
Comment Châteauform’ ressort-il de cette longue période de quasi inactivité ?
Benjamin Abittan – Beaucoup de gens ne donnaient pas cher de notre peau, doutaient de la pertinence de notre business model à long terme. On est ravis de prouver qu’ils ont eu tort. Châteauform’ ressort de cette crise plutôt intact, même si on a un PGE en plus à rembourser. La force publique a d’ailleurs été à la hauteur, ce qu’ils ont fait avec le chômage partiel est extraordinaire. De notre côté, le fait d’avoir maintenu les salaires à 100 % et notre très forte culture d’entreprise font que beaucoup de nos talents sont toujours avec nous. L’engagement de nos équipes est, pour moi, une grande fierté. Sous la contrainte, on est capable de prouesse. Déjà, en 2008-2009, certains avaient des doutes sur notre capacité à surmonter cette épreuve. J’espère que maintenant, après avoir survécu à une telle crise, nous avons prouvé que nous sommes une entreprise résiliente une fois pour toutes !
Depuis l’amorce du déconfinement, constatez-vous une montée en puissance de votre activité ?
B. A. – Au mois d’avril, les chiffres étaient restés anecdotiquement bas. Mais, à partir des annonces concernant une possible réouverture le 19 mai, ça a commencé à décoller, de manière lente au début, puis avec une accélération sur la fin mai. On pouvait se demander à quel point la reprise serait être forte et rapide : nous avons la réponse avec une demande qui, pour nous, avoisine celle de 2019. Ceci dit, je crains un peu l’effet « bouchon de champagne » à terme.

Parmi vos clients actuels, on trouve sans doute peu de sociétés du CAC 40.
B. A. – Effectivement, ce ne sont pas les grands groupes qui viennent actuellement dans nos maisons. Par principe de précaution, ces entreprises n’ont pas encore rebranché. Mais, heureusement, il y a en France un tissu extraordinaire d’entreprises plus petites, moins « processées », où on se dit que, maintenant qu’on est vaccinés, on peut prendre le risque d’y aller, de lâcher la bride. Et les entreprises qui ont bien marché pendant la crise sont, en fait, assez nombreuses ! Par exemple, j’ai discuté récemment avec un entrepreneur d’une société spécialisée dans les fruits secs qui pense sans doute ne jamais pouvoir battre les records atteints en 2020. Mais, pour entretenir cette dynamique, il organise des séminaires pour mobiliser ses équipes, fouetter la toupie qui tourne.
Que recherchent les entreprises en se réunissant aujourd’hui ?
B. A. – En ce moment de retour au travail, beaucoup d’entreprises ne prennent pas le temps de s’asseoir pour parler de comment les gens ont vécu le Covid, quels en sont les enseignements. Mais on a quand même souffert humainement parlant ! En discutant avec nos clients, tous m’ont parlé d’une crise latente dans leur entreprise. Pendant que tout était gelé par la pandémie, tout s’est maintenu en l’état. Mais, maintenant, les démissions se succèdent. Les entreprises qui n’avaient pas de culture très forte se trouvent à devoir renégocier des salaires, car, quand on parle uniquement de chiffres dans une entreprise, les talents en font de même. Tout cela finit en crise culturelle. J’ai été agréablement surpris de voir beaucoup d’entrepreneurs se remettre en question, se mettre à repenser leur culture d’entreprise. Et tout cela passe par de l’humain, des relations personnelles.
L’information passe en digital, mais pas l’énergie. C’est pourquoi je suis très, très optimiste pour notre secteur en général.
Autant de choses qui sont, d’une certaine manière, favorable à votre activité.
B. A. – Pendant le covid, on nous a beaucoup posé la question du futur de notre industrie. Aurez-vous encore une place dans le monde d’après ? Le digital ne va-t-il pas prendre le dessus ? C’est sûr, l’information passe en digital, mais pas l’énergie. Or, une entreprise, c’est une aventure humaine, pas uniquement de l’échange d’informations. C’est pourquoi je suis très, très optimiste pour notre secteur en général.
A ce point ?
