Aviation d’affaires : le jet privé relève tous les défis

Avec une économie mondiale qui s’essouffle, une flambée des prix du pétrole et des autres matières premières, une Bourse qui s’affole, un transport aérien fustigé par les politiques comme l’un des responsables du réchauffement climatique… la conjoncture ne semble pas des plus favorables à l’aviation d’affaires. Et pourtant. Courtiers, sociétés d’aviation d’affaires, directeurs d’aérodromes, tous convergent sur un point : 2007 a été une année exceptionnelle pour le transport aérien à la demande et 2008 ne devrait pas a priori renverser cette tendance. “Notre chiffre d’affaires a bondi de 90 % l’an passé. Une tendance qui se confirme pour le premier semestre 2008”, indique Gilles Ménard, directeur général France d’Air Partner, l’un des principaux courtiers sur la place de Paris. Et il n’est pas le seul !

Lors du salon de l’Aéronautique du Bourget, en juin 2007, NetJets Europe, premier opérateur de jets d’affaires, a révélé avoir en deux ans triplé le nombre des entreprises faisant appel à ses services en France, de trente à plus de cent noms. Le groupe s’attend à multiplier son chiffre d’affaires par deux dans l’Hexagone d’ici à la fin 2008.

L’Ebace (European Business Aviation Convention & Exhibition), salon européen de l’aviation d’affaires, qui s’est tenu en mai 2007 à Genève, annonçait pour sa part une hausse de 15 % du nombre de ses visiteurs, atteignant ainsi un record de 11300 participants. Dans son discours d’ouverture de la manifestation, Brian Humphries, le président de l’Association européenne de l’aviation d’affaires (EBAA), constatait que la flotte d’avions d’affaires continuait de croître de façon importante. De 2000 unités au début de la décennie, elle a atteint en 2007 quelque 2800 appareils, soit une hausse de 40 %.

Appareils en multipropriété

À quoi tient donc cette excellente tenue de l’aviation d’affaires ? En grande partie à une certaine démocratisation de ce type de transport. Le lancement de plusieurs formules d’acquisition de jets d’affaires en multipropriété, notamment grâce à l’américain NetJets, présent en Europe depuis 1996, a permis à de nombreuses entreprises de bénéficier à coût moindre d’un instrument de travail pratique. Plus récemment, le lancement de cartes de fidélité permettant d’avoir à disposition un appareil pour un quota d’heures annuel, a renforcé l’attrait de l’aviation d’affaires.

La France reste cependant la plus difficile à convaincre. L’aviation d’affaires est entrée depuis longtemps dans les mœurs des entreprises américaines et britanniques. Pas entièrement en France. “Nos interlocuteurs français nous posent toujours la question de savoir combien cela va coûter, alors qu’aux États-Unis, on se demandera plutôt combien cela rapportera !”, affirme Éric Peneau, responsable commercial d’Europe Air Broker. “Il faut que les gens en France cessent de considérer l’aviation d’affaires comme un objet glamour. Le jet privé servant uniquement à transporter des vedettes ou de richissimes milliardaires relève plus du mythe qu’autre chose.” Le mythe a encore la vie dure dans l’Hexagone. Éric Peneau raconte qu’un PDG d’entreprise louant un avion d’affaires a demandé d’atterrir à 40 km de son usine, bien que cette dernière jouxte un terrain d’aviation : “Le PDG m’a alors expliqué que son arrivée en jet privé provoquerait une émeute chez ses employés s’ils le voyaient.”

Gagner du temps

Pourtant, les contraintes du transport aérien régulier depuis le renforcement des mesures de sécurité parlent en faveur de l’aviation privée. Selon une étude de la compagnie d’affaires Jetbird, le temps effectif d’un voyage porte à porte sur une compagnie aérienne régulière se répartit comme suit : en moyenne, 18 % du voyage sont consacrés aux transferts vers l’aéroport, 53 % à l’enregistrement et au temps d’attente en aérogare et 29 % seulement au vol lui-même !

Durant le salon Ebace, Marco Tullio Pellegrini, vice-président études chez l’avionneur Embraer, présentait un exemple des plus convaincants. Pour un voyage entre Zurich et Brême, l’avion d’affaires permettait d’économiser jusqu’à 2h45 par rapport à une compagnie régulière. Absence de correspondance et de temps de transit, attente au sol réduite à dix minutes au lieu d’une heure en moyenne dans un grand aéroport, expliquent cette performance.

Compagnies régulières

Pour Gilles Ménard, directeur général d’Air Partner France, l’aviation d’affaires est et restera le moyen de transport le plus adéquat pour des liaisons transversales vers ou depuis des destinations secondaires. “Il est évident qu’à terme, l’avion se justifiera de moins en moins sur les grandes lignes où joue la compétition des trains à grande vitesse”, prévoit-il.

Selon une étude de la chambre de commerce et d’industrie de Paris, publiée en 2005, l’aviation d’affaires est utilisée comme moyen de transport pour des missions de développement d’affaires dans 40 % des cas. Les vols ont pour destination les établissements des entreprises, les sites de clients et de fournisseurs, ou encore des salons ou congrès. Les voyages de stimulation organisés dans un cadre professionnel représentent 5 % de l’activité. Du coup, quelques grandes compagnies aériennes régulières se sont lancées aussi dans l’aventure de l’aviation d’affaires. Air China travaille en partenariat avec Skyjet International, une filiale de l’avionneur Bombardier. En Europe, Lufthansa et Swiss se sont lancées sur le marché du jet d’affaires en partenariat avec Netjets Europe.

