Tendance – Tokyo n’aime plus l’insularité

À cinq ans des Jeux Olympiques, la ville la plus sûre au monde dévoile ses ambitions. Tokyo se rêve en première place financière de la planète et grande capitale touristique.

Follement active, Tokyo semble en mouvement perpétuel. Et pourtant, par delà son ultra centre, avec ses quartiers aux allures de villages, la capitale japonaise ajoute à cette extrême modernité une quiétude tout à fait zen et un exquis savoir-vivre.

En 2015, Tokyo s’est imposée à la tête du Safe Cities Index, le classement des villes les plus sûres du monde publié par le magazine The Economist. Au-delà de la sécurité des personnes, totalement garantie hormis bien sûr les risques de séisme, l’air qu’on respire dans la capitale japonaise est presque aussi pur qu’à Stockholm. Plus verte et encore mieux connectée – l’image d’Épinal des voyageurs entassés aux heures de pointe a fait long feu –, Tokyo entend séduire 20 millions de visiteurs étrangers par an. Contre 13 millions l’an dernier, soit l’équivalent de sa population intra-muros.

Car la ville élue pour accueillir les Jeux Olympiques de 2020 a de grandes ambitions. Elle vise à cet horizon le haut du podium autant en matière d’économie que de tourisme. “Le gouverneur de Tokyo aimerait faire de sa ville la première place financière au monde alors qu’elle oscille entre la quatrième et la cinquième position, derrière New York, Londres, Hong Kong ou Singapour”, explique Akito Tadokoro, directeur de la promotion pour le Tokyo Convention & Visitors Bureau.

Tokyo

Érigé au début des années 2000 sous l’impulsion de Minoru Mori, le “Donald Trump” japonais décédé en 2012, Roppongi Hills est un vaste complexe d’appartements et de bureaux entouré de boutiques fashion, de bars et restaurants branchés. Mais le magnat de l’immobilier, admirateur du Corbusier, est aussi un esthète et a fondé le Mori Art Museum. Dédié à l’art contemporain, il accueille des expositions temporaires et dispose dans sa collection permanente de sculptures comme l’intrigante araignée Maman, de Louise Bourgeois.

Politique d´ouverture

Pour accroître son influence, le Japon s’est engagé dans une politique d’ouverture, dont l’activité du Grand Tokyo, qui concentre un tiers de l’économie nationale et près de 35 millions d’individus, profitera certainement. “Le premier ministre Abe se déplace beaucoup plus que ses prédécesseurs, notamment en Asie du Sud-Est. Ce qui est stratégiquement intéressant pour le Japon, car les pays de cette région se détournent peu à peu de la Chine qui les a peu soutenus”, constate Benoît Laureau, chargé des relations commerciales à la Chambre de commerce française du Japon à Tokyo. Cette politique économique marque la volonté nette du pays de sortir de son carcan insulaire. C’est ainsi que le Japon devrait bientôt signer un traité de libreéchange, le Trans-Pacific Partnership, afin de lever des barrières douanières avec certains pays de la zone Pacifique comme les États-Unis, le Canada, le Chili, le Mexique ou encore l’Australie. De la même façon, un traité de libre-échange avec l’Europe est prévu pour fin 2015- début 2016. Cet accord pourrait faire progresser l’économie de l’Union européenne de 0,6 % à 0,8 % de son PIB, générant par là même la création d’environ 400 000 emplois. Les exportations de l’UE vers le Japon pourraient même augmenter de 33 % et celles du Japon vers l’Europe de plus de 23 %. Un vrai plus pour ces économies en ces temps bien moroses.

Si le pays se tourne vers l’étranger pour stimuler sa croissance, l’heure n’est pas à l’austérité sur le plan domestique. D’assouplissement monétaire en rachats de créances aux banques, le programme de relance fixé par le Premier ministre Shinzo Abe – programme qui a reçu le surnom d’“Abenomics” – vise à sortir l’économie japonaise de la déflation et relancer la consommation. Ainsi le gouvernement japonais fait tourner la planche à billets pour encourager les investissements et augmenter les salaires. Ce qui passe aussi par le respect du droit du travail, notamment le paiement des heures supplémentaires. Un “détail” longtemps négligé par les entreprises nipponnes.

RETOUR DE FLAMME - Les Jeux olympiques de 1964 avaient à leur époque salué l’avènement du Japon comme grande puissance mondiale, marquant le retour du pays dans le concert des nations après la guerre. La capitale japonaise attend des J.O. de 2020 qu’ils démontrent sa capacité à sans cesse innover, à “découvrir demain” comme le résume le slogan de l’événement. Ici, la “flamme d’or”, dessinée par Philippe Starck et qui surmonte l’immeuble du brasseur Asahi.

