Hôtels de charme : small is beautiful

Ils ont tous moins de cinquante chambres et tirent avantage de leur taille modeste pour offrir aux voyageurs cet accueil personnalisé qu’on ne trouve pas toujours dans les établissements de chaîne. Design ou cosy, les hôtels indépendants représentent une alternative charmante aux grands classiques business.
Le Batty Langley’s
À Londres, le Batty Langley’s cultive la tradition. Salons et chambres à coucher sont décorés de meubles anciens, avec un éclairage doux pour recréer l’atmosphère d’une maison géorgienne.© Batty Langley’s

Civilisé. C’est sans doute l’adjectif qui convient le mieux pour définir ces hôtels feutrés, pour certains tenants d’une hospitalité “à l’ancienne” avec lustres et boiseries, pour d’autres arty et rafraîchissants. Tranchant avec l’ordinaire des établissements d’affaires, aussi excellents soient-ils, ces hôtels au cachet singulier vivent tranquillement leur vie à l’écart des grands groupes. “C’est une volonté de notre propriétaire que de rester totalement indépendant”, explique Véronique De Splenter, directrice ventes et marketing du Dix-Septième à Bruxelles, un hôtel hébergé, comme son nom l’indique, dans un bâtiment contemporain de Louis XIV. “Heureusement que tout le monde ne fait pas partie d’une chaîne, ce serait si triste autrement, remarque Vanessa Scoffier, créatrice de l’Hôtel Henriette, ouvert il y a quatre ans près de la rue Mouffetard, à Paris. Je n’ai pas besoin qu’on me dise ce que je dois faire, je veux garder mon identité propre.

Cet esprit frondeur séduit une clientèle souvent lassée de l’offre hôtelière classique. Ancien cadre chez Usinor avant de se lancer dans l’édition de guides touristiques, Thomas Jonglez dit quant à lui “fuire les hôtels de chaîne”, leur préférant “des petits établissements de charme où l’on devient rapidement des habitués.” Pour qui sait vagabonder hors des sentiers battus, ces établissements intimes donnent l’assurance d’un accueil chaleureux. “Comme nous n’avons que 37 chambres, et non 200, chaque voyageur bénéficie d’un service personnalisé, explique Véronique De Splenter, dont l’établissement accueille essentiellement des voyageurs d’affaires en semaine. Nos réceptionnistes, qui sont là depuis plus de dix ans, appellent chaque client par leur nom.

Ces traductions hôtelières de “small is beautiful”, ni impersonnelles comme les grands caravansérails business, ni statutaires comme les palaces, flattent gentiment l’ego de leurs hôtes par des marques de reconnaissance, de petites attentions ; en plaçant par exemple telle marque de thé dans la chambre parce qu’ils savent que le client de la 22 l’adore, ou en laissant sur le lit, comme s’il était parti la veille, la chemise oubliée lors du dernier séjour, lavée et repassée bien entendu.

Les habitués aux petits soins

Avec ses 32 chambres, l’Hôtel Henriette reçoit beaucoup de professeurs d’université, de médecins fréquentant les hôpitaux voisins, également des cadres de groupes pharmaceutiques avec qui l’établissement a conclu des tarifs négociés. “Notre personnel connaît très bien leurs habitudes, leurs chambres préférées, précise Vanessa Scoffier. Nous ne recrutons d’ailleurs que des personnalités non stéréotypées, très à l’écoute des clients.

Cette ancienne journaliste de mode passée par les rédactions de Elle et Marie-Claire décrit ce que les clients apprécient dans son établissement : “c’est un ensemble de choses : un petit côté ‘campagne à Paris’ avec des chambres au calme, des prix raisonnables, une exigence de qualité avec des salades de fruits frais, des jus pressés, du pain sans gluten au petit déjeuner ou des produits Nuxe dans les salles de bain. Sans oublier un très bon WiFi.”  Autant de petites choses qui font que les voyageurs, s’y sentant un peu comme à la maison, se plaisent à revenir et, surtout, vantent les mérites de l’établissement autour d’eux. Un facteur très important, car, plus encore que Booking ou Expedia, le bouche-à-oreille est un canal de distribution clé pour ces petits établissements.

Hôtel Henriette, Paris
Un étudiant normalien en guise de veilleur de nuit : en plus de son décor très étudié, l’hôtel Henriette compte sur des personnalités non stéréotypées pour accueillir ses clients de manière chaleureuse. © Hôtel Henriette

Couché sur papier glacé

Mais ces hôtels ont pour eux un autre atout pour assurer leur propre promotion : celui d’être très souvent photogénique. Avec son design d’inspiration nordique, sa déco “broc’n’roll” faite de vieux fauteuils Platner, d’enfilades Knoll et d’appliques 50’s, son jardin d’hiver sous verrière et son patio fleuri, l’Hôtel Henriette est une vraie gravure de mode, d’ailleurs reconnue comme telle par la presse internationale. “Quand on a ouvert, on a eu une couverture incroyable”, se souvient Vanessa Scoffier qui avoue que “connaître les métiers de la communication a beaucoup aidé en cela.

