Location automobile : Le virage de la mobilité

Avec les nouvelles offres de mobilité urbaine, le modèle de la voiture partagée devient tendance. Les loueurs traditionnels surfent sur cette évolution en s’engageant aux côtés des nouveaux acteurs et en encadrant les pratiques collaboratives.
Location automobile

Le changement est passé relativement inaperçu, et pourtant il témoigne d’une profonde mutation du secteur : en abandonnant à la mi-avril l’appellation de “loueurs courte durée” pour y substituer celle des “métiers de la mobilité partagée”, le CNPA (Conseil national des professions de l’automobile) n’a pas simplement opté pour un relooking cosmétique. Cette nouvelle dénomination révèle un véritable repositionnement des acteurs historiques de la location de voiture sous l’impulsion des nouveaux arrivants issus de l’économie collaborative. “Nous étions ‘mono-produits’ et nous voulons réunir tous les métiers : la location ‘traditionnelle’, l’autopartage, le covoiturage, mais aussi la location entre particuliers. Et bien d’autres encore qui vont se créer à court ou moyen terme…”, expliquait André Gallin, président de ces métiers de la mobilité partagée au sein du CNPA, lors du dévoilement de cette nouvelle identité. Et d’ajouter : “On assiste à une recomposition totale du marché. Tout est radicalement différent de ce qui existait voilà dix ou quinze ans. C’est un autre monde !” Un monde nouveau, hyper dynamique, où l’insolente croissance de l’économie collaborative suscite bien des vocations.

Loin de concurrencer frontalement les loueurs traditionnels, les spécialistes de l’autopartage, longtemps observés à distance, sont désormais accueillis comme des alliés objectifs. “L’autopartage nous aide à démocratiser la location sans cannibaliser nos volumes, assure Alexia Vitoux, responsable marketing et fidélité chez Avis. Les services sont finalement assez complémentaires. D’autant qu’en ce qui concerne la clientèle affaires, nous voyons mal l’un de nos comptes abandonner la location traditionnelle pour choisir l’autopartage.” Et quand bien même les choses évolueraient en ce sens, les loueurs ont pris les devants en mettant en place leur propre service de “car sharing” – à l’image de DriveNow chez Sixt, dont le lancement est attendu en France – ou en rachetant purement et simplement un spécialiste déjà bien établi.

Avis Travel Partner
Tout en se positionnant sur l’autopartage avec l’acquisition de ZipCar, Avis renforce ses services aux voyageurs avec sa conciergerie “Avis Travel Partner”.

Les ponts entre les deux univers se sont ainsi multipliés au fil des partenariats, des prises de participation, voire des acquisitions. Europcar-Ubeeqo, Avis-ZipCar, Peugeot-Koolicar, SNCF-OuiCar : ces nouveaux tandems entendent répondre à une approche plurielle de la mobilité. De ce point de vue, le lancement par Ubeeqo, à Paris et à Londres, de la première plateforme de réservation multimodale incarne bien la réorganisation de l’offre. À travers une application “3 en 1”, les clients ont le choix entre trois options de transport : un service d’autopartage baptisé Matcha, une voiture avec chauffeur ou un taxi et, plus classiquement, une location de voitures. “Ce service insuffle une nouvelle conception de la mobilité en milieu urbain : plus libre, plus économique, plus simple, moins chronophage et plus écologique”, indique Didier Fénix, directeur général d’Europcar France, qui prévient : “l’offre de voitures en libre-service Matcha devrait d’ailleurs s’étendre progressivement à d’autres capitales européennes”.

Parallèlement, certains acteurs s’aventurent sur des voies originales, par exemple en proposant aux voyageurs d’affaires de louer leur véhicule pendant leur déplacement à l’étranger et de bénéficier, en échange, d’une place de parking gratuite. C’est le cas de la start-up française TravelerCar, qui étend sa présence dans les aéroports et les gares, monte en puissance en étendant son réseau vers le Benelux, la Suisse ou encore les DOM TOM, tout en ayant racheté son concurrent Carnomise. De son côté, Drivy, un autre acteur de la location entre particuliers, a joué lui aussi la carte de la consolidation en acquérant certains de ses concurrents, d’abord en France puis à l’échelle européenne.

