Trains de légende : glamour au fil du rail

Orient-Express, Transsibérien, Maharajas’Express, Eastern and Orient Express… Dans l’imaginaire collectif, ces noms évoquent des voyages de rêve, des expériences inoubliables à vivre au moins une fois dans sa vie !

Longeant la rivière Kwai, parcourant des rizières et des forêts luxuriantes, l’Eastern & Oriental Express file un train de sénateur de Singapour à Bangkok et laisse le temps d’apprécier l’envoûtante beauté de l’Asie du Sud-Est.

Les voyages en train sont comme une parenthèse dans un monde où règne la vitesse, raconte Yann Guezennec, directeur monde marketing et ventes trains et croisières au groupe Belmond. Souvent les réseaux internet ne fonctionnent pas et, du coup, les passagers déconnectent de l’univers virtuel. Ils se relaxent, regardent défiler les paysages, échangent et profitent des haltes pour rencontrer la population.” Cette sensation de plénitude qui se dégage du transport ferroviaire est encore décuplée lorsque les voyageurs embarquent à bord d’un de ces trains de légende, ceux dont la simple évocation du nom renvoie à l’Âge d’or du rail. Quand le moindre trajet devient une véritable aventure…

Une nostalgie joyeuse et exclusive : les palaces roulants font revivre l’Âge d’or du rail de façon personnalisée.

Tout commence aux États-Unis, en 1864, lorsque l’Américain Georges Mortimer Pullman invente la voiture Pioneer pour rendre les déplacements de nuit plus agréables. Sa décoration est raffinée et les passagers disposent d’un grand confort : cabinet de toilette, eau courante chaude et froide, placard à linge… Le concept du voyage en train de luxe vient de naître. Il se développera ensuite en Europe, sous la marque Pullman au Royaume-Uni et avec la fondation en France de la Compagnie des Wagons-Lits par Georges Nagelmackers. Cet industriel belge compte proposer à une clientèle aisée des voitures certes confortables, mais surtout très luxueuses. C’est ainsi qu’en juin 1883 débute gare de Strasbourg à Paris – aujourd’hui la gare de l’Est – , la légende de l’Orient-Express. “Le roi des trains, le train des rois”, tel qu’on le surnomme, relie dans un premier temps Paris à la Roumanie, puis en 1889 à Constantinople. C’est la première liaison directe entre l’Occident et l’Orient. Le chemin de fer chamboule en effet tous les concepts du voyage et ouvre les frontières. En 67 heures et 46 minutes, l’Orient-Express parcourt les 3 186 kilomètres qui séparent la Seine du Bosphore, faisant halte dans les principales capitales européennes.

Dans les années 20, le palace roulant se met à la mode Art déco avec un décor signé René Prou et René Lalique. Les 20 cabines, qui se transforment en salon durant la journée, jouent sur un extrême raffinement : tapisseries somptueuses, rideaux de velours, lits habillés de draps de soie, couverts en argent, coupes en cristal, sanitaires en marbre, chauffage central, eau chaude, éclairage au gaz, peignoirs au sceau de la compagnie. Têtes couronnées et princes déchus, espions ou diplomates, marchands d’armes et négociants, écrivains, artistes, hommes politiques et aventuriers… Tout ce beau monde se croise dans les couloirs de ce lieu à l’atmosphère unique ; un univers romanesque qui fut source d’inspiration pour Agatha Christie et son Crime de l’Orient-Express, publié en 1934. Trente ans plus tard, James Bond, alias Sean Connery, s’y battra contre les sbires du Spectre dans Bons Baisers de Russie.

Stars à bord

Aujourd’hui, le temps d’un voyage d’une à quatre nuits, des voyageurs privilégiés peuvent revivre le charme suranné des Années folles à bord du Venice-Simplon-Orient-Express. “Il peut être affrété partiellement ou totalement. Des trajets peuvent également être effectués sur demande. Mais dans ce cas, il faut réserver longtemps à l’avance”, prévient Yann Guezennec. Propriété du groupe Belmond, le train se compose d’authentiques voitures d’époque et effectue des liaisons régulières Calais-Paris- Venise, tout en desservant également des capitales européennes comme Vienne, Prague, Budapest, Bruxelles ou bien encore Istanbul, comme à ses débuts.

