
Reportage Serge Barret / Photos Alain Parinet
La mer est d’huile. Pas une ride, tout juste d’amples renflements que suit le bateau semi-rigide emportant une dizaine de personnes et qui, du coup, file à pleins moteurs. Les flots bleus, le ciel pur, la lumière, le vent marin et un léger parfum d’iode dans l’air… La Méditerranée dans tous ses clichés. Mais ce qui l’est moins, cliché, c’est que cette Méditerranée-là, si claire, si propre, si limpide, est à 10 minutes au large du Vieux-Port de Marseille ; dès lors que, bordant l’hyper urbanité du lieu, on s’attendait plutôt à une mer couci-couça. L’affaire, les îles de la côte méditerranéenne du sud de la France donc, commence par celles jetées au large d’un des plus grands ports d’Europe. Et évidemment par la plus mythique, parce que rendue célèbre par Alexandre Dumas et son héros, le jeune Edmond Dantès, futur comte de Monte-Cristo. Le château d’If.
Une vingtaine de minutes de bateau depuis le Vieux-Port, des remparts de pierres blondes dominant la mer, une tour carrée, une entrée en passage couvert et un univers minéral pas franchement accueillant lorsqu’on sait que la forteresse construite par François Ier et terminée en 1531, fut rapidement transformée en prison. On y jeta d’abord des galériens un rien réfractaires à la rame, puis des protestants au XVIIe siècle, suivis des insurgés de 1848, et enfin des communards de 1871. Et, si le comte de Monte-Cristo n’exista jamais que dans l’imagination de l’écrivain – d’après les guides, les touristes chinois qui en sont fous y croient néanmoins dur comme fer –, pour leur part les opposants au régime goûtèrent de façon bien réelle à ses culs de basse-fosse et ses cellules collectives. On visite le fort bien sûr, mais hélas, la buvette dédiée ne se privatise plus aujourd’hui. Et c’est bien dommage, car, depuis ses terrasses, la vue sur la cité phocéenne dominée par Notre-Dame de La Garde est magique.
En revanche, à quelques encablures, on peut carrément privatiser la totalité d’un îlot, l’île Degaby. Le fortin qui l’occupe sur presque toute sa superficie a été reconstruit en 1861, sur des bases posées au XVIIIe siècle, et se destine désormais uniquement à des opérations de groupe. Il est donc aménagé en conséquence avec, à l’extérieur, des terrasses de bois jetées sur les remparts, un patio réservé aux dîners de gala, une discothèque à ciel ouvert improvisée entre deux hauts murs de façon à ce que le son ne traverse pas le bras de mer qui sépare le rocher de la côte… “L’an dernier, nous avons reçu en moyenne trois opérations par semaine, dit André Gay, gérant de la société d’exploitation de l’île Degaby. Cela va du déjeuner buffet au cocktail dînatoire de 300 personnes, en passant par un dîner assis de 170 personnes. Musique, danse, mais aussi animations dans le style Fort Boyard où l’on s’amuse beaucoup !” Seul hic, l’île n’est pas accostable en cas de forte houle.
Son pendant, c’est-à-dire le même genre de bâtisse défensive avec mâchicoulis, jolis, mais totalement hors propos puisqu’on les a faits au XIXe siècle, est installé comme en écho sur la côte, à l’ouest de Marseille. À l’Estaque, précisément. Il s’agit du fortin de Corbières, construit en 1861 pour contrôler à distance le commerce des navires marchands, et qui appartient aujourd’hui à un joueur de l’Olympique de Marseille des années 90, Jean-Christophe Marquet. Un lieu très chic, posé en frange d’une esplanade gazonnée façon green de golf où l’on donne d’élégants dîners. L’intérieur est ad hoc avec, au premier étage, une salle totalement décloisonnée – y en a-t-il d’ailleurs jamais eu de cloisons ? – dont un mur entier est pourvu d’une gigantesque baie vitrée donnant sur la mer, la rade de Marseille et le ballet blanc des voiliers dans le vent. Pour s’y rendre, notamment pour ce qui concerne les groupes de tourisme d’affaires, on peut bien sûr emprunter les routes côtières. Mais, pour un souvenir vraiment marquant, mieux vaudra recourir aux services d’un gros bateau-taxi en partant du Vieux-Port jusqu’à celui de l’Estaque.


