Grâce à une loi de quotas instaurée dans les années 90, l’Argentine est, avec le Costa Rica, le pays d’Amérique latine qui compte le plus de femmes au parlement – près de 40 % –, là aussi loin devant la France. De même, des ministères régaliens, traditionnellement réservés aux hommes, sont désormais aux mains de femmes. Tout comme la Banque centrale d’Argentine. Le stéréotype du pays latinomacho s’éloigne à grands pas…
“Aujourd’hui, l’Argentine n’est peut-être pas encore un paradis d’égalité professionnelle, mais le pays se positionne bien”, explique María Inés Caruso, directrice de l’une des plus grandes marques de luxe du pays, nommée en 2011 parmi les “100 Leading Women” du pays par le magazine Apertura. Cette héritière du groupe Rossi & Caruso, une entreprise née dans la seconde moitié du XIXe siècle, en est devenue la numéro un dans les années 80. Elle a depuis étendu le réseau de la marque et compte bien passer un jour le flambeau à sa fille. À une jeune trentenaire donc, qui entend internationaliser l’affaire. Pour elle, être vouée à devenir la capitaine d’une prestigieuse entreprise n’a jamais été source d’inquiétudes. “En école de commerce, je n’ai ressenti aucune différence entre les femmes et les hommes”, confie-t-elle.
Esprit d’entreprise
Car, pour beaucoup de femmes, créer sa propre société est sans doute le meilleur moyen de pallier la difficulté à progresser au sein d’une entreprise. C’est le cas, par exemple, de Karina Iskin, qui s’est rapidement lassée de possibilités d’évolution limitées et a lancé Contemporary Jewelry avec sa sœur Gabriela, styliste. Ensembles, elles sont parties à New York avec dans leurs bagages une collection de bijoux “low budget” et en sont revenues avec un contrat de la boutique du MoMa. Un fabuleux sésame puisque la marque est distribuée dans le monde entier, du musée des Arts décoratifs de Paris au musée Van Gogh d’Amsterdam “Comme ma soeur est une vraie créatrice, je suis devenue son impresario en même temps que la directrice financière de la marque”, explique cette femme d’affaires de 32 ans, qui a trouvé son épanouissement professionnel dans l’indépendance.
“Créer ma propre entreprise, cela m’a aussi semblé être la meilleure solution”, confirme Daniela Ziblat, jeune mère de famille de 33 ans et co-fondatrice de Estudio Hauser, un cabinet d’architecture actuellement chargé de la construction du ministère des Sciences et Technologies. “Dans ce métier, les femmes sont peu représentées sur de gros projets. On les trouve plutôt dans la décoration d’intérieur ou la rénovation”, explique-t-elle. Parmi les difficultés principales, se faire accepter sur un chantier reste l’une des plus redoutables. “En général, lorsque je rencontre un entrepreneur, il ne regarde que mon partenaire, comme si j’étais inexistante. Il faut du temps aux hommes pour comprendre que je suis tout aussi compétente qu’eux, s’amuse l’architecte. Cette attitude macho me fait plutôt sourire, elle ne me déstabilise pas.
” Si, en Argentine comme ailleurs, l’architecture reste un domaine masculin, il en est un autre dont le pays a seul le privilège : le tango. Natalia Fossati, fondatrice de Tango & Tango, n’a pas eu froid aux yeux en se lançant, en 2002, des événements “sur mesure”, loin du kitsch et des clichés. “Le tango est né sous l’influence de femmes fortes, qui avaient la nécessité d’être indépendantes pour mener une vie libre. Bien sûr, c’est une danse où l’homme ‘guide’ et la femme ‘suit’, mais c’est aussi l’exemple de la complémentarité entre homme et femme”, analyse Natalia Fossati.
Fin du bal pour les machos
Pour cette danseuse et femme d’affaires, avoir grandi dans une famille progressiste a permis de fonder solidement son esprit d’indépendance. Même si, de son aveu, il reste difficile pour une femme d’être à la tête d’une société. “Certains hommes se permettent des attitudes ou des commentaires déplacés”, avoue-t-elle. Pourtant, à 36 ans, Natalia Fossati mène la danse avec brio, comptant de grands hôtels parmi ses clients comme le Park Hyatt, l’Alvear Palace, le Sofitel ou le Faena. Beaucoup de femmes ont fait le choix de la liberté en créant leur propre entreprise, mais nombreuses sont celles à n’avoir jamais éprouvé ce besoin pour se sentir exister professionnellement. Cynthia Leibman en fait partie. Gestionnaire de compte chez Google Argentine, elle s’est toujours sentie protégée des attitudes sexistes ; “aussi bien à l’université qu’au travail”, déclare-t-elle fièrement. Et cela en dit long sur tout un continent qui, contrairement aux idées reçues, semblerait plutôt montrer l’exemple.