B. A. – On se prépare même aux années folles. On voit une envie de vivre pleinement chez les clients que nous recevons en ce moment. Tout le monde veut faire la fête, les gens ont envie de se voir. On constate même une explosion de la demande B2C pour des mariages, des anniversaires.
Alors que, jusqu’ici Châteauform’ restait concentré sur le B2B, répondez-vous à ces demandes aujourd’hui ?
B. A. – Oui, on ne se coupe pas du chiffre d’affaires B2C en ce moment, mais nous avons des exigences fortes pour garantir la ségrégation entre deux univers qui ne se mélangent pas forcément très bien. Comme nous donnons toujours la priorité au B2B, on propose à ceux qui veulent organiser des fêtes familiales de racheter les nuits encadrant leur événement. Cette ouverture au B2C est depuis longtemps un sujet de discussion en interne. Aujourd’hui, face à la demande, nous sommes en train de réfléchir à dédier un ou plusieurs de nos maisons au B2C. On met en forme la force de notre concept – un château, un nombre de chambres important, un couple qui reçoit – pour le faire évoluer de manière plus événementielle. Rien n’est encore formalisé, on le fait au cas par cas. En l’occurrence, nous laissons nos clients nous éduquer.
Revenons au B2B. La vie de bureau de l’après-covid sera sans doute sensiblement différente.
B. A. – Je le vois avec mon frère qui travaille pour une start-up californienne. Ils sont une trentaine, ils n’ont pas de bureaux, mais, par contre, ils sont ensemble une semaine par mois, pour une sorte de séminaire où chacun travaille de son côté avec des moments partagés de réflexion ou de cohésion. Tout ça, nous pouvons aussi le proposer à travers l’offre « work from anywhere ». Nous avons quelques utilisateurs, mais ça reste marginal. Nos clients sont encore formatés sur certains types de format. Cependant, je pense que le Covid va permettre d’ouvrir ces chakras-là.
Les entreprises, les organisateurs, les formateurs vont découvrir comment utiliser Châteauform’ différemment, à son plein potentiel.
De quelle manière votre offre correspond-elle à cette évolution des habitudes de travail ?
B. A. – Les entreprises, les organisateurs, les formateurs vont découvrir comment utiliser Châteauform’ différemment, à son plein potentiel, pourquoi pas avec des formats un plus longs, mêlant travail et cohésion. Faire du sport, se balader dans la nature, ça permet d’élargir les connexions entre les personnes. Les aspirations à la sortie du Covid sont de mieux vivre et mieux travailler. Et mieux travailler, cela peut être le télétravail, mais aussi le cadre de travail, la nature, l’organique. Nos maisons sont particulièrement propices à cela. Plus les gens vont faire du télétravail, et plus ils auront besoin de moments pour se retrouver et créer du lien. D’où une vraie carte à jouer pour notre secteur sur ce sujet.

L’essor du télétravail aura aussi un impact sur l’immobilier de bureau. Châteauform’ a-t-il là aussi une carte à jouer ?
B. A. – Les raisons pour lesquelles on retourne au bureau évoluent. Ce n’est plus pour occuper un poste et faire ce que l’on peut faire de chez soi, mais pour des réunions créatives et collaboratives, pour résoudre en commun des problèmes, pour vivre une expérience. Dans ce cadre, des propriétaires immobiliers commencent à venir nous voir pour créer une offre différenciante dans leur immeuble. Accueil, restauration collective, salons VIP : il y a de nombreux acteurs spécialisés dans chacune de ces briques. Mais nous avons toutes les cordes à notre arc pour pour garantir une expérience cohérente, agréger tout un tas de services et humaniser tout cela. Nous répondons aujourd’hui à de nombreux appels d’offres à ce sujet.
Les entreprises prennent elles également ce chemin ?
