Tendance : bain de jouvence au cabaret

Secoués par la crise et la vague d’attentats de 2015, les cabarets font front. Les revues se sont modernisées, tandis que s’ouvrent des établissements d’un nouveau type. Mieux, ils attirent désormais un public jeune et réactif !
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Dans l’inconscient collectif, les cabarets sont autant liés à l’image de Paris que les maisons haute couture de l’avenue Montaigne. À travers leurs revues, le Moulin Rouge et le Lido (photo) font revivre le temps d’un soir la légèreté des Années Folles. © Lido-J.Panié

Lido, Moulin Rouge, Crazy Horse… Tous ces lieux participent à la légende de Paris, véhiculant dans l’inconscient collectif cette image de légèreté et d’audace qui entoure la capitale depuis les Années Folles. Mais ces mythes en strass et paillettes sont loin d’être les seuls cabarets en France, puisqu’on en recense 150 dans tout l’Hexagone. « Un cabaret est un établissement où, tout en consommant, les clients assistent à des spectacles de variétés, et dans certains cas peuvent danser après », raconte Daniel Stevens, directeur général de la chambre syndicale des cabarets artistiques et des discothèques. Chaque année, ils reçoivent près de 3 600 000 spectateurs français et étrangers, dont 2 400 000 pour les seules revues parisiennes.
Souvent assimilés à une clientèle âgée, les cabarets ont entrepris depuis environ trois ans une vaste opération de dépoussiérage. Les revues sont de plus en plus contemporaines, les établissements font appel à des metteurs en scène de renom comme Philippe Découflé ou Franco Dragone, à des costumiers très chics et très célèbres comme Kark Lagerfeld, Christian Louboutin ou Chantal Thomass. Sans parler des guest stars telles Dita Von Teese ou Arielle Dombasle. « De nouveaux lieux voient également le jour, aussi bien à Paris qu’en province, ajoute Daniel Stevens. Aujourd’hui, nous travaillons pour effacer l’image un peu vieillotte qui colle à la peau des revues.”

Des revues très haute couture

Les salles parisiennes, dont l’aura rayonne à travers le monde, se sont ainsi lancées dans la modernisation de leurs shows. L’ouverture en 2013 de la revue Mugler Follies au Comédia – l’ancien théâtre l’Eldorado, dans le Xe arrondissement de Paris – n’est pas étrangère à leur démarche. Aujourd’hui disparu, ce spectacle signé par le couturier Thierry Mugler a poussé les grands cabarets à revoir leur offre. Premier à passer à l’offensive, le Lido a entrepris en 2014 un total relooking. Un lifting qui a duré quatre mois ! Nouvelle décoration, nouvelle machinerie pour un nouveau spectacle intitulé Paris Merveille et orchestré par une célébrité de la mise en scène, Franco Dragone, ancien des cirques du Soleil et d’Archaos. Ce maître incontestable des grands shows a revisité la revue, comme le confirme Hervé Duperret, directeur général : « c’est un renouveau dans la tradition. Franco Dragone a su moderniser la revue tout en conservant l’ADN du Lido : de beaux artistes, des plumes, des strass, des grands escaliers, des Bluebell Girls aux jambes qui n’en finissent plus, des Lido Boys Dancers aux abdos impeccables…”.
Le show intègre notamment un mur d’écran Led, des effets spéciaux, des costumes signés Nicolas Vaudelet, ex-styliste de Christian Lacroix et de Jean Paul Gaultier, à côté d’artistes hors du commun comme l’avaleuse de sabres Lucky Hell ou Manon, la chanteuse-meneuse de revue, qui fait figure d’OVNI dans l’histoire du Lido. Avec sa chevelure de feu, ses tatouages et sa petite taille, cette demi-finaliste du concours The Voice casse totalement les anciens codes de l’établissement. Sa voix de mezzo-soprano met chaque soir le feu à la salle et attire un jeune public époustouflé !

