
Reportage Cécile Balavoine. Photos Ludovic Maisant.
Finie l’ère du Moscou bling-bling, où magnums de champagne, talons hauts et montres surdimensionnées étaient le sésame de la vie mondaine. Il semble qu’aujourd’hui, l’heure ne soit plus tant aux nouveaux riches qu’à l’avènement d’une classe moyenne dont le niveau de vie s’améliore de manière régulière. L’effondrement du rouble, qui a touché la Russie durant l’hiver 2014-2015 – en deux ans, la monnaie russe a perdu plus de 30 % de sa valeur, avant de se reprendre depuis fin 2016 –, n’a presque pas entamé ce lent processus.
Car la machine du progrès est en route. Les Moscovites continuent de consommer, quoique différemment. Désormais, le rapport qualité-prix est scruté à la loupe, tandis que des centres commerciaux adaptés à une clientèle intermédiaire fleurissent un peu partout en ville. À l’inverse, les petits kiosques de produits de bouche, autrefois symboles de Moscou, ferment les uns après les autres pour raisons sanitaires. Les instances supérieures réglementent et font en sorte que les Moscovites se réapproprient leur ville.

Cependant, les taux d’intérêt restant élevés, on investit de moins en moins dans la pierre. Alors on rénove, on embellit son lieu de vie. Phénomène intéressant, la France est ainsi devenue le premier employeur étranger en Russie, notamment grâce à la présence de grands noms de la grande distribution comme Auchan ou du bricolage tels Castorama et Leroy-Merlin qui enregistrent des volumes de ventes record. “Globalement, on peut dire que les crises de 1998, puis de 2008, ont eu un impact plutôt positif sur Moscou, car elles ont modifié profondément l’économie et les modes de consommation”, explique Pavel Chinsky, directeur de la chambre de commerce et d’industrie franco-russe.
Centre de décision politique, poumon économique, capitale éternelle de la Russie – n’en déplaise à Pierre le Grand et sa ville chérie de Saint-Pétersbourg –, Moscou a toujours des désirs de grandeur. Aujourd’hui, elle se rénove et s’embellit, fluidifiant sa circulation et densifiant son réseau de transports urbains. D’ailleurs, si la Russie compte encore de véritables poches de pauvreté, la capitale contraste avec le reste du pays avec une assez grande homogénéité entre les niveaux de vie.
Moscou bouge. Elle évolue, et plus encore depuis l’arrivée fin 2010 du nouveau maire à la tête de la ville, Sergei Sobianine, un proche de Vladimir Poutine. Ce qui a eu pour effet de simplifier le complexe équilibre entre pouvoir fédéral et pouvoir communal. Alors que Moscou fut longtemps une mégalopole hostile aux piétons avec ses grandes avenues impraticables, elle prend peu à peu échelle humaine grâce à une politique de grands travaux, équivalente à celle du Grand Paris. À la différence qu’ici, la mise en pratique des décisions est presque instantanée. On ne s’encombre pas d’approbations diverses…
Ainsi, en mars dernier, le maire a-t-il annoncé en présence du président russe que les “khrouchtchevki”, 5 200 barres d’immeubles construites à la va-vite dans les années 50, allaient être rasées pour laisser la place à des logements flambants neufs, le tout nécessitant de reloger des centaines de milliers d’habitants pour un projet estimé à une cinquantaine de milliards d’euros.
Parmi les chantiers commencés, et qui se poursuivront jusqu’en 2018, alors que la Russie organisera à l’été la coupe du monde de football, certains ont déjà été inaugurés : pistes cyclables, système de vélib’, enterrement des câbles électriques qui défiguraient autrefois le paysage urbain, rétrécissement de voies de circulation, construction de trottoirs plus larges, plantation d’arbres le long des grandes artères et aménagement de rues piétonnes, le tout dans le cadre d’un gigantesque projet de près de 2 milliards d’euros baptisé “Ma rue”.
Ville terriblement embouteillée, Moscou tente également de dissuader ses habitants d’utiliser leurs véhicules grâce à ce réseau urbain tout en leur assurant un plus grand confort de vie. Dans ce cadre, un des événements majeurs a été le lancement en septembre 2016 d’une seconde ligne circulaire : l’Anneau Central Moscovite. Long de 54 km, il dessert 31 stations et offrira, à terme, 17 points de connexion avec une ligne de métro et dix autres avec le système ferroviaire. Pour le moment, 21 stations sont opérationnelles, les autres demandant encore quelques travaux d’achèvement.
“C’est un concept nouveau dans l’esprit russe, mais c’est aussi le signe que Moscou rattrape à grande vitesse son retard par rapport aux autres capitales européennes, au point même de les devancer”, poursuit le directeur de la chambre de commerce. Cependant, si en Europe occidentale les changements sont d’abord pensés pour le bien-être des citoyens, les intérêts de l’État prennent encore souvent le dessus en Russie. On dit ironiquement que la Douma, la chambre basse du parlement, n’est pas un lieu de discussions…
Cafés bobos chez Gorki
Quoi qu’il en soit, la capitale s’aligne sur des critères internationaux. Ainsi, de plus en plus de grands architectes mondiaux sont invités à participer aux profonds remaniements de la métropole. Face au légendaire hôtel Baltschug, le cabinet new-yorkais Diller Scofidio + Renfro a réaménagé le parc de Zaryadye. Agrémenté d’une passerelle futuriste qui permet de contempler le Kremlin tout en surplombant la rivière Moskva, a été inauguré le 9 septembre dernier à l’occasion du 870e anniversaire de Moscou. Non loin de là, le parc Gorki, symbole de l’ère soviétique, accueille désormais cafés bobo, espaces de coworking et concerts de rock. C’est là aussi que s’est implanté le Garage, un musée d’art contemporain situé dans une ancienne cantine kolkhozienne entièrement repensée par une star de l’architecture, le Hollandais Rem Koolhaas. “Moscou devient vraiment une mégalopole européenne de bon niveau”, conclut Pavel Chinsky.