B. A. – On voit chez certaines d’entre elles la volonté de réinvestir les économies réalisées sur les mètres carrés dans la qualité de l’expérience au sein de leurs bureaux, que ce soit dans l’IT, l’hospitalité, l’accueil, la déco, la nourriture, l’expérience. Mais les entreprises sont encore dans une phase exploratoire. On a beaucoup écrit sur la fin du bureau, mais ce n’est pas pour tout de suite. Par contre, avec le renouvellement des baux dans les années à venir, les choses vont certainement bouger. On a du mal à apprécier la taille du marché potentiel et la rapidité à laquelle tout cela va se développer. L’évolution commencera sans doute avec les propriétaires immobiliers, engendrant par la suite une accélération du côté des entreprises. Cependant, le coeur de métier restera toujours le séminaire et la formation. Et on y croit dur comme fer.
Dans le cadre de la reprise, quelle sera la part des événements hybrides chez Châteauform’ ?
B. A. – Lors du premier trimestre, les événements étaient presque 100% digitaux, car nous ne pouvions pas accueillir beaucoup de gens dans nos salles. Ce n’est que maintenant qu’on va voir de vrais formats hybrides. Ceci étant, le format moyen des événements dans nos maisons vont de 20 à 25 participants. Donc des jauges plus petites et plus collaboratives pour lesquelles les technologies de visioconférence ne permettent pas de vraie collaboration. Si le débat devient un peu animé entre les participants sur place, ceux qui sont à distance ne comprennent pas toujours qui parle ou interviennent en décalé. En revanche, ce à quoi nous croyons beaucoup, ce sont les multiplex.

En quoi est-ce un des axes possibles pour le futur des réunions ?
B. A. – Par exemple, une entreprise peut réunir ses équipes localement – les Italiens chez Châteauform’ en Italie, les Allemands en Allemagne, etc -, et nous, on les connecte entre eux pour des échanges à distance, mais les animations, les moments de convivialité restent physiques. C’est un modèle très efficace. D’autant que nous proposons un tunnel technologique complet pour une expérience garantie. Car vous pouvez organiser la meilleure visioconférence du monde, avec les meilleurs intervenants, au final si les gens à distance ont une mauvaise connexion, ça ne marche pas. C’est tout le problème avec le distanciel. D’où l’intérêt de maîtriser toute la technique en connectant nos châteaux ensemble.
Le modèle hybride est-il en voie de se pérenniser ?
B. A. – Le mot « hybride » représente trop de choses. La visioconférence « top-down » avec un speaker, c’est assez simple à organiser et ça marche très bien. En revanche, les gros événements de type conférence avec ateliers, sous-commissions, là, c’est beaucoup plus compliqué. Un très bon événement hybride, ça coûte deux fois plus cher car, en fait, ce n’est pas un, mais deux événements à organiser ; l’un en digital et l’autre physique. Et il faut les organiser de façon presque indépendante avec un parcours, un contenu dédié, notamment pour garder l’engagement des participants à distance. On a des solutions pour cela, par exemple envoyer des box pour que tout le monde mange la même chose au déjeuner ou un animateur qui se balade avec une caméra et qui est en quelque sorte l’envoyé sur place des invités en virtuel, qui va interviewer un intervenant pour du contenu exclusif pour les gens à distance. Au final, les événements vraiment hybrides, avec deux parcours, existeront certainement, mais je ne pense pas que ça devienne la norme pour une question de coûts. L’événement 100% physique reste ce qu’il y a de plus efficace, et au meilleur rapport qualité-prix.
Le développement de Châteauform’ sera-t-il affecté par la crise ?
B. A. – On est certes indemne, mais on est quand même fragilisé, avec des dettes à rembourser. Pour faire un Châteauform’, cela réclame un investissement de 20 à 25 millions. Donc on ne va pas se précipiter, ni ne les poser au hasard, seulement là on voit une vraie demande de nos clients. On l’avait en Hollande et nous allons y ouvrir une maison à côté d’Amsterdam. Et nous ouvrons aussi un nouveau site en septembre non loin de Paris en Eure-et-Loir, le château de Herces. Notre immobilier, c’est notre produit. A partir d’un certain stade, il est difficile de remplir nos maisons davantage. Donc, pour faire plus de chiffre d’affaires, nous devons ouvrir de nouvelles maisons. Le développement, c’est notre réserve de croissance.
