Cacique. En vol, j’apprécie de bien manger, si possible des plats en lien avec le pays de la compagnie, du foie gras et des fromages sur Air France, du jambon de Parme sur Alitalia, le tout accompagné de bons vins.

Si les grandes entreprises autorisent généralement leurs collaborateurs à voyager en classe affaires sur les longs parcours, tel n’est pas toujours le cas pour les établissements publics où un directeur de recherche peut par exemple préférer voyager en classe éco pour ne pas grever le budget dédié à son équipe, quitte à passer une nuit supplémentaire sur place pour se reposer. De son côté, se déplaçant pour son propre compte, Thomas Jonglez voyage en classe affaires quand les offres proposées sont accessibles, mais choisit le plus souvent la Premium Economy. “Cependant, quand j’ai un rendez-vous tôt le matin de mon arrivée, j’utilise mes miles pour un surclassement afin de ne pas arriver fatigué, précise-t-il. Comme je fais des voyages triangulaires, par exemple des Rio-Los Angeles-Paris, je me sers aussi régulièrement de ces miles pour acheter des allers simples qui coûtent souvent aussi chers qu’un aller-retour.

Les programmes de fidélité, tant appréciés pour les fameux miles, restent toujours un critère de choix important pour les grands voyageurs. Cependant, l’essor des compagnies low cost a semble-t-il un peu balayé les vérités établies de certains voyageurs. “J’en suis un peu revenu des miles. Ce n’est plus la même obsession qu’avant, explique Serge Marchais, analyste financier. Je m’en sers pour des surclassements en business ou pour acheter des billets à la dernière minute lorsque ceux-ci sont hors de prix. Mais je préfère autant prendre des compagnies moins chères comme Vueling plutôt que d’accumuler des miles”.

Je prends souvent easyJet et Vueling – jamais Ryanair, le service est détestable – pour faire des parcours entre plusieurs villes, décrit Thomas Jonglez. Cependant, si Air France proposait des vols aller simple, même à 40 euros de plus, je prendrais cette compagnie pour pouvoir bénéficier des services liés au programme de fidélité, en particulier les coupe-file business et l’accès au salon pour travailler au calme.” Car, à côté de l’accumulation de miles, le fait d’être membre privilégié offre surtout des avantages pratiques dans le quotidien affairé des voyageurs. “Il m’est arrivé de faire un vol d’une heure et de poireauter ensuite une heure et demi au comptoir pour avoir une voiture de location. être client fréquent d’un loueur, Avis pour ma part, est une nécessité pour pouvoir disposer d’une voiture directement à mon arrivée, se rappelle Pierre Guillemin. C’est déterminant pour mon activité.

Si l’argument “fidélité” joue aussi en ce qui concerne l’hôtellerie, en revanche les choix sont beaucoup plus variés du fait de la diversité de l’offre,mais aussi des goûts personnels. Assez tranché dans ses choix, Serge Marchais privilégie “soit des établissements économiques de chaînes comme Ibis ou Motel One, soit de très beaux hôtels une ou deux fois l’an. L’entre-deux n’a aucun intérêt pour moi.” De son côté, Stéphane Estryn descend essentiellement dans des Marriott, Westin, Sheraton ou des W s’il y en a. “Ce que je demande avant tout à mon hôtel, c’est d’être fonctionnel, bien placé et d’avoir une salle de fitness pour pouvoir faire du sport, le matin lorsque je suis aux États-Unis et le soir si je suis en Asie”, explique-t-il.

Design ou fonctionnels, les hôtels se doivent avant tout d’être bien situés pour de nombreux voyageurs. Même si certains privilégient le charme du lieu à tout autre élément.

Design ou fonctionnels, les hôtels se doivent avant tout d’être bien situés pour de nombreux voyageurs. Même si certains privilégient le charme du lieu à tout autre élément.