L’an dernier, c’est Austrian Airlines qui s’est associé à Jet Alliance pour offrir des vols moyen-courriers au départ de Vienne. Le succès est tel que Lufthansa a décidé d’exploiter sa propre flotte de jets privés à partir de cette année. “Nous avons gagné des parts de marché chez les voyageurs haute contribution avec une telle offre”, explique Thierry Antinori, vice-président marketing et distribution de Lufthansa. Et, bizarrement, c’est le segment des vols de point à point qui constitue l’essentiel du trafic de Lufthansa Private Jet avec 70 % de part de marché, le reste étant assuré par des passagers en correspondance sur le long-courrier régulier.

La question environnementale

Si tout paraît sourire à l’aviation d’affaires, elle est pourtant confrontée à plusieurs challenges. Parmi lesquels se placent en priorité la question environnementale et la flambée des cours du pétrole. Dans le premier cas, le matraquage médiatique et politique qui consiste depuis des mois à désigner l’aviation comme l’un des principaux responsables de l’émission de gaz à effet de serre – contribuant au réchauffement climatique – éclabousse à son tour l’aviation d’affaires. “Depuis quelque temps, on nous décrit comme un moyen de transport superflu, voire même irresponsable car contribuant au réchauffement climatique, indiquait dans son discours d’inauguration de l’Ebace 2007, Brian Humphries, le président de l’EBAA. Personne, en revanche, n’indique que nous sommes un important instrument de la croissance économique et que si l’aviation d’affaires contribue aussi au réchauffement planétaire, son impact reste cependant minimal.” Selon les calculs des experts, l’aviation prise dans son intégralité représente de 3 % à 5 % de toutes les émissions de CO2. À l’intérieur de cette fourchette, l’aviation d’affaires elle-même ne représente que 1 % en moyenne de toutes les émissions aériennes. “En fait, nos membres possèdent l’une des flottes les plus jeunes du transport aérien mondial, appliquant les dernières technologies en termes de réduction des nuisances environnementales”, poursuit le président de l’EBAA.

Les acteurs de l’aviation d’affaires ont cependant compris le message. “Sur le thème de l’environnement, nous apportons une réponse à nos clients soucieux de limiter l’impact de leur déplacement. Nous communiquons désormais les émissions de CO2 générés par un voyage, explique Gilles Ménard. Ensuite, nous proposons à nos clients de compenser cette empreinte écologique en offrant un équivalent financier à la société Carbon Neutral Company qui investit dans des projets technologiques destinés à réduire les émissions de gaz à effet de serre.”

L’offre d’Air Partner entre en vigueur cette année. Il en coûte en moyenne 12 euros par tonne de CO2. Appliqué à un aller-retour sur New York, qui génère une émission de 2,56 tonnes de gaz à effet de serre, le montant s’élèvera donc à 30 euros.

Répercussion du prix du pétrole

La deuxième menace qui pèse sur l’aviation d’affaires, celle de l’envolée des cours du pétrole, ne semble en fait n’avoir que peu d’impact sur la demande. Le baril, qui flirte depuis plusieurs mois avec les 100 dollars, n’a qu’un effet limité sur les tarifs pratiqués par les opérateurs. “Le pétrole n’est qu’un élément des coûts totaux d’exploitation. Il faut compter sur une hausse de 10 % à 15 % en moyenne du prix de la prestation. Soit, par exemple, pour un avion à hélices de type King Air 200, un renchérissement de 100 à 200 euros selon la distance”, estime Éric Peneau.

Tous les responsables de l’aviation d’affaires pensent que la hausse du carburant n’est pas de nature à menacer leur activité. “Quelles que soient les conditions économiques, les adeptes de l’aviation d’affaires continueront d’utiliser un avion privé car ils connaissent les économies d’échelle réalisables. Il faudrait une récession de grande ampleur pour que l’on assiste à un retournement de conjoncture. Certaines entreprises s’adaptent au pétrole plus cher en effectuant, par exemple, deux touchers en avion au cours d’une même journée”, assure François- Xavier Clerc, PDG d’Aero-Affaires.

Jet privé… version low cost

La hausse du pétrole fait réfléchir les constructeurs qui travaillent sur de nouveaux avions plus économes. L’annonce la plus spectaculaire est celle de Jetbird, un nouveau transporteur de jet privé… sur le modèle low cost. Prévu pour prendre son envol en 2009, Jetbird travaille en coopération avec Embraer sur le lancement d’un nouvel avion, le Phenom III. Deux versions, les Phenom III-100 et Phenom III-300 pourront transporter respectivement quatre ou six passagers sur des distances s’échelonnant entre 2000 et 2800 km. Le poids réduit de ces appareils, baptisés VLJ (Very Light Jet), permettra de réaliser des économies de carburant substantielles. Jetbird a commandé 100 Phenom III et basera l’essentiel de sa flotte en Suisse. La compagnie compte opérer un réseau paneuropéen et annonce déjà vouloir proposer son nouvel avion à des tarifs extrêmement compétitifs par rapport à la concurrence.

Un développement à suivre et qui démontre que l’aviation d’affaires a toujours un avenir prometteur sur le continent européen. Une étude réalisée l’an passé par Jetbird est édifiante. L’Europe occidentale compte 399 millions d’habitants, dont 2,8 millions d’individus ayant des revenus supérieurs à un million de dollars annuel*. Par comparaison, les États-Unis ont une population de 299 millions d’habitants dont 2,9 millions ont des revenus dépassant le million de dollars annuel. Or, si l’on calcule le ratio de jets d’affaires par rapport à la population européenne, on s’aperçoit que ce dernier atteint juste 20 % du ratio des États-Unis. Autant dire qu’il reste encore beaucoup d’Européens à convaincre avant que l’aviation d’affaires ne soit totalement entrée dans les mœurs du Vieux Continent !