C´est quoi, le chômage ?

Cette politique porte ses fruits puisque le pays connaît actuellement une période de plein emploi, avec 3,7 % de chômage, un chiffre minime couvrant surtout la période de latence entre la fin de la formation et l’embauche des jeunes. Côté croissance, la troisième économie mondiale derrière les États-Unis et la Chine a enregistré une croissance de 1,4 % l’an dernier. Quant au PIB du Grand Tokyo, qui inclut Yokohama, deuxième ville la plus peuplée du pays, il équivaut à celui du Mexique.

Restent quelques incertitudes quant à l’avenir, notamment le vieillissement de la population tokyoïte qui, de ce fait, augmente peu. En effet, 40 millions de Japonais sont âgés de plus de 65 ans. Ce qui soutient l’essor de la Silver Economy avec de nombreuses publicités adressées aux personnes âgées, des rayons de supermarchés adaptés, mais pèse aussi sur le dynamisme de l’économie. Car cette génération, qui possède 30 % du patrimoine, a une certaine tendance à faire fructifier son bas de laine plutôt qu’à investir. Aussi les Jeux Olympiques viennent à point nommé pour apporter un nouvel élan au pays. Alors que le Japon va se retrouver sous les regards du monde, l’État n’hésite pas à investir dans de grands projets avec des mesures écologiques – d’ici 2020, tous les bus publics de Tokyo devraient fonctionner à l’hydrogène – et une amélioration des réseaux ferré et routier. Ces grands travaux concernent aussi l’accueil des Jeux avec la construction en front de mer du village des athlètes et la démolition, en centre-ville, du stade national qui avait servi aux JO de 64 pour laisser place à une enceinte flambant neuve. Mais là, c’est l’inconnue. Le projet conçu par Zaha Hadid vient d’être annulé en juillet par Shinzo Abe. Budget multiplié par deux, hostilité du public japonais pour sa forme décrite comme un “casque de vélo intergalactique” par la starchitecte, mais qualifiée d’“huître crue obscène” par l’ancien premier ministre Yoshiro Mori : la construction du stade repart donc à zéro, avec un nouveau projet attendu à la fin de l’année. Car le temps presse…

Situé à mi-chemin entre ces deux points névralgiques, le quartier de Toranomon sera à l’honneur en 2020. Autrefois sans grand intérêt, il va accueillir les nouveaux “Champs-Élysées” de la ville et deviendra sa dernière vitrine, très axée sur le “lifestyle” avec des terrasses, des restaurants, mais aussi des boutiques de mode et des espaces culturels. La déjà emblématique tour Toranomon Hills, où a ouvert l’hôtel Andaz, est désormais la deuxième plus haute de la capitale et a modifié la skyline de la ville.

1 — Les boutiques chics du quartier de Ginza exposent dans leurs devantures des éléments décoratifs qui, pour certains, peuvent décontenancer les non-Japonais.

2 — Inaugurée en 2012, la tour de radiodiffusion Skytree est la deuxième plus haute structure du monde après Burj Khalifa à Dubai.

3 — Au début du mois d’avril, le parc d’Uneo est le lieu privilégié pour admirer les cerisiers en feur. Mais il fait bon fâner en toute saison dans ce vaste jardin qui accueille aussi le musée national.

Briser les carcans

Le Japon veut offrir une image accueillante et la préparation des Jeux Olympiques donne un véritable coup de fouet à la politique japonaise d’ouverture sur le monde”, poursuit Benoît Laureau. Exemple probant de cette volonté de briser les carcans, les discussions sur le mariage homosexuel se multiplient, chose absolument impossible il y a encore quelques années. Désormais, la mairie de Shibuya, l’un des 23 arrondissements de Tokyo, quartier du shopping et de la jeunesse, célèbre symboliquement des mariages gays.

1 — Près de Roppongi, le National Art Center est l’un des plus grands espaces au monde pour des expositions temporaires, agrémenté d’une brasserie Bocuse.

2 — Au coeur de Toranomon, quartier qui s’apprête à vibrer en 2020, une autre sculpture du Mori Art Museum, Roots de Jaume Plensa, est exposée en bas de la tour Toranomon Hills. Ce gratte-ciel inauguré l’an dernier est le nouveau fanion de Mori Building.