De l’autre côté de la Manche, un autre symbole ferroviaire des années 1920 propose un voyage hors du temps à ses 36 passagers. Il s’agit du Royal Scotsman, souvent décrit comme le train le plus luxueux au monde. Ses voitures offrent en effet un confort digne des plus grands hôtels. De style édouardien, sa décoration lui donne une ambiance très british de club privé. D’avril à octobre, le Royal Scotsman quitte au son des cornemuses la gare de Waverley à Édimbourg pour un circuit de deux à sept nuits au coeur des paysages écossais inaccessibles en voiture. Il franchit le pont suspendu du Forth, joyau architectural victorien, avant de se diriger vers les Highlands, via Aberdeen et Inverness. Une voiture panoramique permet d’admirer des lieux enchanteurs : lochs, châteaux, manoirs, ruines médiévales… Le parcours est agrémenté d’excursions et d’activités comme le tir au pigeon d’argile, la pêche ou le golf. À bord, tandis que des musiciens animent les soirées, le chef propose des menus composés à partir de produits locaux – du saumon bien sûr, mais aussi des fruits de mer, du gibier… –, le tout s’accordant avec de grands crus. Côté dress code, lors des dîners, les hommes sont invités à porter un costume sombre, un smoking ou… un kilt. Les dames, pour leur part, préféreront les robes du soir et les étoles. Le repas se transforme alors en événement mondain, et se poursuit au salon par des dégustations d’excellents whiskies pur malt, pendant qu’un barde conte des légendes écossaises.

Autres continents, autres rails, mais un même parfum d’exclusivité. Au départ de Singapour, l’Eastern & Oriental Express parcourt la Malaisie et la Thaïlande jusqu’à Bangkok, traversant des villes et des sites remarquables comme Malacca et Penang. En trois jours/deux nuits ou quatre jours/ trois nuits, il pénètre des forêts tropicales, sillonne des rizières et des champs de thé, longe la mer de Chine et celle d’Andaman. Ses voitures, qui proviennent d’un ancien train néo-zélandais, ont entièrement été réaménagées dans un style colonial : marqueterie, bois laqué, tapisseries asiatiques, verrerie en cristal taillé à la main… Quatre catégories de cabines privées sont proposées, dont deux suites présidentielles de 11,6 m². L’Eastern & Oriental dispose aussi de trois voitures-restaurants, d’une voiture piano-bar, d’une véranda et d’un salon bibliothèque. Le luxe et la nostalgie sont également au rendez-vous à bord du Rovos Rail qui, en Afrique du Sud, relie Le Cap à Johannesburg, puis poursuit sa route jusqu’aux chutes Victoria. Créé en 1989, il est tracté par d’authentiques locomotives à vapeur et se compose de wagons-lits Pullman des années 20 et 30. Mais Rovos Rail propose aussi un autre joyau, le “Pride of Africa” – la “fierté de l’Afrique” –, qui offre divers circuits de 48 heures à 15 jours au départ du Cap et pouvant aller jusqu’à Dar es Salam en Tanzanie. En toile de fond, des paysages exceptionnels comme la région semi-désertique du Karoo, les hauts plateaux du Highveld, les parcs naturels du Botswana, le Zimbabwe, les chutes Victoria…

Butler et salle de bain privée

Sur demande, les parcours peuvent inclure un safari-photo dans une réserve, des haltes-dégustations dans les vignobles sud-africains, une croisière sur le Zambèze ou encore une traversée du désert du Kalahari. Les wagons, entièrement rénovés, peuvent transporter 72 passagers dans 36 suites de 11 m². La voiture-restaurant propose une cuisine sud-africaine gastronomique, tandis qu’une voiture panoramique permet de profiter pleinement du paysage. Assurant des liaisons régulières entre Le Cap et Pretoria, le Blue Train, son concurrent inauguré en 1998 et déjà presque un mythe, joue sur des sensations identiques au Rovos Rail. Son offre se décline en deux trains, l’un d’une capacité de 82 passagers répartis dans 41 appartements et l’autre pouvant accueillir 74 voyageurs dans 37 cabines et disposant d’une voiture pour les conférences ou l’observation des paysages.

Tous ces trains de légende sont les favoris du gotha et des célébrités, notamment parce que chaque compartiment possède sa propre salle de bain privée, son téléphone et son téléviseur. Climatisation, suites avec baignoire, salon, voiture-club, restaurant, majordome : rien ne manque… Les services à bord sont dignes d’un hôtel cinq étoiles ! Ce qui fait qu’aujourd’hui, le train version luxe retrouve une deuxième jeunesse. Ainsi en Inde, après le Deccan Odyssey dans le Maharashtra, le Palace on Wheels au Rajasthan et le Golden Chariot au Karnataka, le Maharajas’Express a été lancé en 2010. À bord, des installations dernier cri : écrans plasma, connexion Internet en permanence, lecteurs de DVD, air conditionné avec variateur de température, coffre-fort électronique, restaurant gastronomique de cuisine indienne et occidentale, salon, bar, lounge panoramique… C’est le premier train indien à proposer des circuits dans tout le pays, reliant par exemple Delhi, Agra, Jaipur et Ranthambore. La décoration s’inspire des anciennes voitures des maharajas et des souverains coloniaux : tapis à profusion, meubles en bois précieux, lustres… Le train compte 43 voitures pouvant recevoir 88 passagers. Parmi elles, une suite présidentielle qui occupe à elle seule tout un wagon !