Il est en effet assez rare que les Novotel, Hilton ou Sheraton fassent les belles pages des magazines de voyage, à l’inverse de ces hôtels d’auteur qui s’assurent ainsi une publicité naturelle. Figurant dans la Gold List 2017 du magazine Conde Nast Traveler – une des références du voyage trendy –, le Batty Langley’s, à Londres, a une philosophie explicite : “Nous avons voulu créer le type d’hébergement que nous aimerions trouver nous-mêmes au cœur d’une des plus grandes villes du monde.

Alors, cela donne des chambres agrémentées de lits à baldaquin et de peintures à l’huile accrochées aux murs, recouvertes de boiseries et meublées d’authentiques antiquités. Ouvert en 2015 dans le quartier de Spitalfields, tout près de la City, cet hôtel de 29 chambres et suites inséré dans deux anciennes maisons géorgiennes respire le chic british. Attention, non pas la pompe fastueuse des joyaux de l’Empire, plutôt l’atmosphère infiniment plus cosy de ses nobles demeures. L’établissement cultive d’ailleurs ce côté très Vieille Angleterre jusque dans son nom, celui-ci évoquant un peintre paysagiste du XVIIIe siècle qui enseignait à la bonne société l’art d’organiser maisons et jardins “in the most grand taste”. Avec un goût exquis donc.

Nous avons acquis une solide réputation auprès des voyageurs d’affaires, car nous offrons une véritable échappatoire aux normes corporate, explique Caroline Conaty, responsable communication du groupe Hazzlitt’s. Chaque invité est extrêmement important pour nous. Le Batty Langley’s a été pensé pour ressembler davantage à une maison privée qu’à un hôtel. Par exemple, la porte d’entrée est fermée à clé, ce qui donne un sentiment immédiat d’intimité et de chaleur. Dans tous nos salons, les clients peuvent se détendre à leur guise autour de feux de bois en hiver, en prenant un verre au bar laissé à leur disposition.” Ces établissements se posent en miroir de la culture locale et offrent aux voyageurs d’affaires une expérience intime de la ville, ne serait-ce que pour une nuit.

D’ailleurs, on ne compte plus à Paris les boutique hôtels venant revivifier l’offre de la capitale française. Ainsi, aux ouvertures des Providence, Paradis ou Ekta en 2016 se sont ajoutés l’an dernier le Panache et son côté Paris canaille, le Saint-Marc et son esprit Art déco, l’Hôtel National des Arts et Métiers, petit frère du très trendy Bachaumont, ou encore le Nolinski à l’élégance raffinée, tellement parisienne. Connu pour ses bars à cocktails très courus, l’Experimental Social Club s’inscrit aussi dans ce mouvement et cherche à reproduire dans l’hôtellerie le succès de ses bars trendy avec, à Paris, le Grand Pigalle Hotel et, dernièrement, l’Hôtel Grand Boulevards, ou encore l’Henrietta à Londres, tous signés par la décoratrice Dorothée Meilichzon.

Hôtel Henrietta - Expérimental Group
À l’hôtel Henrietta, de l’Experimental Group, les clients se voient remettre de vraies clés de chambre à leur arrivée. Un accueil vintage et moins impersonnel que les habituelles cartes en plastique.© Hôtel Henrietta – Expérimental Group

Trésors cachés

Savoir parler à l’âme des visiteurs est un service qui se paie, bien sûr. Mais la plupart du temps à peine plus cher, si ce n’est moins, qu’un établissement de chaîne de même catégorie. Quelquefois cependant, pour les plus exclusifs d’entre eux, les tarifs s’envolent et n’ont rien à envier à ceux des meilleurs palaces.

À Tokyo, il faut par exemple compter un minimum de 500 euros pour résider au Hoshinoya, un ryokan urbain à la pureté intemporelle et si contemporaine pourtant. Rien ne manque pour plonger le visiteur dans l’imaginaire du Soleil Levant, ni le jardin japonais au pied de l’hôtel, ni les futons, ni les portes en papier de riz. Ni même, au dernier étage, le onsen qui tire ses eaux chaudes d’une source située à 1 000 m sous l’hôtel.

