
Une méga cité au milieu d’une plaine désertique : en 2015, l’Egypte s’est lancé dans un gigantesque chantier, celui de sa Nouvelle Capitale, à quarante-cinq kilomètres à l’Est du Caire. Huit ans plus tard, les constructions s’étirent sur 270 kilomètres carrés, à mi-chemin entre la capitale historique et la ville portuaire de Suez. Ce projet de Nouvelle Capitale, estimé à 60 milliards de dollars, consiste en effet à faire émerger 21 quartiers résidentiels, de même que 25 quartiers dédiés à l’activité économique ou gouvernementale.
A compter de cette année, une grande partie du gouvernement commencera sa lente migration depuis Le Caire. Déjà, s’y dessine l’impensable, en plein désert : un immense parc, des lacs artificiels, près de 2000 institutions d’enseignement, un parc d’innovation technologique, près de 700 hôpitaux et cliniques, plus de 1000 mosquées et églises, un stade de 90 000 places, des hôtels dont le nombre de chambres cumulées devrait atteindre 40 000. S’y ajoute une infrastructure ultra-moderne : des fermes solaires, une ligne de train électrique pour rejoindre Le Caire, ainsi qu’un nouvel aéroport international.
Décongestionner Le Caire
A la base du projet, l’impératif de décongestionner la capitale actuelle, au trafic urbain incessant et aux bâtiments vieillissants, coûteux à rénover. Avec plus de 21 millions d’habitants, Le Caire concentre en effet un cinquième de la population égyptienne, elle-même en croissance de plus d’un million de personnes chaque année. Mais cette volonté n’est pas récente. Depuis les années 70, l’Egypte s’est lancé dans un programme de villes nouvelles dont l’objectif était justement de divertir la population de la capitale en l’attirant vers des cités plus modernes.

En 2018, alors que la population du pays atteignait les 100 millions, le gouvernement avait annoncé une quatrième génération de villes nouvelles, basée sur des technologies respectueuses des normes environnementales et sur des services publics intelligents. Une offre complétée par des espaces verts et des infrastructures d’enseignement de pointe, contribuant à y attirer une population jeune et éduquée.
C’est ainsi que la deuxième ville de quatrième génération, New Alamein, située sur la côte de la Méditerranée est actuellement en plein développement à un coût de 14 milliards de dollars, avec l’objectif d’en faire un centre urbain de 3 millions d’habitants, bien positionné dans les secteurs du tourisme et de l’éducation. Au final, en septembre 2021, pas moins de 37 villes nouvelles étaient en projet ou en développement, tandis que 24 villes existantes entraient en phase de rénovation.
Pour la Nouvelle Capitale toutefois, les ambitions se sont révélées beaucoup plus fortes : le projet, cher au Président égyptien Abdel Fattah al-Sisi, est chargé de tout un symbolisme. Dans les années 2000, l’Egypte s’est tournée vers les planificateurs urbains de Dubaï pour concevoir le projet. Un partenariat vite troublé par des disputes de contrôle financier et qui n’a pas duré bien longtemps. L’armée égyptienne prend le contrôle du projet et, dès 2016, c’est la Chine qui émerge comme le partenaire favori de l’Egypte.
La Nouvelle Capitale prend forme
En deux ans, la China State Construction Engineering Corporation (CSCEC) signe en effet deux accords successifs. Le premier porte sur la construction des immeubles et des agences ministériels ainsi que du bureau du Président, sans compter le complexe du parlement et un centre de conventions et d’expositions. Le deuxième contrat voit la totalité du lot du quartier d’affaires central tomber dans l’escarcelle de la CSCEC : un ensemble composé de vingt immeubles de bureaux au total, de cinq immeubles d’appartements, de deux hôtels de luxe et, surtout, de la fameuse Tour Iconic, de 385,8 mètres. La plus haute d’Afrique.