À l’inverse, Thomas Jonglez fuit les hôtels de chaîne : “les Hilton, les Sheraton et même les Four Seasons ont tous un côté impersonnel, très corporate. Leur service n’est pas aussi bon que celui des petits hôtels où vous devenez rapidement de vrais habitués. Par exemple, à Edimbourg, le Prestonfield est peut-être un peu éloigné, à un quart d’heure du centre-ville, mais quel charme a ce manoir de 15 chambres au chic anglais ! En revanche, je n’aime pas les hôtels design, un peu froids à mon goût. En voyage, on a envie de se sentir chez soi, dans un univers chaleureux et confortable.” De son côté, Andrea Gardella estime qu’“à partir du moment où le prix est inférieur à la limite fixée par mon entreprise, la localisation est le critère de choix numéro un pour pouvoir tout faire à pied depuis mon hôtel. Viennent ensuite la possibilité d’accumuler des points et le charme de l’hôtel. Clairement, s’il n’y a pas de programme de fidélité, je préfère de loin un boutique hôtel.” Ce voyageur ajoute un dernier critère, essentiel pour les cadres nomades, celui d’accéder au WiFi gratuitement et surtout facilement: “C’est à dire sans devoir entrer sur une page internet, avoir à cliquer sur plusieurs liens pour s’enregistrer, laisser son contact pour ensuite recevoir des emails promotionnels à gogo… Je ne conçois pas que ce service soit encore payant dans certains hôtels et encore plus dans des lounges de compagnies aériennes.

Concurrent de l’hôtellerie traditionnelle, l’hébergement alternatif, très tendance sur le volet loisirs, est-il déjà entré dans les plans des voyageurs ? “Je me suis rendu à Berlin pour une conférence à l’hôtel Adlon. J’ai loué un appartement par Airbnb juste à côté et cette solution s’est révélée parfaite”, raconte Serge Marchais. Reste que tous les voyageurs n’ont pas encore sauté le pas. “Je n’ai pas encore essayé, mais cela pourrait bien être le cas prochainement”, estime Andrea Gardella.

Le phénomène VTC n’a pas échappé aux voyageurs d’affaires qui, pour nombre d’entre eux, utilsent Uber.
Le phénomène VTC n’a pas échappé aux voyageurs d’affaires qui, pour nombre d’entre eux, utilsent Uber.

Parmi tous ces nouveaux entrants qui animent aujourd’hui les déplacements professionnels, si Airbnb n’est pas encore totalement entré dans les mœurs business, les VTC ont, pour leur part, déjà largement fait leur place. Avec un nom qui revient sur toutes les lèvres, celui d’Uber, utilisé par la plupart des cadres nomades lors de leurs déplacements. “J’utilise aussi Chauffeur privé à Paris et easytaxi en Amérique du Sud. Ce sont de vrais chauffeurs qui connaissent la route et ne suivent pas leur GPS. A Sao Paulo et à Rio, comme Uber d’ailleurs, cela coûte 30 % moins cher que les taxis locaux”, remarque Thomas Jonglez. Technologie, efficacité et coûts modérés : un triptyque qui dessine les contours du voyage d’affaires de demain.

Bleisure, bleisure. Vous avez dit bleisure ?

Selon une étude publiée par Booking.com Business, 49 % des salariés français joignent l’utile à l’agréable en associant déplacement d’affaires et séjour loisirs. Certains arrivent le week-end précédent pour découvrir la ville avant une réunion le lundi matin ou à l’inverse de prolonger. à écouter les voyageurs, cette tendance semble en effet être largement installée dans le monde professionnel. “Il m’est couramment arrivé de rester sur place le week-end”, dit Serge Marchais. “Je fais cela toutes les fois que je peux, souligne Andrea Gardella. En venant de Sao Paulo, quand la compagnie aérienne permet de faire une escale longue, cela donne le temps de passer un week-end dans une capitale européenne en payant juste l’hôtel”.

Quelquefois, le bleisure est aussi l’affaire de quelques heures, le temps de s’aérer l’esprit et de se cultiver. Thomas Jonglez, avec ses guides sur les lieux insolites et secrets des grandes villes, cible justement les voyageurs d’affaires qui reviennent régulièrement dans les mêmes destinations : “lors d’un déplacement professionnel, on a toujours deux à trois heures, voire une demi journée à consacrer à la visite de la ville”.