Malgré ses lenteurs administratives, ses incohérences et ses contrastes saisissants, la capitale économique de l’Inde, Bombay ou Mumbai en version hindi, a affiché un taux de croissance de plus de 10 % en 2011. Par Cécile Balavoine.
Par La Rédaction -
Dans une marée jaune et noire de vieux taxis hoquetant se coule une Bentley silencieuse. Dans les rues où un hôtel de grand luxe cohabite sans heurt avec un quasi-bidonville, un gentleman au style très british croise une jeune femme en sari traditionnel… Nous sommes à Bombay, ville de tous les excès. Celle, entre autres, où a poussé en 2010 la “maison” la plus chère de la planète, l’Antilia Building, imposant foyer de l’homme d’affaires Mukesh Ambani au coût estimé à peu près à deux milliards de dollars. Une extravagance de 27 étages, de trois héliports, des jardins suspendus, un petit musée et 600 domestiques… qui s’élève au coeur même des bidonvilles. “Bombay était autrefois constitué de sept îles que l’on a rattachées les unes aux autres ; chacune avec ses quartiers pauvres et riches. C’est pourquoi les disparités sont restées à travers toute la ville, explique Kavita Sharma, directrice adjointe de la Bombay Chamber of commerce. Mais elles deviennent de plus en plus extrêmes”.
Richesse et insalubrité
Sous l’impact d’une population sans cesse croissante, l’immobilier flambe et il n’est pas rare de voir un médecin, un avocat ou une femme d’affaires rentrer le soir dans son baraquement de taule à la Slumdog Millionaire. Si environ un tiers des 20 à 25 millions d’habitants du grand Bombay – les estimations varient et sont impossibles à confirmer – vit dans des logements insalubres, la ville n’en reste pas moins celle où le revenu par tête est le plus élevé du pays. En 2009, il atteignait les 2 910 dollars, ou 2 360 euros, soit près de trois fois plus que la moyenne nationale. “Le Maharashtra, troisième plus grand État de l’Inde, génère 23 % des revenus du pays et représente la plus haute contribution à son PIB”, reprend Kavita Sharma.
Son économie, émergente, affiche un taux de croissance de 10,5 % en 2011, contre 8,6 % au niveau national. Sans compter que Bombay concentre 27 % de toutes les exportations de l’Inde. La raison : des activités de plus en plus pointues, tournées vers l’industrie automobile, les biotechnologies et la chimie, l’agroalimentaire, les pierres précieuses, les technologies de l’information (IT), mais aussi la pharmacie… Et, encore un peu, le textile, vecteur historique de richesse.
On le voit, la capitale économique et financière de l’Inde est bel et bien en mutation, à l’image du pays lui-même, “la plus grande démocratie du monde”. “L’économie indienne est encore jeune, elle ne s’est ouverte qu’en 1991, et les échanges internationaux n’ont vraiment commencé qu’au début des années 2000, souligne Pierre Lignot, directeur d’Ubifrance Inde. Mais contrairement à la Chine, l’Inde a d’abord développé ses activités de services, notamment dans les domaines de la téléphonie et de l’informatique”, poursuit le directeur. Si Bangalore reste la plaque tournante du secteur IT, Bombay profite aussi de la présence d’ingénieurs ultra qualifiés, parlant un anglais absolument parfait. “Si on considère que la Chine est l’atelier du monde, on peut dire que l’Inde en est le bureau”, définit Pierre Lignot.
De concert avec cette “technologisation” du pays, Bombay poursuit sa lente désin dustrialisation, effaçant peu à peu ses usines de textile. Les Mills, ces anciennes fabriques de coton situées au nord de la ville, notamment dans les quartiers de Lower Parel et de Worli, sont rasées au profit de centres commerciaux de luxe ou d’immeubles d’habitation ultra design. Comme cette petite révolution architecturale qui devrait voir le jour vers 2014, le World One, bâtiment futuriste de 117 étages signé I. M. Pei. “La ville n’a pas encore de références architecturales, mais cela ne saurait tarder, car les nouveaux groupes qui installent leurs sièges à Bombay souhaitent une assise internationale et les tours à construire deviendront leurs flagships”, explique Matthieu Lefort, directeur de la mission économique de Bombay.
Pourtant, dans les rues où taudis et tours se côtoient sans gêne, la planification urbaine semble être une notion encore bien vague. Depuis le bar-terrasse du Four Seasons, pour l’instant le plus haut bâtiment de la ville, on regarde pousser des tours modernes, dont celle du futur hôtel Shangri-La, entre le Dobi Ghat, laverie labyrinthe à ciel ouvert, et les bidonvilles aux toits de bâches, entre les demeures coloniales délabrées et l’hippodrome Mahalaxmi avec sa végétation en friche.
Ça déménage à bandra kurla
Mais de tout ce chaos surgit aussi une énergie de vie phénoménale. Comme à Bandra Kurla Complex, le nouveau quartier d’affaires du nord de la ville, où les grands groupes s’installent les uns après les autres. “C’est là que siègent désormais JP Morgan, BNP Paribas, Citigroup ou Bank of India”, précise Matthieu Lefort. Ce business district est devenu un centre financier, mais aussi diplomatique, où les consulats, français et américain notamment, autrefois localisés à Colaba, à la pointe de la péninsule, voisinent désormais avec les grands hôtels.
