Magazine N°157

NEW YORK : IL SUFFIT DE PASSER LE PONT

New York sera toujours New York ! Ah bon ? Ce n’est pourtant pas l’impression qu’on a lorsqu’on s’est absenté de la ville depuis…disons deux ans, trois peut-être. Il faudrait même faire preuve d’une redoutable insensibilité pour ne pas voir que la mégalopole s’est radicalement métamorphosée ; à commencer par sa célèbre skyline. Où sont passés les buildings déglingués du East Village ? Où sont les bars et restaurants à la déco approximative où se faisait et défaisait joyeusement la rondeur du monde ? Où est l’atmosphère unique, extravagante, libre, à la fois déjantée et ultra créative qui était, il n’y a pas si longtemps encore, la scène ordinaire de Manhattan, notamment celle du Downtown et des Villages ?

Bien sûr, on court encore à New York ; on sort beaucoup, on dort très peu, on se presse et se compresse aux heures de pointe, on construit de nouvelles tours, on y installe des sièges sociaux, on bat la finance plus que jamais et on s’intéresse de près à la chose culturelle. Mais il flotte sur Manhattan un je-ne-sais-quoi de convenu, de tout bien comme il faut. La faute à qui ? La faute aux prix pour une bonne part, notamment ceux de l’immobilier, et par conséquent des loyers, dont ceux des petites boutiques de quartier qui rendaient autrefois la ville si chaleureuse et qui sont aujourd’hui contraintes de baisser définitivement leur rideau. L’équivalent d’un trois pièces Midtown ne se vend-il pas sur plan 3,9 millions de dollars ? La gentrification de Manhattan est criante, la fuite des classes populaires inéluctables.

Autre phénomène majeur, la puissance du tertiaire et des nouvelles technologies qui rendent le travail possible d’à peu près n’importe où. Du coup, les jeunes, la bohème et les créatifs s’exilent volontiers dans les quatre autres boroughs, sans vraiment choisir leur coin, et s’installent là où ils trouvent ce qui correspond à leur budget. Ce qui a pour conséquence immédiate de pulvériser les groupes faiseurs d’ambiance, les uns vivant épars au fond du Queens ou du Bronx, les autres sur Staten Island et les autres encore à Brooklyn. Ce qui n’est pas vraiment fait pour décoiffer des quartiers traditionnellement assez plan-plan. Sauf peut-être Brooklyn, et surtout Williamsburg, quartier re-né il y a déjà quelques années, lorsque les entrepôts à reconvertir étaient encore abordables, et qu’ils entraînaient à leur suite boutiques ad hoc, restaurants branchés, bistrots et espace co-working tendance. Du coup, l’esprit bohème est passé de l’autre côté du pont, faisant revenir au galop le naturel créatif de la capitale des capitales. Une manière d’affirmer que New York sera effectivement toujours New York !
Serge Barret, rédacteur en chef
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