Interview : Arun Madhok, CEO de Suntec Singapore Convention and Exhibition Centre

Arun Madhok est le PDG de Suntec Singapore Convention and Exhibition Centre. Il revient sur l'adaptation du centre de congrès pour répondre à la demande hybride, et sur les défis auxquels doivent faire face les professionnels du secteur événementiel.

Comment une institution événementielle comme Suntec a-t-elle vécu l’arrivée de la crise ?

Arun Madhok – Notre planning était rempli pour 2020, tous nos espaces étaient quasiment déjà vendus, nous accueillions un gros salon automobile en janvier… Nous avons même célébré le Nouvel An chinois, en nous souhaitant le meilleur pour les mois à venir… Et peu de temps après, au tout début du mois de mars, les annulations et les reports d’événements atteignaient 20 millions de dollars ! Avant le Covid, nous accueillions plus de 1600 événements par an, du plus petit format avec une dizaine d’invités, aux plus gros événements avec plusieurs dizaines de milliers de personnes. Suntec affichait quasiment toujours complet. Au début de la crise, alors que beaucoup de gens étaient dans le déni, réduisant le phénomène à une sorte de grippe qui serait réglée en trois mois, nous avons vite compris qu’il s’agissait d’un problème à long terme. Nous avons été contraints de prendre une décision difficile, en réduisant les effectifs de moitié, l’activité étant au point mort. Nous avons mis en place toutes les mesures sanitaires préconisées, fermé le bâtiment de Suntec en avril dans le cadre du « circuit breaker », et fait passer nos équipes en télétravail depuis leur domicile.

Quel regard portez-vous sur la conversion des centres de congrès vers l’hybride ?

Arun Madhok – Je suis convaincu que chaque crise apporte son lot d’opportunités. Charge à nous de trouver comment en sortir plus forts. Pendant de nombreuses années nous avons discuté du fait de développer une composante virtuelle, mais ça n’a jamais été très populaire. Nous sommes une industrie bien établie, et les professionnels partaient du principe qu’ils leur fallait voyager pour se rencontrer, que c’était la seule manière de procéder. Les choses ont changé. Tout à coup, on a réalisé que l’on peut se voir en ligne et partager des informations, qu’un keynote speaker peut, depuis Seattle, avoir un impact sur une conférence organisée à Singapour.

A quel point cette tendance au virtuel est-elle amenée à durer selon vous ?

Arun Madhok – D’un point de vue personnel, je pense que les réunions en face à face sont absolument essentielles, mais désormais ce n’est plus suffisant. Je suis sûr que quand les restrictions sur les voyages seront levées, que tout le monde sera vacciné, les réunions en face à face vont reprendre. Mais l’idée de n’avoir que du face à face a fait son temps, et il y aura toujours une composante virtuelle à présent, maintenant que nous savons comment fonctionne la communauté virtuelle… J’espère avoir raison, car nous avons travaillé avec nos partenaires pour inaugurer en octobre dernier un studio hybride, capable d’accueillir 250 personnes, et de diffuser auprès de milliers de participants en ligne !

l’hybride est là pour rester

Suntec et Singapour ont pourtant une image « high tech » : vous ne disposiez pas d’équipements hybrides auparavant ?

Arun Madhok – Non, car il n’y avait pas vraiment de demande. Nous pouvions nous adapter au cas par cas, si l’organisateur le demandait, mais personne ne voyait vraiment d’urgence à adopter de nouveaux standards. Maintenant, l’hybride est là pour rester. Nous avons la chance de nous appuyer sur un bon partenariat avec Unearthed Productions, qui gère tous les aspects techniques. Il nous fallait coopérer, car je ne pense pas que l’on puisse s’improviser expert sur de tels sujets. Les retours des premiers clients ont été positifs, et nous avons décidé d’ouvrir un second studio hybride en début d’année. Notre business a changé, définitivement. La normalité sera différente.

L’investissement pour passer à l’hybride doit aussi vous engager à long terme…

Arun Madhok – Oui et non, car c’est notre partenaire qui fournit l’équipement, la technologie, les cameramen, etc. Suntec fournit l’espace, la nourriture, le service. L’investissement n’est donc pas forcément si conséquent pour nous, nous utilisons des ressources existantes, pour générer de nouveaux revenus.

atteindre une audience internationale, à un coût très réduit

Les événements organisés à Suntec vont-ils s’adresser à un public différent ?