C’est justement dans ce secteur que l’on trouve le “caillou dans les chaussures” des loueurs traditionnels. Car la location entre particuliers monte lentement, mais sûrement en puissance. Selon les chiffres publiés par le cabinet GMV, 5 % des personnes interrogées auraient eu recours à ces sites l’an passé. Le chiffre est stable par rapport à 2014, mais le volume de locations a quant à lui été multiplié par trois, atteignant désormais 3 % du marché. Interrogés par GMV, ces locataires d’un genre nouveau ne citent le prix qu’en troisième position de leur motivation. Contrairement aux idées reçues, ils seraient davantage attirés par la proximité et la convivialité de ce type de location.

Enterprise Rent-A-Car
À côté de sa marque fanion, Enterprise Rent-A-Car segmente son offre avec le développement de son enseigne loisirs Alamo et de sa marque National, essentiellement destinée à la clientèle affaires.

Nouveaux besoins de mobilité

Le CNPA ne se dit d’ailleurs pas fermé à l’idée de collaborer avec les têtes de file de l’économie collaborative. “Au lieu de combattre cette nouvelle économie comme certains le font, constate André Gallin, nous nous asseyons autour d’une table et nous cherchons des solutions. Nous ne les avons pas encore trouvées, mais nous y travaillons”. Le principal point de blocage porte sur le seuil de déclenchement de la fiscalisation, les loueurs traditionnels plaidant pour le chiffre de 5 000 euros, toutes activités collaboratives confondues.

En attendant cette possible conciliation, les loueurs travaillent sur leurs offres respectives pour réaffirmer leur valeur ajoutée, condition impérieuse pour faire la différence sur un marché stable. Ainsi, Europcar planche sur l’innovation et a même mis en place un “Lab”, dont l’objectif est “d’élaborer de nouvelles solutions autour des récents besoins de mobilité”, selon Didier Fénix. “Son mode de fonctionnement de type start-up lui donne de l’agilité et nous testons ces concepts auprès de certains de nos clients affaires, avec la possibilité de les développer en fonction de leurs retours”, précise-t-il. Même quête de l’innovation chez Avis qui, depuis plusieurs années, explore différentes pistes pour proposer de nouveaux services, dédiés notamment à la clientèle affaires. Ce fut le cas avec le WiFi embarqué qui commence à trouver son public. “Ce service a eu un peu de mal à décoller, mais une fois nos équipes formées pour conseiller les locataires, et surtout une fois réglés certains problèmes techniques, l’accueil est très bon”, remarque Alexia Vitoux chez Avis. Depuis l’été 2015, Avis propose un autre service utile aux voyageurs d’affaires avec une offre de conciergerie baptisée “Avis Travel Partner”. Moyennant un forfait quotidien, elle intègre différentes prestations comme la mise en relation personnalisée avec un restaurant, l’accompagnement en cas de perte d’un bagage, et même un service de traduction par téléphone.

Avis ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, d’autres développements étant d’ores et déjà en cours. Le loueur est notamment en contact avec les constructeurs automobiles pour développer le concept de voiture connectée. Ainsi, le système OnStar, mis au point par Opel, intéresse le loueur en permettant par exemple de localiser le véhicule et de porter assistance au conducteur en cas de besoin. Une autre innovation devrait voir le jour dès la rentrée prochaine : “Un grand projet, encore confidentiel, sera expérimenté cet été avec 250 clients, puis dévoilé en septembre”, prévient ainsi Christine Giraud, directrice des ventes agences de voyages. Les responsables d’Avis maintiennent le suspense, mais évoquent “un tout nouveau concept” qui passera par “la digitalisation du parcours client”.

Ce fameux parcours client demeure bien sûr une priorité, notamment vis-à-vis des voyageurs d’affaires, par essence pressés. Chaque acteur cherche de ce fait à accélérer le processus de location. C’est dans cette logique que s’inscrit l’offre Full Gold proposée par Hertz ou l’introduction par Sixt du service SmartStart à l’aéroport de Nice. Celui-ci permet aux détenteurs d’une carte Platinum de se rendre directement au parking, de choisir leur véhicule et de parapher leur contrat avant de partir au volant de leur voiture. Proposé dans 23 aéroports en Europe, dont six en France, le Priority Service offert par National – filiale d’Enterprise – est assez similaire : le passager peut rejoindre directement son véhicule de location – dont les clés sont sur le contact – sans intervention humaine, sur un parking dédié, baptisé “Emerald Isle”. “Dans la plupart des aéroports européens, et a fortiori dans les gares, les infrastructures ne permettent pas toujours de mettre en place un tel espace, rappelle Sylvie Roland, directeur des comptes stratégiques et des Services à la Clientèle chez Enterprise Rent-A-Car. Mais nous étudions la façon d’adapter en Europe le service proposé aux États-Unis.