Train de légende

L’Orient Express, une exposition itinérante du meilleur de l’Art déco avec ses panneaux de verre Lalique, ses boiseries en acajou et ses cloisons en marqueterie.

Train de légende

Inauguré en octobre 2013, le Nanatsuboshi – “sept étoiles ” en japonais – rejoue le grand chic des trains d’autrefois avec sa décoration mariant le récent et l’ancien, la vieille Europe et l’Extrême-Orient. Ses 14 suites invitent à une croisière ferroviaire sophistiquée à travers l’île de Kyushu.

Train de légende

Train sept étoiles

Le Japon offre un autre exemple de cette nouvelle vague des trains haut de gamme avec le Nanatsuboshi qui parcourt l’île de Kyushu. Outre un restaurant gastronomique et une voiture piano-bar, ses sept wagons n’accueillent que des suites – 14 au total –, toutes dotées de lits king size, d’un bureau, d’une salle de bain indépendante et des toilettes… à lunettes chauffantes ! Le Nanatsuboshi – littéralement “sept étoiles”, en référence aux sept provinces de l’île de Kyushu, aux sept wagons, mais plus sûrement au service ultra exclusif de ce train hors normes – propose des circuits de quatre jours/trois nuits à réserver très longtemps à l’avance.

Voyant ce succès, la compagnie japonaise JR East, qui sillonne l’est de l’île de Honshu au départ de Tokyo, prépare à son tour un train ultra haut de gamme, dont le lancement est attendu pour le printemps 2017. Ce petit bijou a été dessiné par Ken Okuyama, bien connu dans le monde automobile pour avoir dirigé l’équipe créative de Pininfarina et pour avoir conçu, entre autres, les Ferrari Enzo, Maserati Birdcage ou encore la nouvelle génération de Porsche 911. Ce palace ambulant comportera dix voitures qui pourront accueillir 34 passagers seulement, et seront agrémentées, comme il se doit, d’un restaurant gastronomique et d’une voiture panoramique. La plus luxueuse d’entre elles offrira une suite duplex, l’étage supérieur étant doté d’une salle avec tatami pour des dîners traditionnels avec vue sur l’infini.

L’épopée des Pullman et Orient Express se prolonge à travers le monde. Au Japon, un nouveau train de luxe est attendu pour 2017 (1). Résolument entré dans son siècle, il tranche avec ses concurrents dont le classicisme évoque les réminiscences de voyages dans le faste des Années folles. Lancé dans les années 70, l’Eastern & Oriental (2) a renoué avec l’univers des trains mythiques pour proposer une traversée de l’Asie du Sud-Est onirique. Même parfum d’antan avec le Maharaja’Express (3) qui, depuis 2010, relie en Inde les principaux lieux touristiques du pays ou avec le Blue Train (4), qui parcourt l’Afrique du Sud depuis 1998.

Car, au-delà d’un luxueux moyen de déplacement, le train est propice à la découverte. Comme l’écrivait Joseph Kessel, “les grands voyages ont ceci de merveilleux que leur enchantement commence avant le départ même. On ouvre les atlas, on rêve sur les cartes. On répète les noms magnifiques des villes inconnues…” En son temps, l’Orient-Express en Europe a sifflé le départ, un peu partout dans le monde, de nouvelles lignes ferroviaires ; et avec elles, celles des récits d’aventuriers qui contribueront au mythe de certains voyages. C’est le cas de la ligne de chemin de fer la plus longue du monde, le Transsibérien, qui traverse toute la Russie de Moscou à Vladivostok – soit une épopée de 9 200 kilomètres – à une vitesse de 100 km/h en moyenne. Tracée sous l’impulsion du tsar Alexandre III, cette ligne du bout du monde porte le nom mythique de Transsibérien lorsqu’elle relie l’Europe au Pacifique et Transmongolien quand elle rattache l’Asie. Une aventure extraordinaire à travers des panoramas de taïga et de steppes dignes de Michel Strogoff ! Le “broun-roun-roun” de ses roues a inspiré plus d’un écrivain, et même de “si mauvais” poètes que Blaise Cendrars, comme il se décrit lui-même dans la Prose du Transsibérien.