A bien des égards, la Nouvelle Capitale entend dépasser Le Caire. C’est ainsi que le projet de l’aéroport prévoit la capacité de traiter 300 passagers par heure. Il s’étendra sur 5000 mètres carrés, avec 45 immeubles de service, une tour de contrôle de 50 mètres de hauteur et une piste de 3,650 mètres adaptée aux gros transporteurs. Autre exemple : un nouveau musée archéologique s’étendant sur 8500 mètres carrés avec son hall d’exposition central et ses multiples galeries. Ou encore le quartier des arts et de la culture qui offrira un opéra d’une capacité de plus de 2000 personnes, une vaste bibliothèque et un ensemble de bâtiments culturels annexes et de restaurants.
Côté logements, l’ambition de la Nouvelle Capitale est de pouvoir héberger plusieurs millions de personnes, tout en y créant au moins deux millions d’emplois. L’été dernier, les autorités égyptiennes annonçaient que 90% des dix premiers quartiers résidentiels étaient finalisés. Mais qui viendra vivre dans cette métropole ? La question est maintenant sur toutes les lèvres en Egypte. A plus de 80 000 dollars pour les premiers prix, les appartements de la Nouvelle Capitale apparaissent hors de portée pour de nombreux Egyptiens et le marché immobilier qui s’est développé autour des résidences a surtout favorisé les acquisitions de riches investisseurs.
Pour l’heure, les rares employés du secteur public à s’aventurer sur l’immense chantier se sont plaints d’un trajet quotidien interminable, de plus de deux heures. Un enjeu pour le gouvernement qui a confirmé le transfert de 30 000 employés, prévu jusqu’en mars dernier. Selon la presse égyptienne, 9000 appartements leur avaient été pour le moment alloués.
Des partenaires étrangers recherchés
Pour faciliter son accessibilité, la Nouvelle Capitale doit être prochainement reliée au Caire par un monorail d’environ 35 kilomètres. Il s’agit de 70 trains Alstom Innovia prévus pour transporter 45 000 passagers par heure, en assurant une liaison en une heure. Le consortium constitué par Alstom et Orascom Construction, qui a remporté ce contrat de 2,7 milliards de dollars en 2019, doit assurer les opérations et la maintenance du monorail pendant 30 ans.
Ce n’est pas le seul domaine où l’expertise internationale a été recherchée : Siemens a remporté un contrat pour établir une plateforme assurant la supervision du réseau électrique. Capitalisant sur son expérience de pays d’accueil de la COP 27, qui s’est tenue à Charm-el-Cheick l’an dernier, l’Egypte veut aussi faire de la Nouvelle Capitale une smart city, une cité verte où les paiements sans contact sont de rigueur. La société Atos travaille ainsi avec les autorités égyptiennes pour gérer des infrastructures intelligentes pour les communications et les centres de données.

En ce qui concerne la sécurité, elle sera entre autres assurée par un réseau de 6000 caméras, avec un système de surveillance perfectionné développé par la société américaine Honeywell. Enfin, Schneider Electric intervient dans le domaine de l’énergie propre et a déjà équipé les toits des immeubles publics de panneaux solaires. L’objectif est de généraliser ce chantier d’énergie renouvelable à toute la nouvelle métropole, par le biais d’un gigantesque appel d’offres portant sur un million de mètres carrés.
En attendant, les critiques sur le projet ne manquent pas, y compris dans les rangs des députés égyptiens. Inquiets de l’évolution négative de l’économie du pays, certains réclament l’arrêt des méga chantiers impliquant un fort endettement en dollars. Cela n’empêche pas la Nouvelle Capitale d’impulser de nouveaux projets dans le pays : c’est ainsi que la COP 27 a vu la conclusion d’un important contrat sur quinze ans avec Deutsche Bahn pour la réalisation d’un réseau de chemins de fer à grande vitesse de trois lignes sur 2000 kilomètres. La ligne du Nord qui desservira la Nouvelle Capitale devrait être opérationnelle en 2025.
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