Si Tokyo et le Japon misent gros sur le tourisme, certains progrès restent encore à faire. Le niveau d’anglais des Nippons reste une pierre d’achoppement. Récemment, la presse locale – en particulier l’anglophone Japan Times – a dénoncé la médiocrité des professeurs du secondaire, dont la plupart n’atteignent pas le niveau du TOEIC (Test of English for International Communication). “De grosses campagnes de communication tentent de développer l’anglais à tous les niveaux, car pour l’instant, on demande même à des Canadiens francophones d’enseigner l’anglais”, note Benoît Laureau. Il souligne aussi qu’en 2013, le Japon avait envoyé deux fois moins d’étudiants à l’étranger que la Corée du Sud, nettement moins peuplée. Un problème dû au fait que les jeunes Japonais sont souvent contraints d’accepter un emploi dès la fin de leurs études, et qu’une année passée à l’étranger risque de compromettre leur future carrière. Quoi qu’il en soit, Tokyo promet qu’une grande partie de ses chauffeurs de taxi devraient être formés à l’anglais d’ici la date fatidique de 2020.

Tokyo est en train de se mettre à l’heure des J.O.”, confirme Pascal Furth, directeur Export pour Business France Japon. “Déjà, les Jeux de 1964 ont bouleversé le paysage urbain. Les Japonais avaient construit de grands hôtels, mais aussi lancé un réseau ferré à grande vitesse avec les premiers Shinkansen”, poursuit- il. À l’époque, la portée symbolique de ces Jeux, les premiers à être retransmis par satellite, avait été énorme, sur fond de miracle économique japonais. En 2020, elle le sera encore : après vingt ans de morosité économique, le Japon aura une nouvelle fois l’occasion de démontrer son savoir-faire et sortir de l’ombre grandissante de son voisin chinois. Le slogan des J.O., “Discover Tomorrow”, en dit long sur cette ambition.

Avec ses écrans géants, son flot continu de passants affairés et ses jeunes filles aux tenues délirantes, Shibuya concentre l’effervescence de Tokyo.

En plein quartier de Shiodome, les jardins d’Hama-rikyu datent de 1654. Mais le vert à Tokyo n’est pas que de l’histoire ancienne, les murs végétaux poussant ça et là.

À tous les coins de rue, les konbini – des mini-supérettes – accueillent leurs clients sept jours sur sept, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.

Le sanctuaire Meiji-jingu célèbre l’empereur qui a modernisé le Japon. En décoration, des tonneaux vides de saké, alcool créant l’union entre les hommes et les dieux.

Bouillon de culture high-tech

Bien sûr, Tokyo ne se repose pas que sur la perspective de 2020 pour envisager son futur. La ville reste avant tout un centre clé des affaires et des services, une mégapole où les consommateurs ont un pouvoir d’achat élevé et font des choix qui influencent les modes de consommation ; une capitale high-tech qui poursuit tranquillement son chemin de ville innovante. “Tokyo est une ville de start-ups, même si on ne peut pas la comparer à une Silicon Valley à l’Américaine, car les Japonais ne prennent que des risques mesurés”, explique Pascal Furth. Pour attirer les investissements, l’agence gouvernementale JETRO (Japan External Trade Organization) propose depuis peu un nouvel espace de bureaux gratuits pendant plusieurs mois à des entreprises étrangères voulant ouvrir une filiale au Japon. Par ailleurs, dans le quartier de Marunouchi, le projet Egg Japan accueille un réseau de 560 entrepreneurs au sein d’une plateforme de création de nouvelles entreprises. De son côté, dans un immeuble intelligent du quartier de Shinjuku, Orange a installé son accélérateur de start-ups, l’Orange Fab, destiné à repérer les sociétés innovantes dans le domaine de la téléphonie et des communications. Et en plus de ces incubateurs, Tokyo propose un grand nombre de business centers permettant aux entreprises de s’installer clé en main dans des environnements collaboratifs.

L’innovation, les biotechnologies et la haute technologie tiennent désormais le haut du pavé. Signe des temps, le pays, poids lourd industriel avec toujours 30 % de la production automobile mondiale, a laissé la place aux Coréens pour la production de téléviseurs, une de ses anciennes spécialités. Cependant, il continue à en fabriquer la technologie. Aujourd’hui, le Japon, l’un des États au monde déposant le plus de brevets, consacre 3 % de son PIB dans la recherche et le développement, contre un peu plus de 2 % en France. Savoir se réinventer est à ce prix.

Chuo-Ku, un des 23 arrondissements que compte Tokyo, s’étend de la Tokyo Station jusqu’à la rivière Sumida. Au coeur de l’activité, il englobe Nihonbashi et ses sièges sociaux, Ginza et ses boutiques de luxe ou encore le marché aux poissons de Tsukiji. Mais plus pour longtemps, car cette institution va déménager fin 2016 à Toyosu, dans la baie de Tokyo.