
Il y a quelque chose de paradoxal à Boston. Un sentiment diffus, un mystère que l’on perçoit sans le comprendre immédiatement. Cette ville, parmi les plus anciennes des États-Unis, fondée en 1630 sur les bords de la Charles River, a le charme d’une grande dame un rien hautaine et compassée. Ses longues rues solennelles bordées d’érables et de “brownstones”, maisons de grès rouge typiquement XIXe siècle, imposent silence et respect ; presque de la timidité. On se sent loin de New York et de ses extravagances. Pourtant, un tiers des 650 000 habitants de Boston – deux millions en comptant l’agglomération – est âgé de moins de 30 ans.
N’est-ce pas là, dans ces chiffres, que se résout l’énigme ? Dans le fait que Boston est au fond… une vieille ville de jeunes ? Une cité puritaine qui aurait du mal à tomber la cravate, mais qui resterait tout de même un peu frondeuse et serait largement tournée vers l’avenir et l’innovation ? Rien n’est plus représentatif de cet apparent contraste que la présence à Cambridge, de l’autre côté du fleuve, de la plus ancienne université du pays, Harvard, inaugurée en 1636. De génération en génération, une jeunesse souvent dorée mais progressiste n’a cessé de s’y former, de John F. Kennedy à Barack Obama, de Bill Gates à Mark Zuckerberg ou Natalie Portman.

peu, on croirait que Boston n’est pas la capitale de la Nouvelle, mais de la Vieille Angleterre. Et pourtant non, elle
bouge. Le Quincy Market se métamorphose en boutiques trendy et ses parcs se mettent en mode street art.
Chercheuse au département de sociologie de cette vénérable institution, Nina Gheihman explique que, si les caractéristiques de l’élite WASP – White Anglo- Saxon Protestant – existent encore bel et bien, désormais l’utilisation du terme frôle l’insulte. “Depuis les mouvements politiques des années 60 – Civil Rights, féminisme, pacifisme… –, être regardé comme l’élite implique une idée de privilège au sens négatif et personne ne tient à être identifié comme WASP”, affirme la sociologue.
Pourtant, l’esprit WASP demeure tout le long de la côte Est des États-Unis où s’égrène le chapelet des universités de l’Ivy League – le panthéon du monde académique outre-Atlantique – comme Harvard, Yale ou Princeton. Un esprit où tradition et innovation n’ont rien d’un oxymore. Déjà, en 1886, lorsqu’il publia Les Bostoniennes, Henry James évoquait cette curieuse disposition de la bourgeoisie de Nouvelle-Angleterre, à la fois élitiste, mais porteuse de révolutions, celle des suffragettes en l’occurrence. Plus d’un siècle plus tard, est-ce un hasard si, en 2004, le Massachusetts fut le premier État américain à voter en faveur du mariage gay. Bien avant New York en 2011. Bien avant la Californie en 2013.
Recherche fondamentale
Par delà cet aspect sociétal, ce qui révolutionne vraiment Boston depuis plus d’une décennie, c’est le souffle des sciences de la vie. “La branche Business France de Boston se concentre uniquement sur la santé et la biotech, tant ces activités sont centrales ici”, explique à ce sujet Charles-Henry Dion, chef de pôle pour Business France. De la même manière que la hightech à San Francisco, la biotech et la santé sont devenues les moteurs de Boston. Même si, en parallèle, des entreprises comme Apple, Google, Facebook ou Microsoft y sont bien sûr présentes. En plein coeur de Cambridge, Kendall Square concentre ainsi le plus grand nombre de centres de R&D au monde en matière de pharmaceutique et de santé. “C’est là qu’on identifie et développe de nouvelles molécules”, précise Charles-Henry Dion. Ce foisonnement n’est pas dû au hasard. D’une part, parce que le tout proche et célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT) a contribué organiquement à cet essor, mais aussi parce qu’une vraie volonté politique a permis à Boston de devenir un hub clé en matière de recherche scientifique. “Boston a fait le pari d’attirer les gros pachydermes du domaine, tels Merck, Johnson & Johnson, Sanofi et Novartis, alors qu’historiquement l’industrie pharmaceutique était surtout présente dans le New Jersey ou en Pennsylvanie, décrit Charles-Henry Dion. Tout acteur biopharmaceutique d’envergure mondiale se doit d’être aujourd’hui présent à Boston.”

plus vieux bâtiments des États-Unis. C’est de son balcon que fut lue la Déclaration d’indépendance pour la première fois.