Fréquentation record

C’est aussi le cas du Moulin Rouge, autre emblème des nuits parisiennes. Le lieu est devenu très mode, avec un taux d’occupation moyen atteignant les 96 % chaque soir ! Une fréquentation record qui s’explique par des actions menées en direction des jeunes. Depuis 15 ans, le lieu surfe sur le succès du film Moulin Rouge, de Baz Luhrmann, qui lui a donné un rayonnement international. Ainsi, il n’est pas rare aujourd’hui de croiser des moins de 20 ans venus passer une soirée entre copains ou en famille dans ce sublime décor Belle Epoque. La clientèle française et étrangère vient y admirer le spectacle Féerie. Si le show lancé en 1999 est inchangé – avec notamment un numéro de French Cancan endiablé –, de nouveaux jeux de lumière, ainsi qu’un design revisité et des services VIP ont été mis en place. Côté cuisine, fini également le traiteur Dalloyau : c’est le chef David Le Quellec, secondé par le chef pâtissier Samuel Pannetrat, qui est aux fourneaux. Largement remaniée, la carte comporte désormais un menu gastronomique composé de produits de luxe issus du terroir régional. Le tout sur réservation, car les plats sont réalisés à la dernière minute.

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Passé par de grandes tables étoilées, David Le Quellec officie dans les cuisines du Moulin Rouge. ® Moulin Rouge – J. Habas

Nues et célèbres

Réputé pour l’érotisme feutré et sensuel de ses danseuses nues, le Crazy Horse fait quant à lui le buzz avec les shows exclusifs et éphémères de personnalités comme Conchita Wurst, Dita Von Teese, Arielle Dombasle, Pamela Anderson… et dernièrement la créatrice Chantal Thomass. « Toutes ces invitations temporaires, associées avec des actions de communication digitale, contribuent au rajeunissement de notre image », souligne Sophie Barthélémy, directrice générale adjointe en charge du développement commercial de la marque Crazy Horse. Le cabaret soigne les jeunes avec une offre étudiant à 40 € ou 50 €, comprenant le spectacle et une coupe de champagne au bar. « Nous avons beaucoup de trentenaires, dont pas mal de femmes, en particulier dans la clientèle affaires ». Pour les entreprises, le Crazy Horse a mis en place diverses propositions, dont la Crazy Experience, une plongée unique au cœur des coulisses du cabaret avec une visite guidée révélant tous les secrets qui font le charme du lieu. Une offre qui peut se réserver pour des petits groupes de 10 à 12 personnes.
Dans un tout autre genre, mais dans une mise en scène jouant également sur le côté intimiste de la salle, l’Artishow renouvelle chaque année son spectacle et sort tous les mois un à deux nouveaux numéros.

L'artishow
L’artishow
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Le glamour coquin du Crazy Horse a été sublimé par l’accueil de célébrités comme la créatrice de lingerie chic Chantal Thomass jusqu’à la fin de l’année, et Dita von Teese ou Arielle Dombasle avant elle. © Riccardo Tinelli
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Des strass et des paillettes ou des danseuses presque dans leur plus simple appareil, mais toujours avec un grain de folie et de sensualité, dévoilent des corps en majesté. © Riccardo Tinelli
Elles ont pour noms de scène Gloria di Parma, Martha Von Krupp, Dekka Dance ou Mika Do. Elles ont pour elles des corps de rêve, des cheveux couleur jais et une grâce mutine. Les Crazy Girls incarnent cette ultra féminité magnifiée par les jeux d’ombres et de lumières qui ont fait la célébrité du Crazy Horse. © Riccardo Tinelli

 

