Téléphonie mobile : la révolution du roaming

Téléphonie mobile : la révolution du roaming

Les collaborateurs de grands groupes ne s’en rendent pas compte, qui disposent d’abonnements sur mesure configurés par des acheteurs spécialistes des télécoms. Mais 37 millions de touristes et certains parmi les 110 millions de voyageurs d’affaires, plus associés à la gestion de leurs coûts, le savent. Communiquer à partir de l’étranger relève quasiment du luxe, même au sein de l’Union européenne. Le prix moyen d’un appel en itinérance est ainsi de 1,15 euro HT par minute. À tel point que 15 % des touristes du Vieux Continent n’emportent pas leur mobile en voyage, selon une étude Eurobaromètre.

D’après la Commission européenne, le tarif de base des opérateurs français est de 4 euros la minute et peut atteindre 2,40 euros pour la réception d’un appel. Sous la pression des associations de consommateurs et leur lobby, via le Beuc (Bureau européen des unions de consommateurs), les commissions à l’industrie et à la société de l’information de l’Union se sont penchées sur les tarifs des appels passés de et reçus à l’étranger, aussi appelés roaming.

Après près de deux ans d’examen, d’entretiens et d’étude, la très médiatique commissaire à la société de l’information, Viviane Reding, est arrivée à une triple conclusion. Les tarifs ne sont pas transparents, ils sont “dissuasifs” et diffèrent en fonction du pays où est souscrit l’abonnement. “Pendant des années, l’itinérance s’est facturée à des tarifs élevés, et ce, sans aucune raison apparente. Nous souhaitons donc faire tomber l’un des derniers remparts du marché intérieur européen.” Et José Manuel Barroso, président de la Commission, d’ajouter : “Une compagnie située dans le sud de la France appelant l’Italie est obligée de payer des frais qu’un Américain ne paie pas entre New York et la Californie.”

Une proposition de loi a été adoptée par les membres de la Commission et a été soumise au Parlement le 7 juin. Elle règlemente les tarifs d’itinérance en imposant des plafonds. “Les opérateurs maintenaient les tarifs à des niveaux anormalement élevés en gonflant artificiellement les prix de gros, facturés par un opérateur à un autre pour acheminer un appel”, explique Joël Dufour, administrateur de l’UFC-Que choisir, l’association de consommateurs française en pointe sur le dossier.

Une réduction de 30 à 70 %

Première décision, les tarifs de gros sont plafonnés à 30 centimes la minute. Et, fait rare, la marge appliquée à leur revente est elle aussi plafonnée. “Au lieu de tarifs de trois à sept fois supérieurs à ceux d ‘un appel domestique, le prix de détail est limité à un maximum de 49 centimes d’euro par minute, hors taxes, pour un appel émis, et 24 pour un appel reçu”, poursuit Joël Dufour. Soit une réduction de 30 à 70 %, qui aura force de loi dès le mois d’août 2007. Ces plafonds seront encore abaissés à 43 et 19 centimes d’euros respectivement, en 2009. “On ne boude pas notre plaisir, précise Joël Dufour, mais il s’agit encore d’une demi-mesure. Nous demandions que le surcoût ne soit que de quelques centimes par rapport à un appel national, c’est-à-dire plus proche de la réalité des coûts.” Le changement de tarif devra être appliqué automatiquement par tous les opérateurs après l’été. Et les abonnés qui ont souscrit des formules packagées devront, eux, faire une demande expresse à leur fournisseur pour bénéficier des nouvelles conditions.

Lobby contre lobby

Il faut dire que la bataille a été rude, bien que feutrée, comme le veulent les règles du lobbying. On a même entendu des noms d’oiseau. Didier Lombard, président du groupe France Télécom, allant jusqu’à comparer la démarche de la Commission à une planification de type communiste. Car les opérateurs ont combattu la mesure de toute leur force par le biais de la GSM Association, le lobby du mobile conduit par les deux poids lourds Orange et Vodaphone. “Nous prenons acte de la décision de Bruxelles, mais pourquoi ne pas réguler le prix du pain ou celui d’une chambre d’hôtel ?” demande Christophe Naulleau, vice-président en charge de l’itinérance d’Orange. “Certes, le roaming représente des marges significatives, mais elles viennent en compensation de mesures incitatives propres à la France, comme la messagerie vocale gratuite ou les terminaux à un euro. C’est de la démagogie consumériste.” D’autant que les opérateurs ont pris les devants et proposent des formules spécifiques. “Les associations de consommateurs arguent que la baisse des prix augmentera le volume des appels, mais lorsque nous avons baissé nos tarifs de 30 % en 2006, nous n’avons pas noté d’augmentation du trafic. La demande n’est pas élastique au prix”, affirme Christophe Naulleau.

Les deux commissions en charge du dossier partagent cependant une même analyse de ce marché. Il s’agit là d’une rare convergence de vues, industrie et consommateurs ayant des intérêts naturellement antagonistes. Le sujet est particulièrement délicat en France, où il représente entre 5 et 8 % du chiffre d’affaires des opérateurs. “La France est la première destination touristique européenne. L’itinérance y est logiquement plus volumineuse qu’ailleurs en Europe”, explique Joël Dufour. “Il s’agit là d’un transfert de valeur déséquilibré du sud vers le nord de l’Europe, une destruction de la valeur France, Espagne ou Italie”, s’indigne Christophe Naulleau. En effet, la mesure bénéficiera davantage aux touristes qui quittent leur pays, Europe du Nord en tête.

Il n’en reste pas moins que la mesure a été calibrée avant tout pour les consommateurs individuels dans un contexte d’euroscepticisme. Elle aura moins d’effets sur les sociétés disposant d’une force face aux opérateurs et qui négocient leurs tarifs par milliers d’heures. Et surtout, elle ne concerne que les communications vocales.

Tarifs data inchangés

L’intégralité des échanges de données, y compris les SMS, reste en dehors du périmètre d’application de la réglementation. Une aubaine pour les opérateurs dont le trafic de type e-mail, intranet, Internet ne cesse d’augmenter avec la mise en place des offres haut débit nomade, 3G en tête. Et une opportunité de perdue pour les professionnels en déplacement. “Une chose est sûre : les tarifs hors Europe ne sont pas près de baisser, ajoute Christophe Naulleau. Mais nous poursuivons notre programme d’ouverture de partenariats, en Asie en particulier.”

Du côté des associations de consommateurs, on a enfourché un nouveau cheval de bataille : la portabilité du numéro mobile. Les tarifs data devront décidément attendre que le marché fasse son œuvre, si on le laisse. En attendant, l’UFC-Que choisir estime que la facture téléphonique des députés européens devrait baisser de plus de 900000 euros. Charité bien ordonnée sert aussi le législateur.

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