Tendance : la French Tech tisse sa toile

Ces dernières années, de nouveaux espaces de coworking ont vu le jour à Paris, où de plus en plus de start-up et d’entreprises innovantes deviennent leaders sur le marché européen. Cap sur une nouvelle façon d'envisager le monde du travail.
La Mutinerie accueille des freelances, des designers, des graphistes, des architectes, des consultants, des développeurs… Une micro-société créative qui se réunit dans un lieu très actuel.

Le temps des déjeuners d’affaires interminables et guindés, costume trois-pièces plaqué au corps et noeud de cravate bien serré, a fait long feu. À Paris, où les traditions ont pourtant la peau dure, le jean-baskets a pris le pas et on fait des affaires de manière plus informelle, mais tout aussi efficacement. Où ? Dans des lieux décalés au design soigné, des espaces de coworking où, installés dans leur sofa, les entrepreneurs créatifs sont en prise directe avec Londres, Berlin, New York et San Francisco via Skype ou Whatsapp…

Paris XVIII Grand Train
La mouvance créative s’accompagne de nouveaux lieux de vie comme le bar éphémère Grand Train.

LOIN DES CODES CORPORATE

L’ère du digital et de la mondialisation est passée par là. Petit à petit, les habitudes françaises ont rejoint celles des Anglo-Saxons. Pionniers, les trois frères Van den Broek et leur ami d’enfance Xavier Jacquemet ont fondé l’un des premiers espaces de coworking parisien dans le XIXe arrondissement. Loin des codes corporate, La Mutinerie a vu le jour en 2012 près de la station de métro Colonel Fabien. “Nous venions de domaines différents, nous étions jeunes, et nous avions besoin d’un réseau et d’un endroit où travailler autrement, explique William Van den Broek, l’un des trois frères. Nous connaissions New York et Berlin où commençaient à se développer les espaces de coworking, et c’est ainsi qu’est née l’idée d’une communauté”.

Dans cet ancien restaurant mué en ruche studieuse, la décontraction frappe autant que la moyenne d’âge : 30 à 35 ans maximum… En début d’après-midi, quelques membres s’activent derrière le comptoir toujours existant du restaurant pour préparer les gâteaux qui partiront comme des petits pains à l’heure du goûter ou lors de pauses café où l’on débat de l’actualité et fomente de nouveaux projets créatifs. Dans les canapés, au-dessous d’une ribambelle de photos accrochées à un fil –les portraits des 160 membres actifs –, on parle business ou on pianote sur son portable. Mais le vrai nerf de la guerre est ailleurs, derrière une porte dérobée qui mène à l’ancienne salle de rédaction d’un magazine d’architecture transformée en vaste open space où l’on travaille sur des tables de ping-pong. Pas un bruit, sinon celui des claviers et des soupirs concentrés. “Nous avons connu un succès très rapide, d’où l’envie d’étendre le concept. C’est pourquoi nous venons d’ouvrir une succursale campagnarde dans le Perche pour permettre de poursuivre le réseautage professionnel dans un contexte bucolique, avec des sessions de “techno-detox”, où téléphones et ordinateurs sont relégués au fond d’un tiroir le temps du week-end”, sourit William Van den Broek.

Paris KWERK
Un carrefour d’idées dans un lieu ultra design. Kwerk illustre la démocratisation à l’envers des espaces coworking. Émanation très haut de gamme d’un concept apparu dans l’Est parisien, ce nouvel acteur s’installe dans les beaux quartiers : le VIIIe arrondissement, Boulogne en attendant le boulevard Hausmann et Neuilly.

Le concept de coworking a fait florès à Paris depuis l’émergence du Silicon Sentier autour de La Cantine, un espace lancé en 2008 avant de prendre encore plus d’ampleur sous le nom de Numa. Plus d’une quarantaine d’espaces ont ouvert ces cinq dernières années, en attendant l’arrivée du spécialiste américain WeWork qui prendra ses quartiers rue Lafayette à l’été 2017. Parmi les derniers espaces inaugurés, Kwerk est sans doute le plus haut de gamme. Lancé en 2015 à Boulogne, ce “boutique coworking” a inauguré en mai sa première antenne parisienne dans le VIIIe arrondissement avec un lieu de 2 200 m2 déployé sur cinq étages. Rien que l’adresse est de bon augure : rue de la Bienfaisance. Les fondateurs Albert Angel et Lawrence Knights – un ange et un chevalier, n’est-ce pas là aussi bon signe ? –, l’un homme d’affaires, l’autre architecte et designer, se décrivent comme des travailleurs nomades avides de tendances. “Nous voulions appliquer notre expérience de l’hospitalité au monde du travail et du vivre ensemble”, explique Lawrence.