Ce cabaret transformiste créé par une bande de copains touche une clientèle allant de… 7 à 77 ans ! La meneuse, Framboise, qui se dénomme Pascal dans la vie profane et est aussi le fondateur du lieu : « Dès la création de l’Artishow en 2002, nous avons imaginé un endroit convivial qui soit beaucoup plus qu’un show transformiste. Nous mélangeons comédie, danses et chants… le tout, sans aucune vulgarité ! » Plus de la moitié des artistes sont là depuis le départ. Certains servent en salle entre deux représentations, tandis que d’autres vont à la rencontre des convives. Ex-médecin, Pascal aime à dire “que son nouveau métier n’est pas éloigné de l’ancien : nous apportons du bonheur aux autres… Dans le climat de morosité actuel, cela vaut toutes les boîtes de Prozac ! »
Dans d’autres lieux, le renouveau passe par l’innovation. Ainsi, situé sur la prestigieuse avenue Montaigne, dans les anciennes salles Drouot, le Manko est bien plus qu’un restaurant gastronomique tendance. Ouvert par Gaston Acurio, la star de la cuisine péruvienne, en compagnie de Benjamin Patou, patron du Bus Palladium et de l’Arc, et du chanteur Garou, le lieu se transforme tous les vendredis et samedis en cabaret. Le spectacle est mis en scène par Manon Savary – une ex des Mugler Follies – et animé par Marc Zaffuto et Emmanuel d’Orazio, les créateurs de la soirée Club Sandwich.
La revue se veut décalée et participative : les artistes quittent la scène, effectuent des numéros aériens au-dessus des clients, se mêlent au public… Un contorsionniste exécute même un formidable numéro sur un fauteuil roulant !
Le show se veut ainsi un mix entre cirque et burlesque. Car les tendances pin-up et glamour touchent aussi les cabarets. Sorti en 2010, le film Tournée de Mathieu Almaric, dépeignant la vie d’une troupe américaine de cabaret néo-burlesque en représentation dans diverses villes françaises, a contribué à cette mode. Tout comme l’effeuilleuse américaine Dita Von Teese qui affole tous les hommes à chacune de ses apparitions. « Le burlesque fait partie de la même famille que les revues : on peut faire des shows de variétés avec la participation de différents artistes », dit Valentina Del Pearls, fondatrice du Burlesque Klub.
Créé en 2010, le Burlesque Klub a pour vocation de diffuser le mouvement artistique et féministe appelé le néo-burlesque. Né aux États-Unis dans les années 90, ce divertissement s’articule autour de performeurs reprenant les codes du strip-tease rétro à des fins esthétiques, humoristiques ou engagées. “La clientèle est très variée. Elle se compose aussi bien d’hommes que de femmes de tous âges, venant en couple ou entre amis”, précise l’effeuilleuse. Tous les samedis soirs, le cabaret ouvre ses portes au théâtre La Nouvelle Seine. Parmi ses clients privés, des entreprises comme Google, Virgin Megastore, Bouygues Construction, France Télévisions ou encore Digital Factory.
Le Lettingo Cabaret, autre approche du concept lancée en 2012, est tout droit sorti de l’imagination d’une bande de copains artistes qui souhaitaient faire revivre la légende du cabaret parisien. « Nous avions envie de mélanger différentes disciplines au cours d’une même soirée, de retrouver l’esprit festif et populaire des cabarets de la fin du XIXe siècle, mais en y ajoutant un côté contemporain, un peu dans le style des cirques modernes », décrit la meneuse de revues Claire Pringent, alias Salvia Badtripes sur scène.

Tendance néo-burlesque

Le Lettingo Cabaret se produit une fois tous les deux mois au Café de la Presse – et depuis novembre également au restaurant China Club – avec un show qui rajeunit le concept du dîner-spectacle. Pendant près de deux heures, une dizaine d’artistes, venus de France et de l’étranger, entraînent les spectateurs dans un voyage original, dont le thème change tous les mois. Clown, effeuilleuse, jongleur, magie, chant lyrique, contorsion, fakir, transformiste, pantomime, pole dance… Les créations inédites sont nombreuses. « Au départ, notre clientèle était issue du milieu alternatif. Mais aujourd’hui, elle se compose de 30-45 ans, CSP+ à la recherche d’expériences nouvelles. » Pour Claire Prigent, « le cabaret est l’art de la crise ! »Les numéros s’enchaînent au rythme d’un zapping effréné grandeur nature. Proches des clients attablés, les artistes établissent avec le public une véritable relation interactive. Légèreté, humour coquin, poésie créent une ambiance bon enfant. Que ce soit au Café de la Presse ou au China Club, l’entrée est gratuite. Seuls les repas et consommations sont payants. Les deux établissements sont privatisables par les entreprises.
Pour autant, il n’est pas forcément nécessaire de se rendre à Paris pour admirer des spectacles de cabarets. En province aussi, des revues de qualité sont présentées. Le Royal Palace à Kirrwiller, en Alsace, est un parfait exemple de réussite. Attirant chaque année plus de 200 000 spectateurs français et frontaliers, il fait partie, avec le Lido et le Moulin Rouge, des trois plus grands cabarets en France !
Le music-hall possède ses cuisiniers et ses musiciens, mais aussi sa propre troupe composée d’une quarantaine d’artistes internationaux, chanteurs, acrobates, danseurs ou magiciens. Le spectacle présente ainsi sept numéros d’attractions, contre deux ou trois seulement dans la plupart des cabarets.
Chaque année, l’établissement consacre un budget d’environ 4 millions d’euros à la création d’une nouvelle revue. La dernière, baptisée Flamboyant, accueille, pour la première fois dans l’histoire des cabarets, cinq mannequins professionnels pour des défilés hauts en couleur.… « Ces dernières années, c’est le lieu qui a connu le plus fort développement sous une formule cabaret-music hall, c’est-à-dire avec une revue mise un peu en retrait pour laisser une place plus grande aux parties musicales », constate Daniel Stevens, qui poursuit : « en province, il existe souvent une réelle démarche de recherche dans la création d’un spectacle. Que ce soit sur le plan artistique ou technique ».

