Zones sensibles – La vigilance fait force de loi

Troubles sociaux, épidémies, enlèvements, attentats… Alors que la sécurité de leurs collaborateurs est une des grandes priorités des entreprises, les moyens mis en oeuvre pour éviter les risques dans certains pays “sensibles” renforcent la sérénité des voyageurs comme celle de leurs managers.

High risk, high reward” ; “à risque élevé, grande retombée” : les anglophones ont l’art des formules concises, alternatives efficaces aux longs discours. Celle-ci se prête parfaitement pour décrire les déplacements professionnels dans les zones sensibles. Avec toutes les opportunités d’affaires qui émergent un peu partout en Afrique, en Amérique latine ou au Moyen- Orient, un nombre croissant d’entreprises vont chercher là-bas la croissance qu’ils ne trouvent plus du côté des “vieilles” économies, aussi matures que moroses. En plus de leurs matières premières à foison, ces pays ont aujourd’hui des besoins énormes en infrastructures de standard international, en transports de qualité, mais aussi en produits de consommation dont les nouvelles classes moyennes sont friandes.

Cependant, les ambitions des entreprises se confrontent à la réalité de ces états où, bien souvent, l’instabilité politique s’ajoute à la criminalité organisée ainsi qu’à un niveau sanitaire précaire. Car hélas, le climat des affaires n’est pas aussi serein à Lagos qu’à Tokyo et la sécurité des personnes est bien moins garantie à Mexico qu’à Bruxelles. Les voyageurs d’affaires habitués de ces destinations en sont conscients : dans la plupart des grandes métropoles émergentes, on est loin de flâner la fleur aux dents. D’autant que la chaleur des tropiques et le jetlag peuvent altérer leur attention.

La grande disparité entre le niveau de vie des cadres en mission ainsi que des expatriés et la population locale porte en elle les germes des vols avec violence, voire des kidnappings, un vrai “business” au Nigeria ou au Mexique… Quand ce ne sont pas les enlèvements à connotation politique qui font l’actualité, comme celui des employés d’Areva et de Vinci sur un site d’extraction d’uranium au Niger ou la vaste prise d’otages dans le complexe gazier d’In Amenas, en Algérie.

Bien que les noms de Boko Haram, d’AQMI ou de l’État islamique donnent des sueurs froides aux directeurs sécurité, les multinationales comme les PME ont l’obligation de tout mettre en oeuvre pour protéger leurs employés… En effet, l’article L4121-1 du Code du travail français tient l’employeur responsable de leur sécurité. Deux devoirs lui incombent : d’une part une information préventive, mais aussi des moyens d’accompagnement et d’assistance en cas de nécessité ou de risque avéré. Depuis le 11 septembre 2001, la législation concernant la “duty of care”, l’obligation de diligence, s’est d’ailleurs renforcée un peu partout dans le monde, notamment en France. Tuant onze salariés de la Direction de constructions navales (DCN) en 2002, l’attentat de Karachi a donné lieu à une jurisprudence mettant en avant la “faute inexcusable de l’employeur”.

La conscience du danger

Chez les professionnels, la conscience du danger est bien là. “D’autant que les risques ne se limitent pas à la sécurité et à la santé du voyageur. Imaginez l’impact financier et médiatique en cas de problème« , remarque Cedric Lefort, directeur Senior Global Business Solutions de BCD Travel pour la zone Europe-Moyen-Orient-Afrique (EMEA). Selon le baromètre 2014 d’American Express, qui prend chaque année le pouls du voyage d’affaires, le sujet est clé pour 69% des travel managers interrogés, soit une progression de 24 points en seulement deux ans. La sécurité est même devenue leur deuxième priorité en matière de gestion des déplacements, derrière le contrôle des coûts. Selon l’étude, toutes les mesures ont ainsi été renforcées, que ce soit la capacité à contacter les collaborateurs pendant leurs voyages, à les rapatrier ou à les localiser.

Évidemment, les entreprises ne sont pas arrivées seules à de tels résultats et se sont appuyées sur des spécialistes. Parmi eux, certains ont bâti leur réputation sur leur savoir-faire médical et leur capacité de rapatriement à l’image de Mondial Assistance ou d’EuropAssistance. Mais d’autres mettent en avant un CV nettement plus “musclé”. Fondés par d’anciens militaires haut gradés ou des membres de forces d’intervention comme le GIGN, Scutum Security First (SSF), Anticip et Geos font valoir leur expérience du terrain et leurs réseaux pour sécuriser l’accueil et les déplacements des cadres en mission. “Pour des aspects culturels, mais aussi parce qu’elles sont assez regardantes sur leurs données sensibles, les entreprises françaises préfèrent souvent traiter avec des partenaires hexagonaux. Mais nous travaillons aussi pour des sociétés suisses ou allemandes”, remarque Josselin Ravalec, directeur commercial d’Anticip.