Oubliées les boiseries sombres et les ambiances Art déco : pour le futur train de luxe japonais, c’est un changement complet d’époque et de style que propose Ken Okuyama, designer star de l’industrie automobile.

Poésie à vapeur

Ici l’exception n’est pas dans le confort, même si les voitures sont très confortables, mais dans le voyage lui-même. Avec, en prime pour les entreprises, des excursions privées et un encadrement sur mesure”, explique Chrystel Tiengou-Beaupré de l’agence Tapis Rouge, spécialisée dans les voyages en train. Un train privé, “l’Or des Tsars”, circule de mai à septembre entre Moscou et Pékin et traverse des paysages fabuleux jalonnés d’étapes uniques : Kazan, Irkoutsk, le lac Baïkal, le désert de Gobi, Oulan Bator… Le voyage dure 14 jours, mais les entreprises peuvent réserver une partie du parcours seulement.

Train de légende

Train de légende

Et ils sont nombreux, ces trains qui, à l’image du Transsibérien, ne sont pas célèbres pour leur débauche de raffinement, mais par la poésie qui court le long de leurs voies. Au Pérou, le Belmond Hiram Bingham relie Cuzco au Machu Picchu à une allure de 30 km par heure, mettant quatre heures pour couvrir les 120 kilomètres qui relient l’ancienne capitale inca du site archéologique. Ici, le luxe, c’est la lenteur tout autant que la beauté des forêts luxuriantes adossées aux montagnes. Ce train bleu aux lettres d’or longe la rivière impétueuse Urubamba, traverse la vallée sacrée des Incas avant d’arriver au Machu Picchu, l’une des nouvelles merveilles du monde. Confortable, mais sans rien d’ostentatoire, il peut accueillir 84 passagers et se privatise à la demande.

Train de légende

“El tren de la Sierra”, le fameux train des Andes, est encore plus riche en émotions. Si le confort est relativement sommaire, les paysages sont, eux, à couper le souffle. Reliant Lima à Huancayo, la voie ferrée est la plus haute du monde, passant à plus de 4 800 m à son point culminant. Le panorama est bien sûr unique, mais nécessite d’avoir le coeur bien accroché ! Plus au niveau de la mer, en Australie, le voyage à bord du Ghan vaut la peine de tenter l’aventure. Il traverse le bush australien sur 3 000 kilomètres en passant par Darwin, Alice Springs et Adélaïde. Dans la même veine, on trouve pêle-mêle El Chepe au Mexique, qui relie Chihuahua à Los Mochis, le Rocky Moutaineer au Canada, qui se faufile entre Vancouver et Calgary, ou encore aux États-Unis, le California Zephyr qui relie Chicago à San Francisco en traversant sept états de l’Ouest américain. Alors, il y a les inconditionnels, les mordus, les accros du rail… Mais, pour tout le monde, y compris le monde de l’entreprise, ces palaces roulants offrent l’occasion de redécouvrir des émotions enfantines, font l’éloge de la lenteur.

Orient-Express : bientôt la renaissance ?

Train de légende

Symbole de l’art de voyager, l’Orient-Express n’arrête pas de faire rêver ! Depuis le mois d’avril, l’exposition itinérante “Il était une fois l’Orient-Express” connaît le succès dans toute l’Europe. Son lancement a eu lieu à l’Institut du Monde Arabe, à Paris, en collaboration avec la SNCF, propriétaire de la marque Orient-Express. D’avril à août, 251 000 visiteurs sont venus visiter les sept voitures historiques exposées ! Un engouement qui confirme l’attirance du public pour cette légende sur rails. Forte de ce succès, la SNCF entend remettre au goût du jour le concept de voyager à la Française autour de cette marque mythique. Dans sa boîte à projets, la compagnie ferroviaire envisage d’ouvrir une nouvelle ligne régulière entre Paris, Vienne et Istanbul et de mettre en circulation un Orient-Express flambant neuf. En faisant appel à des artisans de renom, le nouveau train reprendrait les codes de luxe de son aîné, tout en ayant un équipement radicalement moderne avec, notamment, de grandes baies vitrées permettant de mieux profiter du paysage. Le mystère planant encore sur cette renaissance, la SNCF dévoile certains détails avec parcimonie… “Les cabines seront fermées, la voiture-restaurant aura une sorte de terrasse, la décoration s’inspirera des codes Art déco, les banquettes feront face à de larges fenêtres, le toit sera partiellement vitré…” Par ailleurs, des partenariats se mettent en place avec des maisons de prestige comme le malletier Moynat, le chef étoilé Yannick Alleno, le parfumeur Guerlain ou encore les thés Dammann Frères.