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Des pin-up qui s’effeuillent avec humour et un brin de féminisme : l’esprit néo-burlesque renaissant aux États-Unis est incarné en France par la troupe du Burlesque Klub. ® Kalymar

La province, aussi, est une fête

À plus petite échelle, à Artigues, près de Bordeaux, le Grain d’Folie entraîne depuis 15 ans les spectateurs dans une joyeuse parenthèse dans leur quotidien. Fondé par Tieno, magicien et producteur d’artistes, il présente des spectacles dans la pure tradition du cabaret à la Française. « J’ai fait un music-hall comme je l’imaginais : avec du rire, de la sensualité et des tableaux de qualité qui s’enchaînent rapidement. » Peu de plumes, un French Cancan, un numéro du type Crazy Horse, des chanteurs, des danseuses et des transformistes… 12 artistes se succèdent pendant une heure et demie devant des clients attablés avant de laisser la place à un spectacle de deux heures. De l’accueil à la restauration, tout est étudié méticuleusement afin que le client soit vraiment le roi de la soirée. « Depuis deux ans, nous avons créé dans le Grand Sud-Ouest un label Cabaret. Les établissements membres s’engagent au travers d’une charte commune à une qualité professionnelle, aussi bien sur la prestation spectacle que sur le repas et l’accueil. »
Six établissements répondent pour l’instant aux critères qualitatifs exigés par la charte.
« Les bases d’une bonne représentation reposent aussi bien sur la lumière que sur le visuel, sur le son que sur l’ambiance qui doit être conviviale », estime Jean jacques Mazars, directeur artistique du Oh Paradis à Lyon. Dans son établissement, le sentiment d’être comme chez soi est renforcé par le côté intimiste du restaurant – 90 couverts –, mais également par les serveurs qui sont les artistes eux-mêmes et viennent en fin de soirée à la rencontre des spectateurs.

De son côté, en Bretagne, à deux pas de l’aéroport de Brest, le Breizh Paradise a choisi de jouer la carte identitaire en présentant un divertissement 100 % breton, comme le confirme Myriam Bingue, la directrice. « Auparavant, une troupe parisienne venait chaque week-end avec sa propre revue. Désormais, nous avons notre propre équipe exclusivement composée d’artistes locaux ! » Tous les deux ans, le spectacle est renouvelé. Celui de 2016, Les Tonnerres du Breizh, compte cinq danseuses, un maître de cérémonie, deux chanteurs et trois magiciens, dont l’un a été deux fois champion d’Europe. Dans le public, en grande majorité local, beaucoup de jeunes venus faire la fête et voir un show qui leur parle, avec des musiques et des danses actuelles.
Aujourd’hui tendance, les cabarets connaissent une vraie renaissance. Et il est bien là, le secret : coller à son époque, contemporaine donc, comme les lieux 1900 collaient à celle des Années Folles.

Chaque année, près de 2,4 millions de visiteurs fréquentent les cabarets parisiens. Des lieux de fête qui ont su se réinventer pour séduire un public plus jeune et qui se privatisent en soirée pour des événements d’entreprises tout en bonne humeur et légèreté. (Photo du spectacle du danseur Mansour, au Lido). © Pascal Le Segretain
Près d’un millier de costumes, des plumes et des paillettes, des centaines de litres de maquillage et des tonnes de rouges à lèvres : dans les coulisses du Moulin Rouge, les Doriss Girls se préparent à entrer en scène. © Moulin Rouge – Sandie Bertrand
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Aux grandes heures de la Belle époque, la scène du théâtre des Champs Élysée accueillait la diva du music-hall Joséphine Baker. Le lieu héberge aujourd’hui un restaurant péruvien trendy, le Manko, qui se transforme les soirs du week-end en cabaret fantasmagorique mis en scène par Marion Savary. © Manko – Julia Etedi

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