Les choses changent, certes, mais le pays n’est pas encore tout à fait arrivé à un niveau de maturité qui lui permettrait de se distinguer par des secteurs de pointe. La Russie reste une économie de rente, largement irriguée par les hydrocarbures. “D’ailleurs, malgré la forte concentration du secteur des services, Moscou ne compte que pour 25 % du PIB de la Russie, un pourcentage relativement faible par rapport à celui des autres capitales européennes, analyse Pierric Bonnard, directeur du Bureau Business France Russie. Ce qui s’explique par une économie fortement dépendante du marché des matières premières, par nature éloignées de la capitale.” D’ailleurs, si les grands travaux urbains n’ont pas été freinés par la crise récente, c’est en raison du mode de financement de ces infrastructures. Plutôt que de compter sur les recettes fiscales, l’État et la municipalité font appel aux oligarques et aux grandes entreprises dont les profits sont associés au sous-sol russe pour modifier, et au pas de course, le visage de Moscou.
Pourtant, une réelle volonté de diversifier l’économie se manifeste depuis quelques années. Promouvoir l’innovation fait partie des priorités, et le cluster de Skolkovo, initié en 2009 sous la présidence de Dmitri Medvedev, est en train de se développer sérieusement. “Skolkovo a pour ambition de devenir la nouvelle Silicon Valley de la Russie”, explique Pierric Bonnard. Depuis trois ans, les choses s’accélèrent et le site implanté à une soixantaine de kilomètres à l’ouest de Moscou entend désormais attirer des acteurs clés de l’économie mondiale, en particulier du numérique, alors que ce projet s’apparentait moins à ses débuts à un incubateur de start-up qu’à une fondation d’État destinée à empêcher la fuite des jeunes talents russes versés dans l’innovation.
Depuis peu, les financements privés sont sollicités afin que Skolkovo puisse entrer en compétition avec des écosystèmes d’envergure comme ceux de la côte ouest des États-Unis ou d’Israël. Le site devrait proposer deux millions de mètres carrés de bureaux et de logements d’ici 2020, et accueillir un total de 35 000 personnes, résidents et employés confondus. Déjà, le “Skolkovo Innovation Center” héberge plus de 300 entreprises qui génèrent annuellement près d’un milliard de dollars. Pour attirer de nouveaux talents, des incentives fiscaux ont été mis en place et des accords de coopération ont été signés, notamment avec la Chine. Ces initiatives ont pour but d’assurer la présence de start-up internationales sur le site, mais aussi de permettre aux jeunes pousses russes de s’implanter et de rayonner à l’étranger.
De manière générale, les activités de services continuent de se développer à Moscou, d’autant que les réglementations sur le travail ne sont pas des plus strictes. Banques et grands magasins ferment tard le soir et restent opérationnels les dimanches et jours fériés. De plus, une multitude de petites entreprises voit le jour. “Les Russes ont compris que le client était roi et que s’ils voulaient faire du commerce, ils devaient se plier à cette règle”, conclut Pierric Bonnard. Pénalisée par l’effondrement des cours du pétrole et les sanctions dues à la crise ukrainienne, la croissance russe repart de l’avant, le FMI s’attendant à une progression du PIB de 1,4 en 2017. Grâce à une jeunesse habituée à la mondialisation, maîtrisant de mieux en mieux l’anglais, l’avenir se profile plutôt bien pour Moscou et la Russie.
À FAIRE
• Comprendre l’importance accordée à la confiance et aux rapports interpersonnels.
• Consacrer du temps à ses interlocuteurs en dehors du travail : traiter les affaires dans un cadre plus intime – les bains, la datcha – est une évidence en Russie.
• Être jovial et enthousiaste. Les personnes réservées ont peu de chance de réussir.
• Après un certain temps, appeler les gens par leur diminutif et éviter le très impersonnel “monsieur” ou “madame” suivi du prénom et du nom de famille.
• Lorsqu’on entretient de bonnes relations avec un homologue russe, penser à son anniversaire. C’est une chose cruciale en Russie.
• Se démarquer le plus possible de la concurrence locale.
À NE PAS FAIRE
• Ne pas penser que, sous prétexte que l’on a voyagé et que l’on parle plusieurs langues, on est plus expérimenté que son homologue russe.
• Ne jamais penser que les gens ne parlent pas votre langue, rester donc discret lorsque l’on est en compagnie.
• Ne pas se laisser tenter par la corruption, très présente en Russie, mais qui n’est jamais un bon pari sur le long terme.
• Ne pas faire d’humour dans des situations de travail. En général, les humours français et russe sont très différents, une blague pourrait tomber à plat, en particulier si elle est grivoise.
• Éviter aussi les sujets politiques, qui mettent souvent les gens mal à l’aise.
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