
«La notion de voyage a commencé pour moi dès l’enfance. Mes parents avaient compris que j’aimais la nature, et tous les étés nous allions visiter l’Europe et ses jardins botaniques. Cela m’a fasciné de découvrir le jardin exotique de Monaco avec toutes ces cactées qui poussent sur un rocher, la serre froide de Lisbonne avec ses fougères arborescentes ou encore le jardin La Concepcion de Malaga et sa végétation subtropicale. Comme nous habitions Suresnes, le bois de Boulogne m’enchantait aussi avec ses cascades où poussaient toutes sortes de fougères et de mousses.
Puis m’est venue une passion pour les poissons tropicaux et les plantes aquatiques, surtout les Cryptocorynes provenant de l’Asie du Sud-Est. À 19 ans, en 1972, je suis parti à leur recherche dans le parc national de Khao Yai en Thaïlande. Un choc que cette forêt tropicale ; chaude et humide, où vivent encore des tigres dont on croisait parfois les empreintes sur les sentiers. Ça faisait un peu froid dans le dos sachant que, d’après la légende, c’était le dernier de la file qui risquait d’être attaqué…
Puis de Bangkok, j’ai rejoint en train l’île de Penang en Malaisie. Un voyage merveilleux de vingt-quatre heures, à un prix dérisoire. Les couchettes étaient larges avec de vrais draps, on pouvait rester des heures au wagon-restaurant en buvant de la bière. C’était pour moi une ambiance tout à fait inhabituelle.
Les années qui ont suivi mes études en botanique tropicale, je suis d’abord parti en Asie et en Guyane observer la dynamique de croissance des Aracées, des plantes de la famille du Philodendron. Puis en 1976, en tant que jeune chercheur, j’ai passé quatre mois entre la Thaïlande, la Malaisie et Bornéo. Au Sarawak, nous étions hébergés dans une longhouse chez les Dayaks. J’ai demandé au chef de tribu s’il y avait des Cryptocorynes à proximité, il m’a répondu qu’il n’en trouvait que très loin. Le lendemain, lors d’une balade, j’en ai trouvé dans un ruisseau au-dessus duquel il passait tous les jours. Parfois, les peuplades locales ne connaissent pas tout de leur environnement et cela donne lieu à de merveilleux échanges.
J’ai eu d’autres émotions quand Nicolas Hulot m’a invité en tant que botaniste dans l’émission Ushuaia. Notamment en 1996, lors de la montée de la chaîne du Ruwenzori en Ouganda. C’était un peu périlleux, car l’équipe passait de 1 500 à 5 000 mètres avec le risque du mal des montagnes et le manque d’oxygène. Selon mon habitude, j’avais un sac en bandoulière et des Pataugas aux pieds. Tout le monde me reprochait d’être mal chaussé, mais après avoir pataugé dans les marais glacés, mes Pataugas séchaient le soir en peu de temps, contrairement aux chaussures “officiellement” de marche. Au Venezuela, il m’a fallu descendre dans un gouffre de quatre cents mètres. Suspendu au-dessus du vide, j’ai dû attendre plusieurs heures avant que le soleil ne fasse son apparition pour commencer le tournage.
Les murs végétaux que j’ai inventés il y a maintenant une quarantaine d’années m’ont permis d’en créer de Hong Kong à San Francisco en passant par Sydney, Singapour, Dubaï, Berlin ou Miami. Dernièrement, j’étais à Kuala Lumpur, où Jean Nouvel construit deux grandes tours. Je lui ai proposé d’y faire grimper plus de cent espèces de lianes, soit le premier jardin botanique en suspens. L’Asie met ainsi à l’honneur mes travaux de recherche. Quant aux Chinois, ils me vénèrent comme un Dieu du végétal. Dans ce pays, les copieurs se comptent maintenant par milliers et c’est leur plus grand hommage !»
Ses dates clés
1953 : Naissance à Issyles-Moulineaux, à la clinique des feurs.
1982 : Recrutement comme chercheur au CNRS.
1986 : Mur végétal de la Cité des sciences et de l’industrie à Paris.
1993 : Lauréat de l’Académie des Sciences.
2005 : Mur végétal du musée du quai Branly, à Paris.
2014 : Les plus hauts murs végétaux du monde à Sydney et Kuala Lumpur, avec Jean Nouvel
Le mur végétal de la nature à la ville, Patrick Blanc, éditions Michel Lafon.