Arun Madhok – D’après les prévisions des experts comme IATA, la reprise de l’aérien au niveau mondial demandera du temps. Ce qui signifie pour un acteur comme Suntec que nous n’allons pas pouvoir accueillir d’invités internationaux. J’ai donc expliqué à mes équipes qu’il nous fallait changer de focus. Dans notre appellation « Suntec Singapore International Convention and Exhibition Center », il nous faut oublier « International » pour un temps… Nous nous focalisons sur une approche locale, car nous ne pouvons pas cibler au-delà. Mais avec l’hybride, je peux atteindre une audience internationale, à un coût très réduit. Les organisateurs d’événements peuvent accéder facilement à un système plug & play, quel que soit leur budget, leur taille, et se connecter à une audience internationale jusqu’à ce que les voyages internationaux reprennent. Il y a aussi la montée en puissance de l’e-sport. Or cela suppose les mêmes infrastructures que pour la diffusion d’un événement. Nous avons donc conclu un autre partenariat avec un acteur de ce marché, pour inaugurer un nouveau « Esports center », et y organiser des compétitions, qui attirent beaucoup de sponsors. Il nous faut réfléchir pour que nos équipements et notre espace puisse répondre à différents besoins, en les ciblant spécifiquement.

Comment envisagez-vous le retour des réunions et événements en présentiel ?

Arun Madhok – Avec le temps, les réunions et les événements reprendront, mais différemment. Par exemple, au lieu d’organiser un événement annuel réunissant 500 participants, trois événements de 100 invités sur place, et 1000 participants en ligne. On retrouvera peut-être les mêmes volumes, mais différemment.

Vous l’avez dit : vous êtes un « fournisseur d’espace ». Or un événement hybride implique moins de participants sur place… Cela signifie-t-il changer de business model ?

Arun Madhok – Nous devons trouver des structures de coûts différentes, d’autres sources de valeur ajoutée. Dans le passé, notre valeur était de disposer d’un vaste espace dans le centre de Singapour, une destination qui profite elle même d’un emplacement central. Les choses évoluent. Je regarde aussi le domaine des attractions par exemple, car il faut pouvoir s’adresser à une clientèle locale. Jusqu’ici, les centres de congrès pouvaient fonctionner simplement en vendant leur espace. Aujourd’hui plus que jamais, il faut trouver des partenaires pour rendre cet espace spécial, puis partager le revenu généré. Passer d’une relation acheteur-vendeur à des business models collaboratifs, dans lesquels nous partageons les risques, et l’intérêt de chaque événement. On ne peut plus dire : « vous achetez mon espace pour trois jours, peu m’importe s’il pleut, si les vols sont annulés, si un volcan entre en éruption…« . Il s’agit de partenariats avec davantage de sens, qui s’inscrivent dans un temps plus long. C’est une opportunité de faire évoluer les choses. Nous avons répété pendant des années que le changement est permanent. Maintenant que nous avons connu cet épisode, nous savons ce qu’un vrai changement signifie ! Je n’aurais jamais cru investir dans un studio hybride, ou un centre de E-sport. Parce que nous n’avions pas le temps, pas l’espace, et que nous gagnions de l’argent avec le modèle traditionnel. Il n’y avait pas de moteur, surtout pour une évolution aussi rapide.

Comment choisir l’infrastructure pour accueillir son événement hybride ?

Arun Madhok – Dans certains cas, le client va être limité dans la vitesse de diffusion, dans le choix des plateformes, ou il y aura des coûts additionnels. Ce n’est pas notre cas. Nous avions investi en 2013 dans un nouveau réseau de données, très onéreux. Ce qui nous permet aujourd’hui d’en récolter les fruits. Huit ans après l’installation de ce nouveau réseau, nous n’avons jamais atteint la limite maximum du système, et nous pouvons ajouter de la capacité si besoin. Nous sommes également bien positionnés parce que nous avons de l’espace, ce qui nous permet d’accueillir des événements en respectant la distanciation sociale, et nous avons revu notre offre de restauration puisque les buffets ne sont plus en phase avec les règles sanitaires.

Pensez-vous que cette crise, et la nouvelle donne hybride, modifient la géographie du MICE, peut-être en faveur de l’Asie ?

Arun Madhok – Il y a déjà plusieurs années que de grands événements européens ont leur pendant asiatique, à l’image d’ITB Berlin avec ITB Asia. Quant à savoir si les déclinaisons asiatiques deviendront plus importantes que celles en Europe… Mais l’Union Européenne dispose selon moi d’un avantage énorme grâce à son marché unique, à la coordination entre les Etats membres en termes de déplacements. Nous n’avons pas cela en Asie : chaque pays impose des règles différentes aux voyageurs étrangers, ce qui rend les choses plus complexes.

Malgré le contexte, restez-vous optimiste pour l’avenir ?

Arun Madhok – Il faut penser de manière positive ! Ce n’est pas la première fois que nous sommes face à un événement perturbateur, il y a tout le temps des perturbations, des impondérables. Seulement cette fois il s’agit d’un phénomène d’ampleur mondial, qui semble s’inscrire dans la durée. Il nous faut être très circonspect quant à la manière dont nous investissons. On peut avoir de très bonnes idées, ou l’argent nécessaire, mais il faut aussi les collaborateurs pour mener à bien ces projets. Et sur ce point, j’ai beaucoup de chance : je dispose d’une équipe fantastique, ce qui me pousse à être optimiste !