D’un point de vue opérationnel, les acteurs de la gestion des risques sont surtout appréciés pour leur capacité à encadrer les missions avec des partenaires locaux référencés. Ce qui, comme on l’a vu, fait partie des obligations légales de l’employeur au même titre que la prévention. “Il n’y a qu’en Irak, en Syrie, au Yemen et en Lybie où nous ne sommes pas présents, car nous n’avons pas là-bas la capacité de jouer pleinement notre rôle d’accompagnement”, précise Pierre-Jacques Costedoat. De son côté, Anticip tire sa force de sa présence “en Irak, en Afghanistan, en Afrique, dans tous ces pays proches du chaos où tout déplacement doit se faire de manière ultra sécurisée. Cependant, nous n’avons pas de mal à reconnaître que nous sommes moins présents en Amérique latine. Il n’est pas possible d’être le meilleur partout”, explique Josselin Ravalec.

Les experts de la gestion des risques proposent tous des sites avec une cartographie précise des désagréments potentiels.

Accompagner plutôt qu’interdire

Le monde anglo-saxon compte aussi de nombreuses acteurs comme Securitas, G4S, Crisis 24, iJet ou encore Control Risks. En 2008, ce dernier spécialiste s’est associé avec l’assisteur International SOS. “Notre message diffère parfois de celui du ministère des Affaires Etrangères. Nous ne conseillons pas de ne pas voyager dans tel ou tel pays à l’exception, à l’heure actuelle, de la Syrie, de la Somalie ou de certaines régions de Centrafrique. Nous sommes là pour faciliter ces déplacements plutôt que les contraindre”, souligne Côme Desgrées du Loû, directeur régional sécurité Europe et spécialisé dans le conseil et la formation pour la joint-venture.

Loin d’empêcher les entreprises de partir à la conquête de ces nouveaux marchés, les sociétés de conseil en risk management les accompagnent tout au long du parcours. Ce qui passe, en amont, par l’information des voyageurs et l’organisation des déplacements, mais aussi, le cas échéant, par l’action. “Certes, nous n’avons pas les moyens d’une force régalienne, mais grâce à nos partenaires locaux, nous essayons autant que faire se peut de venir en aide en cas de problème, par exemple si un employé est bloqué dans une manifestation. Si cela n’est pas possible, on peut lui indiquer les mesures d’urgence à prendre pour se mettre en sécurité”, explique Côme Desgrées du Loû.

Besoin d’informations

International SOS s’appuie aussi sur son expérience d’assisteur médical pour organiser les évacuations. “Comme nous avons une agence de voyages en interne, nous avons la possibilité de pré-booker des places sur les vols des compagnies régulières, mais aussi d’affréter via un de nos centres de coordination aérienne des avions charter. On se prépare à toute éventualité. Par exemple, nous avions envoyé en amont des équipes reconnaître le terrain au Burundi, un pays qui présentait des risques de détérioration en raison des élections à venir. Grâce à ces reconnaissances préalables, nous avons pu organiser une évacuation par la route vers Kigali, au Rwanda, d’où les collaborateurs ont pu prendre un avion vers Paris”, décrit le directeur régional sécurité Europe d’International SOS-Control Risks.

Avant d’en arriver à de telles extrémités, c’est par l’information et la prévention que l’ensemble de ces spécialistes entend limiter la survenue de problèmes. “Un voyage bien préparé limite la sinistralité”, souligne Josselin Ravalec. En plus de proposer des hotlines qui peuvent être contactées 24h./24 et 7j./7, ces observateurs aguerris diffusent leurs connaissances à travers des e-mails envoyés aux voyageurs avant leur départ. Ces alertes contiennent des informations sur l’actualité du pays, sur les lieux de manifestations dangereux en période électorale ou encore sur les événements qui ont trait à la santé. En parallèle, pour avoir une idée précise des problèmes éventuels, les voyageurs peuvent consulter des sites internet cartographiant au jour le jour les différents types de risques par pays, par région, voire par ville.