Le Vieux-Port. Omniprésent. Au centre de tout. Incontournable lors d’une traversée de la deuxième ville de France et au passage, aussi la plus vieille. Et quelle ville ! Qui risque bien de décevoir l’amateur d’idées toutes faites un rien retardataire, qui s’attendait à un chaos urbain fidèle à son image d’antan. Autrement dit, un port grouillant, négligé, sale et bruyant, voire dangereux. Car c’est terminé tout ça, en tout cas pour ce qui concerne le cœur historique de la ville, celui qui intéresse principalement les touristes. C’est fini en gros depuis 2013, année de la nomination de la cité phocéenne au rang de Capitale européenne de la culture, et surtout de l’inauguration du Mucem (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée), sublime architecture de Rudy Ricciotti, une audace de cube de dentelle noire posée au bout du Vieux-Port. Alentour, tout est rénové, ravalé, briqué comme un sou neuf. Que ce soit dans le quartier du Vieux-Port qui, du coup, rutile presque un peu trop, ou dans celui du Panier, le vieux Marseille autrefois misérable et aujourd’hui peu à peu investi par la bourgeoisie bohème. Les groupes de tourisme d’affaires en font évidemment leur terrain de jeu, notamment lors de chasses au trésor organisées dans ses escaliers essoufflés. Idem sur le quai sud, le quai de Rive Neuve, où se trouvent des institutions comme le théâtre de la Criée, ou dans un tout autre genre, le Bar de la Marine, rendu célèbre par sa partie de cartes immortalisée par Pagnol…


Mais il existe aussi au bout de ce quai, au pied du fort Saint-Nicolas, en plein Marseille donc, un lieu fantastique, un secret incroyablement caché, installé à la fois au fond d’un parc et en bord de port. Il s’agit de l’ancienne maison privée d’Henri-Germain Delauze, fondateur de la Comex, société spécialisée dans les technologies sous-marines et spatiales, et collaborateur pendant un temps du commandant Cousteau. Construit en 1982, le lieu, entièrement élevé sur pilotis, est pour le moins atypique. Du bois, beaucoup de bois, des ouvertures, beaucoup d’ouvertures, une ancienne piscine tout en longueur où s’égaient aujourd’hui des carpes Koï, une immense terrasse où sont entre autres exposés des scaphandres à la Tintin, et au bout de tout cela, un petit port dissimulé derrière un coude d’accès donnant lui-même directement sur le Vieux-Port. Qui l’eut cru ? Mais à la grande époque, ses quais y accueillaient tout de même des sous-marins… La maison, encore décorée des collections ayant appartenu au savant aventurier, est gigantesque. Elle se privatise, y compris pour des dîners assis et pour des groupes allant de 20 à 700 personnes.
On a découvert le Vieux-Port, on a évoqué Pagnol, Raimu et Fresnay, on a acheté du savon dans le quartier du Panier, on a musardé sur les quais du fort Saint-Jean et aux pieds du Mucem, et on est monté jusqu’à Notre-Dame de La Garde. Mais que reste-t-il alors ? Il reste la pétanque, le rosé, la bouillabaisse et… le pastis, pardi ! Une thématique qui en séduira plus d’un, et qu’on alliera avec bonheur à celle des îles méditerranéennes en se rendant, un peu plus loin sur la côte, sur l’île des Embiez qui appartient encore et toujours à la famille de Paul Ricard.
D’abord, c’est le ravissant port du Brusc, entre Marseille et Toulon. Le Midi en VO, le Midi hors saison, le Midi presque comme avant. Avec des bateaux colorés “dormant entre deux siestes” comme le disent les brochures, quelques bistrots-buvette très joyeux à l’heure de l’apéritif, un terrain de pétanque, un marché le matin et des retraités à cabas débordants et chien en laisse, en grande conversation… Tout juste un quart d’heure de bateau et c’est le port Saint-Pierre, sur l’île des Embiez, où tout porte l’esprit de Paul Ricard, une version philanthropique du milliardaire éclairé, très respecté par son personnel, qui acheta l’île en 1958. C’est en tout cas un lieu fabuleux pour des opérations incentive de grande envergure, l’île proposant en une unité de lieu toutes les infrastructures conduisant à la réussite d’une opération. À commencer par l’hébergement, puisque l’hôtel Hélios, en balcon sur le port, décline 61 chambres avec vue. Il faut encore lui ajouter huit hébergements de luxe situés dans un bâtiment classé du XVIIe, ainsi que 150 appartements pouvant accueillir de huit à dix personnes et un mas provençal de six chambres par ailleurs privatisable, entre autres pour une présentation de produits.