Ces bureaux ressemblant à des hôtels design, où le client est accueilli par des sculptures monumentales et des canapés profonds, où l’on peut organiser des conférences à des prix défiant toute concurrence, ont très vite éveillé l’intérêt des Parisiens. “Ça bouge à Paris, poursuit le cofondateur. Il y a un réel désir pour ce type d’espaces beaucoup plus accueillants que des bureaux traditionnels, offrant toutes sortes de services et de prestations, mais qui favorisent aussi les contacts.” La preuve : on trouve ici une entreprise de coaching-relooking, là un loueur de jets privés, ailleurs un bureau d’avocats, des designers… D’autres Kwerk, tous avec un même esprit décalé et élégant, sont attendus en 2017 boulevard Haussmann à Paris, ainsi qu’à Neuilly et Levallois… .

Paris Le Lieu du design
Créé en 2008 à l’initiative de la Région Île-de-France, le Lieu du design vise à faire du design industriel un atout majeur.
numa sylvain cambron
Au coeur de l’écosystème des start-up parisiennes, Numa, anciennement Silicon Sentier.
Paris CoWorking Mutinerie
La Mutinerie accueille des freelances, des designers, des graphistes, des architectes, des consultants, des développeurs… Une micro-société créative qui se réunit dans un lieu très actuel.

NOUVEL ESPRIT DESIGN

Ce qui fait le succès de ce nouvel esprit business est sans doute l’importance grandissante accordée au design. Si, en 2009, une étude avait montré que 60 % des entreprises, tous secteurs confondus, n’avaient encore jamais fait appel à un designer, ni pour un packaging, ni pour un logo, les choses ont tendance à évoluer. Le Lieu du Design, créé en 2009 par le conseil régional d’Île-de-France afin d’inviter les entreprises à recourir à ce savoir-faire, s’inscrit dans cette tendance. Installé dans les anciens magasins généraux de la Ville de Paris, l’espace réunit des entreprises lors de formations, plus de mille ayant ainsi été accompagnées depuis six ans. “Si les entreprises traditionnelles ont mis du temps à comprendre cet enjeu, les start-up, nées avec les outils du numérique, l’utilisent de manière spontanée, comme une évidence”, explique Stéphane Simon, directeur du lieu.

Vue espace des start-ups les villages wilmotte et associes SA
Ancien entrepôt de la SNCF, la Halle Freyssinet s’apprête à devenir le plus grand incubateur numérique du monde. Début 2017, l’esprit high-tech soufflera sous ses trois immenses nefs revisitées par Jean-Michel Wilmotte.

À deux pas des anciens magasins généraux, un autre espace emblématique de la nouvelle façon de travailler vient d’ouvrir cette année : le Cargo. Plus grand incubateur parisien du moment, il rassemble sur 16 000 m2 de jeunes pousses prometteuses qui cherchent à accélérer leur développement. En 2017, la palme de la French Tech reviendra à la Halle Freyssinet, dans le XIIIe arrondissement. Racheté à la SNCF par Xavier Niel, le patron de Free, cet ancien entrepôt ferroviaire datant des années 1920 devrait, avec ses 34 000 m², se transformer en… plus grand incubateur de la planète dans un décor signé Jean-Michel Wilmotte.

Extravagant ? Trop ambitieux ? L’écosystème parisien de l’innovation explose et la capitale compte près de 70 incubateurs et 5 000 start-up… dont 1 500 de plus chaque année ! Déjà, le secteur représente 400 000 salariés à l’échelle de la région Ile-de-France, le numérique représentant 5,5 % du PIB français. Est-ce un hasard si Paris est en troisième position des villes les plus attractives au monde au dernier classement des “Cities of opportunities” par PwC, après Londres et Toronto. C’est dire si la ville-musée est loin d’être restée figée dans son glorieux passé.

BLOC-NOTES

La Mutinerie 29, rue de Meaux – 75019 • Tél. : 09 81 14 92 00 • Internet : www.mutinerie.org Numa 39, rue du Caire – 75002 • Internet : paris.numa.co WeWork 33, rue la Fayette – 75009 • Tél. : +44 20 3695 4926 • Internet : www.wework.com Kwerk 44-46, rue de la Bienfaisance – 75008 • Tél : 06 40 47 35 71 • Internet : www.kwerk.fr Le Lieu du Design 11, rue de Cambrai – 75019 • Tél. : 01 40 41 51 02 • Internet : www.lelieududesign.com Le Cargo 157, boulevard Macdonald – 75019 • Internet : www.lecargo.paris Halle Freyssinet 55, boulevard Vincent Auriol – 75013 • Internet : halle-freyssinet.com