Pourtant, à l’origine, au XIXe siècle, ce n’est pas sur les sciences, mais sur le commerce et l’industrie textile que Boston a bâti sa fortune, puis renforcé son rayonnement culturel. De grands mécènes du secteur comme Isabella Steward Gardner, fille de négociant, ont contribué à ouvrir des musées et des bibliothèques comme l’élégante Athenaeum, à créer des orchestres comme le Boston Symphony, l’un des “Big Five” américains. La présence actuelle de grandes marques de mode – Converse, Reebok ou New Balance ont leurs sièges à Boston – se lit comme un vestige de ce brillant passé marchand. Ensuite, au XXe siècle, la ville s’est peu à peu tournée vers les assurances et les fonds de pension avec des sociétés comme Prudential, Liberty Mutual ou State Street, toujours actives aujourd’hui…
C’est finalement sous l’impulsion du gouverneur Deval Patrick, en poste de 2007 à 2015, que la volonté de faire de Boston un “Super Cluster” en matière de sciences de la vie s’est véritablement ancrée. Le “One Billion Dollar Bill”, un investissement d’un milliard de dollars en faveur des entreprises du domaine de la santé, a propulsé la capitale du Commonwealth of Massachusetts au premier plan.
Grâce à cela, Kendall Square est devenu un vivier où des centaines de laboratoires de recherche et d’entreprises en biotech se côtoient dans un périmètre que l’on parcourt en moins de vingt minutes. Un facteur explique ce succès : le terreau éducatif. En effet, pas moins d’une centaine d’institutions d’enseignement supérieur parmi les plus prestigieuses de la planète se concentrent dans un rayon d’une heure autour de Boston, avec le MIT et Harvard bien sûr, mais aussi les Boston University, Northeastern, Tufts, UMass, ou encore le Smith College et la Brown University… En plus de cette densité universitaire, Boston accueille de prestigieux hôpitaux de recherche soutenus par des financements émanant des National Institutes of Health. En conséquence, les innovations peuvent être immédiatement appliquées et testées en milieu hospitalier, ce qui attire de plus en plus de grandes entreprises en quête de solutions innovantes.


Revers de la médaille : si cette concentration d’acteurs offre une dynamique unique au monde, les prix de l’immobilier montent en flèche. Boston vient même de rafler la troisième place des villes les plus chères des États-Unis après San Francisco et New York. “Malgré cela, on constate une tendance des étudiants à vouloir rester dans la région après la fin de leurs études. En moins de dix ans, la population bostonienne a augmenté de 5 %”, remarque Nam Pham, secrétaire attaché au développement économique auprès du gouvernement du Massachusetts.
Pas encore diplômé, déjà embauché
En effet, les entreprises viennent recruter, avant même la fin de leur cursus, les 200 000 étudiants qui fréquentent les campus. Boston a quelques ravissants attraits à leur offrir : hormis un centre hors de prix, fleurissent de nouveaux quartiers hip comme South End ou Seaport où poussent musées d’art contemporain, “community centers” high-tech et restaurants locavores. “C’est une ville où il fait bon vivre et à l’économie prospère, notamment avec le développement de Seaport, aussi nommé ’Innovation District’. Ici, certains secteurs ne connaissent pas le chômage”, conclut le spécialiste du développement économique. Selon Ludivine Wolczik, directrice de la chambre de commerce franco- américaine de Boston, beaucoup d’entreprises françaises ont la tentation de venir s’implanter dans le Massachusetts, l’un des trois premiers choix outre-Atlantique dans le domaine des sciences de la vie avec la Silicon Valley et New York. La proximité géographique et le faible décalage horaire avec l’Europe – six heures, contre neuf heures avec la Californie – jouent aussi un rôle déterminant. “Les entrepreneurs français savent qu’en se levant tôt à Boston, ils peuvent avoir quelques heures de travail en commun avec l’Hexagone”, précise la directrice.
Selon elle, d’autres secteurs en dehors des biotechs commencent aussi à prendre leur envol, les clean techs notamment, qui a le vent en poupe avec la création récente d’institutions telles le Mass Clean Energy Center, le New England Clean Energy Council ou l’incubateur Greentown Labs, mais également l’édition de logiciels. “Ces softwares sont souvent liés au management d’équipes, aux sciences de la vie ou encore à la finance. Car, même si New York reste la capitale financière du pays, Boston en est la première place pour le capital-risque”, constate Ludivine Wolczik. Les business angels se feraient donc de plus en plus nombreux dans les rues de Boston… la transformant petit à petit en nouveau paradis pour start-up.