Régate désopilante
Évidemment, les bars et restaurants n’y sont pas en reste avec, parmi eux, une table gastronomique et une brasserie possédant une belle terrasse face à la mer. Mais surtout, outre 15 salles de séminaire pouvant accueillir de 12 à 600 personnes, l’île propose une foultitude d’activités sportives adaptées au tourisme d’affaires. Mieux, elle fait appel à Sodalis, un prestataire extérieur imaginatif fabriquant sur mesure des jeux inspirés de l’émission de télévision à succès qu’est Koh Lanta. La même société, qui ne manque guère d’humour, propose aussi un jeu totalement déjanté consistant à construire des bateaux en carton avec mise à l’eau et, à la suite, régate désopilante. De prime abord, on a du mal à y croire, mais les engins flottent. Enfin, pas toujours… Tout dépend de l’habileté des constructeurs, et les naufrages ne sont pas rares.
Mais c’est à pied, voire en buggy ou en petit train touristique, que l’on découvrira les 90 hectares de pinède, d’oliviers et de garrigue représentant au total 90 % des essences végétales méditerranéennes. Pas de voiture, des sentiers cahin-caha, une falaise de 80 mètres, d’anciens marais salants et même une dizaine de parcelles de vignes en train d’être reconverties à l’agriculture biologique pour un total de 25 000 bouteilles de rouge, blanc et rosé. Autant d’occasions de dégustations à la bonne franquette, dans les chais directement installés sur l’île.
Car elles produisent du vin, ces îles de la côte méditerranéenne. Du très bon vin, même. Avec, en figure de proue, l’île de Porquerolles, au large d’Hyères, qui élève des crus magnifiques, notamment les blancs, que l’on dégustera dans l’un ou l’autre des cafés-restaurants qui bordent la place du village. Et quelle place ! Des petits bistrots à grande terrasse, une église du XIXe siècle qui fait sonner ses cloches, une vaste esplanade plantée sur ses côtés d’eucalyptus, des joueurs de pétanque en fin d’après-midi, et surtout, surtout, une qualité de silence rare. D’ailleurs, c’est tout le village qui est ainsi. Comme rescapé d’une belle époque où le midi de la France était un paradis. C’est comme ça, Porquerolles ; très préservé malgré les hordes touristiques qui l’envahissent tous les étés. À ce sujet, l’agence réceptive l’Echappée Bleue est particulièrement attentive à l’ “esprit parc” et s’engage à faire découvrir cette destination fragile sur un mode “durable” et respectueux de l’environnement. Elle propose notamment des randonnées en e-vélo, particulièrement bienvenus sur les parcours souvent fort accidentés de l’île.


Le siècle de la Renaissance, dont on ne peut guère mettre le goût en doute, surnomma l’archipel composé de Porquerolles, de Port-Cros et du Levant les “îles d’Or”, chacune ayant sa spécificité. Aujourd’hui, Port-Cros reste exceptionnellement protégé – un parc national dans sa totalité –, tandis que l’île du Levant est pour partie terrain militaire et pour autre partie, entièrement naturiste. Ce qui, il faut en convenir, est assez peu adapté au tourisme d’affaires.
Le miracle Porquerolles, sept kilomètres de long et deux et demi de large, possède de son côté bien des atouts pour un événement réussi, à condition que les groupes restent peu importants. Les infrastructures, petits hôtels possédant des salles de réunion et restaurants, sont là, la nature et ses formidables balades aussi, l’île étant pour l’essentiel déclarée parc national forestier. Mieux, elle est ponctuée de monuments racontant son histoire – une saga fort agitée avec des Grecs, des Romains, des Maures et des pirates – dont les traces laissées sont autant de buts de promenade. Il y a ainsi le fort Saint-Agathe, érigé dans un but défensif par François Ier ; vient ensuite le phare, le deuxième de toute la Méditerranée après Marseille pour sa portée ; il y a aussi les gorges du Loup, au bord d’un impressionnant précipice, et il y a enfin le Moulin du bonheur, un moulin à vent totalement restauré où, selon la tradition, les amoureux se prêtent des serments d’éternité… Et bien sûr, il y a les plages, celle d’argent aux eaux cristallines ou bien encore la plage Notre-Dame où Godard tourna quelques scènes du film Pierrot le Fou. Les réfractaires au balnéaire sablonneux, plein soleil et tout ça, pourront toujours s’essayer à la plongée sous-marine, les îles d’Or figurant parmi les meilleurs spots de Méditerranée.


