Réaménagement urbain : 25000 arbres pour un nouveau quartier

Prétendre au rang de grande capitale économique ne passe pas seulement par la construction de quartiers d’affaires. Madrid, pour sa part, démolit… son autoroute gênante. Pour renaître plus verte, plus forte.

Dans l’histoire des métropoles mondiales, rares sont les projets urbains d’envergure à s’étirer sur des kilomètres et des kilomètres. Pourtant, à Madrid, cela s’est vu déjà deux fois. D’abord en 1910, avec le percement de la célèbre Gran Via, l’artère emblématique de la ville qui fut finalement achevée en 1929. Puis aujourd’hui, avec ce “Madrid Rio” et ses sept kilomètres de berges réaménagées le long de la rivière Manzanares. Après des décennies d’une ville coupée en deux par l’autoroute M-30, une des plus encombrées d’Espagne avec près de 100 000 véhicules par jour, on peut désormais rejoindre à pied les jardins du Palais royal depuis la Casa de Campo, ancien domaine de chasse des rois d’Espagne. Le secret de cette révolution : l’autoroute est désormais enfouie à plusieurs mètres sous terre. “Madrid Río n’est pas seulement un projet d’espace public pour la ville, mais aussi pour l’ensemble du territoire”, s’enthousiasme José Luis Infanzon, sous-directeur général des projets d’urbanisation de Madrid.

Tout a commencé il y a huit ans, lorsque le maire, Alberto Ruiz-Gallardón, prit la décision de recouvrir une partie du périphérique madrilène. La première phase, qui a consisté en la construction de tunnels principalement, a duré plus de quatre ans. “La proximité de l’eau a rendu la tâche particulièrement difficile et surtout très onéreuse”, explique José Luis Infanzon. En effet, ces grands travaux ont coûté au total la modique somme de… deux milliards d’euros. En comparaison, l’aménagement des berges et des jardins ne serait presque qu’une broutille avec ses trois cent millions d’euros dépensés. C’est pourtant à de grands architectes que la ville a fait appel pour cette seconde étape. Notamment Dominique Perrault, qui a signé la passerelle d’Arganzuela. “Il a tenu absolument à contribuer à Madrid Rio en créant ce superbe ouvrage”, explique l’urbaniste.

Depuis quelques mois donc, la ville s’épanouit dans une continuité d’espaces verts et se voit ainsi reliée à la nature environnante. Car il est désormais possible, en longeant la rivière, de rejoindre à pied les montagnes, distantes d’environ 80 km. Mais ce grand projet – vaste programme, puisqu’il s’agit, au passage, du plus important réaménagement urbain d’Europe de ces dix dernières années – n’apportera pas seulement bien-être et confort aux Madrilènes.  

À terme, Madrid Rio sera également un développement immobilier d’envergure. Déjà, cafés et restaurants commencent à voir le jour autour des 100 hectares de jardin et des 25 000 arbres qui s’étirent le long de l’eau, soit l’équivalent du parc du Retiro. De nouveaux logements devraient sortir de terre ; d’autres être rénovés et adaptés aux normes écologiques actuelles. “On parle également de la construction d’un théâtre et de la réhabilitation de l’ancien ministère de l’environnement pour accueillir un musée de l’eau”, conclut José Luis Infanzon, en précisant qu’un projet de bus électrique circulant le long des sept kilomètres pourrait se concrétiser dans un avenir assez proche.

Un projet à la fois vert et arty

Pour les voyageurs d’affaires, c’est un premier hôtel business quatre étoiles qui a ouvert en janvier 2011, mettant ainsi en relief le potentiel de ce quartier en devenir. Le Ribera del Manzanares, de la chaîne espagnole NH, s’est offert une position stratégique, juste au bord de l’eau. Ici, la fonctionnalité prime, avec un jardin où l’on peut organiser des événements, des chambres ultra équipées et 440 m2 d’espaces de réunions. “En tant qu’hôtel d’affaires, l’intérêt d’être situé près de la rivière, c’est de pouvoir organiser toutes sortes d’activités corporate et incentive, notamment sportives”, explique Nieves Torres Mercado, porte-parole du NH Ribera del Manzanares. La proximité de la Casa de Campo, l’un des plus grands lieux de congrès à Madrid, est un autre élément porteur pour ce nouvel hôtel. Mais pas seulement. Car, à deux pas, un vaste centre culturel, Matadero Madrid, a commencé d’ouvrir ses portes dans un ancien abattoir du début du XXe siècle. Un site exceptionnel de plus de 150 000 m2 dont la réhabilitation a coûté plus de 100 millions d’euros.
 
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“Matadero Madrid a été conçu en parallèle avec le projet de Río. Toutefois, leurs destins sont étroitement liés”, explique Pablo Berástegui, coordinateur général de Matadero Madrid. “Matadero Madrid marque la frontière entre la ville et le parc. Mais c’est une frontière poreuse, qui permet de relier le nouvel axe vert à l’axe culturel Prado-Recoletos, qui se prolonge ainsi vers le sud grâce à l’ajout de nouveaux espaces tels que la Casa Encendida, un autre centre culturel logé dans une ancienne fabrique de tabac”, poursuit le coordinateur.

Dans de très beaux hangars, gigantesques, ornés de pierres, tuiles et faïences anciennes, le Matadero Madrid a été rénové avec un soin inouï. Dessous ses nombreuses nefs à hauts plafonds, on expose aujourd’hui des œuvres de photographes, de vidéastes ou de peintres, ou bien encore sous celles consacrées à la littérature, au design, à l’architecture, à la musique ou au cinéma. Mais, surtout, ce centre d’art contemporain haut de gamme est ultra équipé. Ainsi, dans ce lieu bien dans l’air du temps, on pourra demander à de jeunes artistes de concocter la mise en scène et les décors d’une réunion corporate complètement originale ; avec jardins ou installations éphémères. Du féerique, de l’absolument unique. Mais pour des réunions plus traditionnelles – en apparence – , il sera aussi possible d’opter pour l’une des deux salles de projection de la Cineteca du Matadero, un lieu high tech dont la décoration a été conçue à partir de tuyaux d’arrosage.
 
“Depuis sa création, le complexe est divisé en plusieurs bâtiments, chacun dédié à une discipline artistique ou à une activité spécifique : l’Entrepôt 16 pour les arts visuels, la Nef de la Musique, les bâtiments del Español pour les arts de la scène, la casa del Lector, l’Intermediae en direction de la médiation avec le public et le quartier…”, reprend Pablo Berástegui. Et comme le font les Madrilènes, le voyageur d’affaires curieux pourra venir travailler, ordinateur sous le bras, dans l’une des salles – avec WiFi gratuit – prévues à cet effet. Il lui sera même possible de passer la journée dans cette “ville dans la ville” sans même avoir à en sortir. Car ici, on trouve vraiment de tout, et même deux restaurants. L’occasion de constater que ce nouveau quartier au bord du Manzanares a vraiment repris vie. Et que Madrid a, par la même occasion, retrouvé tout son sens. Celui du nom arabe de ses origines, Magrit : “le lieu où l’eau abonde”.