Ces spécialistes axent également leurs services sur les formations. “Certains de nos clients exigent que tous les voyageurs devant se rendre dans une zone sensible passent d’abord entre nos mains”, souligne Pierre-Jacques Costedoat, de SSF. De la même manière, International SOS et Control Risks organisent des sessions d’information sur les risques en général ou sur une destination en particulier, mais aussi des formations en face à face. “Nos briefings sont contextualisés selon les personnes et la destination. Ils diffèrent pour un cadre junior ou senior, selon que le voyageur soit un homme ou une femme. Par ailleurs, en Algérie par exemple, les risques encourus par un citoyen français ne sont pas vraiment identiques à ceux d’un ressortissant allemand ou marocain”, précise Côme Desgrées du Loû.

Cette prévention des risques passe aussi par la définition et l’audit des dispositifs de sécurité. “Si on regarde l’attentat de Karachi, un dispositif existait, mais il n’avait pas été revu depuis deux ou trois ans. Or tout évolue”, souligne Pierre-Jacques Costedoat. Sa société, comme la plupart de ses concurrents d’ailleurs, propose d’intégrer au sein des équipes sur place des experts de la sécurité chargés de mettre en place les consignes et de s’assurer que les plans d’évacuation sont toujours d’actualité.

De nombreuses sociétés spécialisées organisent des accueils sécurisés pour les voyageurs d’affaires.

Nous avons aussi un rôle à jouer en matière d’intelligence économique, notamment pour évaluer les partenaires des entreprises. S’implanter dans de nombreux pays passe par la création d’un joint-venture avec une compagnie locale. Or, quels sont ses réseaux politiques ? Existe-t-il un risque d’image avec ses pratiques et son dirigeant ? Ce sont des questions importantes auxquelles il faut savoir répondre”, ajoute le fondateur de SSF. Protéger les données sensibles de l’entreprise entrent aussi dans le cadre des missions. Anticip répond ainsi “aux demandes ponctuelles pour vérifier qu’un hôtel ou des nouveaux locaux sont bien sécurisés au plan technique”, décrit Josselin Ravalec.

Malgré leurs efforts, ces spécialistes ne sont pas des agences tous risques. De leur côté, les voyageurs doivent suivre quelques bonnes pratiques pour éviter les problèmes, en premier lieu savoir par qui ils vont être accueillis à leur arrivée, éventuellement convenir d’un code pour se reconnaître. D’autres conseils de prudence peuvent éviter bien des désagréments comme loger dans un hôtel qui n’est pas une cible potentielle ou éviter les points politiques névralgiques, les places de la Nation ou de l’Indépendance par exemple. Pour circuler, il vaut mieux choisir des véhicules en bon état, mais qui ne soient pas tape à l’œil comme le dernier modèle Hummer, et dans tous les cas privilégier pour les longues liaisons des vols domestiques plutôt que des trajets en voiture. “Dans le cas où cela ne serait pas possible, il faut impérativement rouler de jour, munis de téléphones portables bien chargés, de moyens de les recharger sur un allume-cigare, en plus de moyens de communication alternatifs comme des téléphones satellite”, conseille Côme Desgrées du Loû.

Avec leurs plates-formes téléphoniques au plus près des entreprises et leurs moyens sur place, les sociétés d’assistance comme Mondial Assistance viennent rapidement en aide aux voyageurs.

Car aujourd’hui, la technologie fait clairement partie des outils de la sécurité. Chaque spécialiste propose sa propre solution. Que ce soit TravelTracker chez International SOS, SSF Locator chez SSF ou Anticip Travel qui s’appuie sur la solution Risk Messaging de Concur, toutes se fondent sur les Passenger Name Records (PNR), les dossiers passagers des agences de voyages que les entreprises peuvent trier pour savoir où se trouvent leurs collaborateurs au jour le jour. Les grandes agences jouent un rôle pivot en matière de sécurité et proposent des solutions en lien avec les sociétés d’assistance, les assureurs et bien sûr les professionnels du risk management. Cédric Lefort, de BCD Travel, explique ainsi travailler avec les principaux partenaires des entreprises : “Nous leur fournissons en temps réel les données de réservation. Mais nous avons aussi nos propres solutions, notamment notre application TripSource.