Man Ray en short

Hyères, on l’a vu, c’est là d’où partent les bateaux pour les îles d’Or. Mais c’est aussi une très jolie petite ville côtière, historiquement la toute première station balnéaire de la côte méditerranéenne française. Elle a d’ailleurs de beaux restes, avec un casino classé, quelques façades préservées des premiers palaces du XIXe, et un peu partout des villas orientalisantes dans le goût de la Belle Epoque. Sauf une, construite dans les années 30 il est vrai, et placée sur les hauts de la ville. Une bâtisse estomaquante de modernité dessinée par Mallet-Stevens pour le vicomte et la vicomtesse de Noailles. Évidemment, toute l’avant-garde artistique de l’époque s’y retrouvait pour travailler, faire du sport, comme c’était déjà la mode. Même si on a un peu de mal aujourd’hui à imaginer un Man Ray, un Buñuel, un Cocteau ou, pire, un Dali réunis dans l’effort physique… De là, on regagne les boulevards de la ville en passant par le Hyères médiéval et son enchevêtrement de ruelles qu’on jurerait italiennes. Une vraie découverte, le temps d’un rapide city tour.

Tout de même, on ne saurait envisager une découverte de ces cailloux jetés sur les flots d’azur des rivages provençaux sans une excursion d’une journée, voire une demi-journée, ou pourquoi pas d’un déjeuner les pieds dans l’eau sur les îles du Lérins, au large de Cannes. Notamment Saint-Honorat, propriété d’un monastère cistercien en activité. S’il est possible de visiter quelques bâtiments du monastère, les moines ayant fait vœu de solitude, c’est surtout vers l’ancien monastère fortifié que l’on se dirigera. Battu par la mer, en partie restauré par Viollet-le-Duc, il présente dans ses murs un curieux cloître à deux étages et raconte sur ses créneaux des histoires bien éloignées d’un quelconque calme religieux : des attaques pirates et des raids sarrasins principalement, auxquels il faut ajouter quelques saillies génoises ou espagnoles.
Quant au calme, le vrai, le grand, ce je-ne-sais-quoi approchant de la sérénité, c’est sur les sentes de l’île qu’on le trouvera. Des eucalyptus, des champs de lavande, mais aussi des carrés de vigne, les moines étant passés maîtres en matière de vinification. On ne dort pas sur Saint-Honorat, car seules quelques chambres sont réservées aux amateurs de retraites reconstituantes. Mais, si l’on est vraiment amateur de cellules, c’est sur l’île de Sainte-Marguerite, à trois brasses de Saint-Honorat, que l’on fera halte. Pourquoi ? Parce que c’est là, dans le fort devenu prison d’État en 1685, que le fameux Masque de fer, l’une des grandes énigmes de l’histoire, fut enfermé sur ordre de Louis XIV. Sa cellule, avec cheminée tout de même, est toujours là et ne manque pas de susciter un certain nombre d’interrogations quant à la cruauté humaine.
En fin d’après-midi, on repart vers Cannes, sa Croisette, ses bars, son agitation, à une demi-heure de là. Encore que, côté agitation, on risque d’être prématurément servi avec une traversée proprement désopilante, en bateau-taxi de la société Black Tenders Events. L’engin semi-rigide attend sur le quai, drôle d’alignement de dossiers et de poignées installés à la queue leu leu sur deux gros tubes parallèles et qu’on enfourche façon selle d’équitation. C’est bien simple, on croirait un bateau appartenant au GIGN. C’en est d’ailleurs presque cette expérience qu’on fera, tant le zodiac vole au-dessus des vagues, retombe à grand fracas écumants pour mieux relever le nez en surplomb d’une autre vague. En attendant la suivante… C’est sûr, après la paix sur terre d’un monastère isolé, l’effet prend toute sa mesure. Un avant-goût de l’agitation d’un retour sur le continent en général, et sur la Croisette en particulier.


ÎLES DE LA MÉDITERRANÉE - D’une île à l’autre, en sud de France
- Méditerranée : d’une île à l’autre en sud de France
Rencontre avec Maxime Tissot, directeur général de l’office de tourisme et des congrès de Marseille