L’autre dossier qui focalise l’attention des loueurs porte sur la segmentation de leurs produits. Récemment par exemple, Enterprise a repositionné son offre en accordant une attention toute particulière aux voyageurs d’affaires. “Nous sommes en pleine révolution depuis la reprise des marques National et Alamo en Europe, officialisée l’an dernier, rappelle Sylvie Roland. Ces deux marques vont être positionnées comme aux États-Unis, Alamo répondant aux attentes loisirs et National incarnant la marque premium affaires.” De leurs côtés, les autres loueurs s’attellent à couvrir la demande à travers leur vitrine Premium associée à une enseigne low-cost, à l’image d’Avis avec Budget, de Hertz avec Firefly ou d’Europcar avec InterRent.

Hertz
Dans de nombreux aéroports dans le monde – dont Orly, Nice et Lyon en France –, Hertz propose son service Full Gold, permettant aux voyageurs pressés de se rendre directement à leur voiture sans passer par la case agence.

Toute une chaîne d’acteurs

Cette différenciation du service est d’autant plus cruciale que la location d’un véhicule à des fins professionnelles mobilise toute une chaîne d’acteurs. Alors qu’un client loisirs commence à prendre l’habitude de réserver son véhicule depuis son smartphone, comme il le fait déjà pour un billet de train, une réservation affaires passe le plus souvent par le biais de l’agence de voyages. Et ce pour plusieurs raisons : du point de vue du voyageur, une réservation directe auprès de chacun des fournisseurs impliqués s’apparenterait bien souvent à un parcours du combattant, sans parler des modifications de dernière minute. Par ailleurs, le voyageur n’est pas le seul acteur impliqué, comme le rappelle Christine Giraud, directrice des ventes agences de voyages chez Avis : “Notre attention se porte à la fois sur le client final et sur le prescripteur. Les attentes du voyageur concernent le maillage géographique, la sécurité, la flexibilité et bien sûr la vitesse de traitement. Le prescripteur attend lui aussi ces différents éléments, en plus d’un reporting régulier et d’une aide au pilotage de la politique voyages. Il souhaite avant tout avoir la paix : moins il entend parler de son fournisseur, mieux il se porte !”.

Koolicar
La location entre particuliers commence à prendre son essor, à l’image de Koolicar.

Pour autant, les efforts menés auprès de la clientèle affaires ne suffisent pas à voir décoller le nombre des locations de voiture sur un marché français relativement mature. Qu’importe : les loueurs se plaisent à rappeler qu’une majorité de la population n’a encore jamais recouru à la location, garantissant ainsi une confortable marge de progression. Méthode Coué ou optimisme légitime ? Plusieurs facteurs peuvent effectivement plaider pour cette approche positive. À commencer par le renouvellement des générations. La bonne vieille “voiture à papa”, sacralisée et bichonnée chaque week-end, est tombée de son piédestal. Habitués par l’économie du partage à louer un appartement entre amis, les plus jeunes ne voient plus l’achat d’un véhicule comme une priorité, la piétonnisation des centres-ville ou les difficultés à trouver une place de parking s’ajoutant à cela. “Dans une grande ville comme Paris ou Londres, posséder un véhicule est un sacré challenge”, confirme Christine Giraud chez Avis.

Paradoxalement, le marché de la location pourrait aussi profiter de la montée en puissance des problématiques environnementales. La plupart des loueurs ont d’ailleurs développé avec plus ou moins de succès une offre électrique, à l’instar des Blue Car adoptées par Europcar qui permet de louer un véhicule électrique et de profiter à Paris des places de parking Autolib pour recharger la voiture. En attendant l’avènement de la voiture autonome, les loueurs semblent bien décidés à explorer toutes les voies pour assurer l’avenir d’un marché en pleine mutation.