Dans ce cadre, le voyageur est un acteur clé de sa sécurité en entrant lui-même dans ces outils les changements de planning ou en acceptant de se géolocaliser. SSF qui vient de lancer l’application SSF LocateMe, invite “les voyageurs à se faire reconnaître par l’application une fois arrivés à l’aéroport, puis après le check-in à l’hôtel. S’ils se rendent dans une zone dangereuse, ils doivent penser à activer la géolocalisation qui va tracer leur position quasiment toutes les minutes”, indique Pierre-Jacques Costedoat. L’application dispose aussi de deux “boutons” virtuels – Agression SOS et Médical SOS – pour envoyer en cas de problème un SMS et un email aux responsables sécurité et aux travel managers. De son côté, International SOS s’est rapproché du spécialiste des télécommunications Vismo pour renforcer son produit Travel Tracker. “Ce service utilise la technologie du geofencing. Si le voyageur sort de la zone permise, une alerte pop up s’affiche sur son téléphone avec, en plus, l’envoi d’un message à son manager. Le tout est couplé à de l’ “active monitoring”. Le voyageur s’engage à appeler matin et soir le centre d’assistance pour confirmer qu’il est en sécurité. Sa société est prévenue en cas de manquement et des moyens de recherche sont activés si nécessaire”, décrit Cosme de Grée du Loû.

L’instabilité politique de nombreux pays d’Afrique ou les risques d’enlèvements, notamment à Lagos (ici en photo), ne doivent pas empêcher les entreprises de partir à la conquête de ces marchés en pleine émergence.

Cliquez sur le lien

Aujourd’hui, les outils de réservation intègrent de plus en plus la problématique de la sécurité. Au voyageur en partance pour un pays à risques, SSF envoie automatiquement un e-mail avec un lien le dirigeant vers des fiches sécurité et des mémos spécifiques aux entreprises avec les numéros utiles à contacter sur place. “Ces mails ont un accusé de lecture. Si le voyageur n’a pas cliqué sur le lien, il lui sera renvoyé 48h avant son départ. Ce qui garantit que la société a bien respecté sa part de responsabilité”, constate Pierre- Jacques Costedoat. La non-consultation de ces informations peut même aller jusqu’à bloquer le processus de réservation. “Pour un de nos clients, nous ajoutons un lien dans l’itinéraire voyage que nous envoyons au voyageur. Ce n’est qu’une fois qu’il a pris conscience des risques que l’émission du billet sera déclenchée. De la même manière, la réservation d’un avion peut être interdite à partir des self booking tools ou alors faire l’objet d’un circuit d’approbation beaucoup plus complexe”, explique Cédric Lefort.

Ce même esprit de prudence est inscrit aussi bien dans la solution Anticip Travel que dans TravelReadyPlus, lancée l’an dernier par International SOS. “Le voyageur qui réserve un billet vers une zone impaludée reçoit un e-mail avec un lien vers une formation e-learning sur le paludisme. Cette formation est obligatoire, et ce n’est qu’après l’avoir validée que le voyage sera approuvé”, explique Arnaud Derossi, directeur médical Assistance – EMEA d’International SOS. Car, par delà les risques très médiatisés comme les attentats ou les pandémies, les soucis médicaux et les accidents de voiture restent les causes principales de rapatriement.

Assurances

Des couvertures, même pour les pays chauds ?

Les assureurs n’aiment pas le risque, c’est un fait établi. Bien sûr, les spécialistes tels April International, AXA Assistance, Europ Assistance, l’Européenne d’Assurance ou encore Mondial Assistance proposent des produits allant jusqu’à l’assistance et le rapatriement du collaborateur si nécessaire. Si l’annulation d’un voyage dans un pays qui vient de subir un attentat ou une catastrophe naturelle peut être prise en charge, les guerres civiles ou les émeutes populaires sortent du cadre des garanties. Sans toujours définir les pays à risques exclus de leur couverture, la plupart des assureurs se reposent sur les avis prononcés par le ministère des Affaires Etrangères. Mondial Assistance est plus précis et exclut nommément de ses garanties l’Afghanistan, la Corée du Nord, l’Irak, la Somalie, l’Iran, le Soudan et la Syrie et plus largement tous les pays frappés de sanctions internationales. Quelques acteurs de niche comme Chapka Voyages se sont cependant spécialisés sur les déplacements “sensibles”. Son contrat Cap Mission intègre plusieurs pays où le risque de guerre existe, notamment l’Afghanistan, l’Irak ou le Nigeria. De son côté, ACE Europe prévoit des extensions de garanties aux risques de guerre civile ou étrangère. Reste que, dans les cas les plus dramatiques, les entreprises sont couvertes par les assurances individuelle accident qui sont obligatoires pour tous leurs employés et qui, pour certaines, prennent en compte les enlèvements.