Grandes universités
Le MIT ou l’éloge de l’intelligence pratique
Le Massachusetts Institute of Technology (MIT), avec ses 85 lauréats du prix Nobel, est sans conteste l’une des plus prestigieuses institutions d’enseignement supérieur des États-Unis. Mais en quoi se distingue-t-il des autres grandes universités américaines ? Selon le professeur Richard K. Lester, doyen attaché aux affaires internationales, le MIT a toujours visé l’impact pratique, au-delà de sa dimension intellectuelle. “Fondé le long de la Charles River en 1861, l’institut a eu pour ambition de remplir l’espace laissé vide par son grand voisin Harvard : celui du soutien aux industries et à l’agriculture locales par la formation de jeunes talents et par la création de nouveaux savoirs”. Ce souci de praticité est resté dans l’ADN du campus, avec pour devise “Mens et Manus”, l’esprit et la main. “Si l’importance des sciences fondamentales est désormais centrale, l’application des découvertes à un niveau économique et écologique, mais aussi la volonté de résoudre les grands problèmes du monde, sont essentielles”, assure le professeur Lester.
Depuis le XIXe siècle, le MIT entretient donc des liens très forts avec l’industrie. Aujourd’hui, 750 entreprises partenaires cherchent à connaître l’avenir de leurs secteurs en incitant les étudiants à trouver des solutions innovantes à leurs problèmes. L’université est de ce fait devenue celle qui reçoit le plus de financements au monde de la part d’entreprises. Étudiants et enseignants sont eux-mêmes largement impliqués dans la création d’entreprises. Parmi les anciens élèves encore actifs, soit environ 120 000 individus, 30 000 ont lancé des sociétés qui représentent aujourd’hui 4,6 millions d’emplois à travers le monde et un chiffre d’affaires de 1,9 trillion de dollars, soit l’équivalent de la 10e puissance économique mondiale. “C’est un énorme impact sur l’économie globale, mais également au plan local”, reconnaît Richard K. Lester, “car 7 000 de ces entreprises sont basées dans le Massachusetts, en particulier à Cambridge, dans le quartier de Kendall Square. C’est là que se concentre le plus grand nombre au plan mondial de laboratoires de recherches dans le domaine des sciences de la vie, le tout à proximité directe du MIT et sous l’égide de ce gigantesque générateur de talents”. Le rayonnement du “cerveau de l’Amérique” se manifeste aussi par les extravagantes constructions qui ponctuent le campus, la plupart signées des grands noms de l’architecture comme I.M. Pei ou encore Frank Gehry. On devine que l’innovation ne s’arrête pas aux disciplines enseignées, que ce soit les sciences physiques, la biologie, l’économie, la linguistique – Noam Chomsky est ici professeur émérite – ou encore l’étude du cerveau et les sciences sociales… Le MIT est également un temple de la diversité : 40 % des étudiants de troisième cycle et plus du tiers des enseignants sont nés hors des États-Unis, tandis que 46 % de la population estudiantine est féminine.
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