Symbole de ce renouveau urbain, le Rajiv Gandhi Sea Link, monumental pont à péage de deux fois quatre voies inauguré en mars 2010, relie maintenant le quartier historique du sud aux quartiers nord de la ville, en pleine expansion. Une réussite, certes, mais qui limite à peine les formidables embouteillages que connaissent les Mumbaikars, les habitants de Bombay. En décembre 2011, on comptait plus de deux millions de véhicules circulant dans la métropole. Du coup, le grand projet du métro aérien, lancé en 2006 et dont les travaux ont débuté en 2008, devient chaque jour plus urgent. Il lambine pourtant, ce projet. Et les dépassements de budget s’accumulent. Il n’empêche que la première phase devrait s’ouvrir sur du grandiose avec, d’un seul coup, l’inauguration de 60 km de lignes. Malgré ces lenteurs dues en partie à une pesanteur administrative légendaire, il faut néanmoins reconnaître que le Maharashtra dispose du réseau d’infrastructures le plus développé et le plus moderne parmi les grands États indiens avec 267 000 km de routes, 3700 km de voies ferrées et la première autoroute à péage du pays, reliant Bombay à Pune, centre industriel et deuxième ville de la région. D’autres projets comme le Delhi- Mumbai Industrial Corridor, un couloir de fret ferroviaire de 1 483 km, devraient aboutir dans les prochaines années, tandis que l’aéroport, qui représente déjà le plus gros volume de voyageurs internationaux du pays avec 30,7 millions de passagers recensés en 2011, s’apprête à voir ses capacités augmenter d’au moins 30 %.
Le Goût Des Belles Choses
Bombay a les moyens de son envergure. D’autant que la mégalopole, parmi les plus peuplées du monde, capte tout de même 40 % des recettes fiscales du pays. Forte de cette richesse croissante, elle fait lentement les yeux doux aux produits venus d’ailleurs. Certes, en raison d’un appareil industriel qui n’est pas encore assez performant pour pourvoir à ses énormes besoins, mais aussi parce qu’une classe moyenne, avide de jolies choses, émerge progressivement. “L’Inde étant le deuxième marché en développement après la Chine, tout y est encore à faire… Au fond, c’est la Chine d’il y a quinze ans”, explique encore Matthieu Lefort.
Même si le luxe reste un domaine de niche, les grandes marques françaises s’implantent dans le pays. Hermès vient d’ouvrir sa toute première boutique à Bombay, Louis Vuitton sa cinquième antenne indienne à Chennai, alors que Chanel ou Clarins ont des vitrines dans tous les centres commerciaux du pays, à commencer par le Palladium Mall de Bombay.
“Parmi les stratégies de développement des marques françaises, l’adaptation aux besoins locaux est essentielle”, reprend Pierre Lignot. Ainsi L’Oréal, dont l’égérie nationale n’est autre que la reine bollywoodienne Aishwarya Rai, propose-t-il des produits au format réduit afin d’afficher des prix abordables. Lacoste crée des kurtas en maille piquée, ces tuniques longues portées partout en Inde. Toujours dans le même ordre d’idée, Hermès a lancé au printemps 2012 une édition limitée de saris en soie. La liste est longue. Tout comme l’intérêt de cette classe moyenne montante pour les produits nouveaux, à l’image du vin qui, lui aussi, prend du volume. D’après les prévisions, le marché du vin devrait connaître une hausse de 100 % entre 2010 et 2014. Un chiffre qui peut sembler faramineux, mais qui ne représente en réalité que dix millions d’euros de recettes et 2 % de la consommation d’alcool du pays.
Armés de patience
Certaines entreprises françaises parient déjà pleinement sur le potentiel indien. “Le groupe hôtelier Accor affiche des taux de croissance de son offre proches des 20 % par an, avec un projet de 70 hôtels dans le pays d’ici 2017”, reprend Matthieu Lefort. La clé de la réussite : la patience d’attendre un retour sur investissement. Pour Laura Prasad, secrétaire générale de la chambre de commerce indo-française, Bombay est une ville qui, certes, pose des problèmes démographiques, tout comme d’infrastructures et de logements, mais qui, en même temps, recèle de formidables opportunités. “La chambre aide de nombreuses PME à s’implanter, car, si la Chine commence à stagner, l’Inde montre pour sa part un potentiel grandissant”, explique celle-ci. “Bien sûr, le marché indien est très complexe, mais il reste possible d’en contourner les difficultés, notamment en trouvant le bon partenaire local”, conclut la secrétaire générale. D’autant que Bombay, en plus de favoriser les biens de consommation et la finance, affirme une volonté nette de développer les secteurs de la santé, des biotechnologies, des cosmétiques, de l’industrie pharmaceutique ou de l’immobilier. Rien que du concret, certes, mais dans la capitale du rêve bollywoodien, tous les espoirs sont permis.
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