Le Palacio Belmonte, à Lisbonne, est un autre exemple de ces trésors cachés. Accroché à la colline du château Saint-Georges et dominant le quartier bohème de l’Alfama, cet ancien palais remontant à l’an de grâce 1449 renferme dix suites, pas plus, et presque autant de terrasses et de cheminées avec, sur les murs, de sublimes azulejos. Reflétant à merveille l’esprit des lieux, le Palacio Belmonte se présente comme un hôtel pour esthète. “On trouve trois sortes de gens : ceux qui savent voir, ceux qui ne le savent pas et ceux qui sont là pour être vus. Si vous appartenez au premier groupe, vous allez adorer le Palacio Belmonte. Si vous faites partie du second, le Belmonte pourrait dessiller vos yeux. Mais si vous appartenez au troisième groupe, dans ce cas vous vous sentirez bien plus heureux au Ritz !”, prévient l’établissement.

Il faut évidemment un sacré caractère, fut-il des plus charmants, pour assurer tout seul son remplissage. Toutefois, quand l’hôtel dépasse les 50 chambres ou se trouve dans une ville où la concurrence est forte, une aide extérieure est souvent bienvenue. L’aile protectrice des grandes chaînes volontaires – Leading Hotels of the World, Small Luxury Hotels, Preferred Hotels, Design Hotels – s’ouvre alors pour leur offrir une visibilité mondiale et un poids commercial tout en préservant leur indépendance d’esprit.

À New York, Pékin, Londres, Bombay ou Mexico, au gré de leurs déplacements dans les grandes villes du monde, les voyageurs trouveront des établissements à forte personnalité au sein de leurs collections soigneusement sélectionnées. Pour ne citer que quelques-unes de ces pépites, prenons par exemple le Ett Hem à Stockholm – un membre de Small Luxury Hotels –, petite maison de 12 chambres à peine, pleine de charme, où, comme à la maison, les clients s’attablent dans la cuisine pour prendre leur repas. Toujours en Europe, Preferred Hotels propose l’intimiste Dylan à Dublin ou, dans un style beaucoup plus design et arty, The Thief à Oslo, au concept évocateur : “Nous traitons les rock stars comme n’importe lequel des clients et nos clients comme des rock stars”.

Hôtel Ett Hem (Small Luxury Hotels of the World)
Prendre ses repas dans la cuisine, comme dans une maison de campagne : à Stockholm, le Ett Hem, ancienne résidence privée de style Arts & Crafts affiliée à Small Luxury Hotels, dégage une chaleur toute scandinave. © Hôtel Ett Hem (Small Luxury Hotels of the World)

On pourrait ainsi étirer cette liste à l’infini, du Surrey à New York, un des rares Relais & Châteaux urbains qui séduira les amateurs d’art contemporain avec sa collection d’oeuvres originales de Claes Oldenburg ou de Chuck Close, jusqu’aux élégants palaces faisant partie des prestigieux Leading Hotels, en passant par la pléiade de membres de Design Hotels, tous conçus par les meilleurs architectes et décorateurs d’intérieur.

Lancée il y a plus de 25 ans par Claus Sendlinger, la chaîne Design Hotels compte comme actionnaire majoritaire depuis 2011 Starwood Hotels, un groupe absorbé depuis par son concurrent Marriott en 2016. Cette association montre que l’hôtellerie de chaîne commence à dépasser les frontières de la standardisation, aussi bien en externe, en tendant la main à l’hôtellerie indépendante, qu’en interne. Il n’y a qu’à voir la récente collaboration entre la styliste Stella Cadente et l’enseigne économique Ibis Styles pour la refonte des espaces communs d’Ibis Styles Bastille Opéra.

Les chaînes volontaires comptent parmi leurs membres des établissements chics et intimes, comme le Dylan à Dublin, membre de Preferred Hotels.© Hôtel Dylan (Preferred Hotels & Resorts)

En marge de l’offre classique

Reconnaissant le goût du public pour les établissements avec âme, les grands groupes hôteliers ont repris l’idée des chaînes volontaires à travers des marques “light” telles l’Autograph Collection de Marriott, Curio by Hilton, MGallery by Sofitel, The Unbound Collection de Hyatt ou encore, récemment, la Trademark Collection de Wyndham. Quand ils ne vont pas jusqu’à racheter un réseau volontaire comme l’a fait récemment Louvre Hotels avec la chaîne française Hôtels & Préférence. Grâce à ces collections, les groupes hôteliers peuvent ainsi proposer aux voyageurs des établissements en marge de leur offre plus classique. Avec une botte secrète pour transformer leurs clients en habitués, peut-être plus triviale, mais tout aussi attractive : de généreux programmes de fidélité.

A lire aussi dans ce dossier : Rencontre avec Mark Nogal, responsable monde de la Curio Collection by Hilton – Témoignage d’Olivier Bon, cofondateur de l’Experimental Group