
B&B Hotels vient d’annoncer ses ambitions de développement aux États-Unis. Pourquoi le moment est-il venu de s’attaquer à ce marché ?
Fabrice Collet – Il est toujours temps de bâtir les fondations de notre croissance future. Historiquement, B&B Hotels s’est toujours projeté vers de nouveaux territoires, que ce soit l’Allemagne dès 2000, l’Italie en 2010, l’Espagne et le Brésil en 2015, même si, dans ce dernier pays soumis à de nombreux soubresauts sociaux et politiques, nous ne rencontrons qu’un demi-succès. Aujourd’hui, ce sont les États-Unis ou la Grande-Bretagne. Dans le cadre de notre projet d’implantation outre-Atlantique, il est intéressant de rappeler que notre actionnaire principal est Goldman Sachs et couvre d’un oeil protecteur notre développement là-bas. Par leur nom, par leurs réseaux, ils nous ouvrent beaucoup de portes. Par exemple, quand je présente ce qu’on fait en Europe à mes interlocuteurs américains, j’éveille vaguement leur intérêt. Mais, quand je leur souligne que B&B Hotels est le plus gros investissement de Goldman Sachs en Europe, soudain leur niveau d’attention augmente.
Quelles opportunités entrevoyez-vous sur ce marché ?
Fabrice Collet – Nous avons poussé la porte de centaines d’établissements aux États-Unis et, mis à part quelques hôtels indépendants qui nous ont impressionnés, il faut bien constater que l’hôtellerie de chaînes économique américaine est assez paupérisante. Elle se concentre surtout sur des concepts « budget » plutôt que sur du « value for money » avec des marques regroupant des hôtels de qualité très hétérogène. Dès lors, pour s’assurer de leur confort et de leur sécurité, les voyageurs ont tendance à se porter vers une hôtellerie milieu de gamme, sensiblement plus chère. C’est pourquoi nous avons la conviction que proposer au consommateur américain, qui a lui aussi des enjeux de pouvoir d’achat, des hôtels à bon rapport qualité-prix comme nous le faisons en France a du sens. Et cela en poursuivant, au moins au départ, notre modèle d’hôtels en filiale – qui constituent 92% de notre parc – pour garder la perdre la main sur la qualité des établissements.
Votre objectif est d’avoir un réseau de 400 hôtels d’ici 10 ans. Votre rythme de croissance sera-t-il élevé ?
Fabrice Collet – Non, nous allons y aller tranquillement dans un premier temps. La meilleure manière de se lancer est de commencer par un premier hôtel, puis apprendre de nos erreurs et en faire un deuxième un peu mieux. Et ainsi de suite avant d’avoir quelque chose qui fonctionne bien et qui puisse être déployé de manière industrielle. C’est ce qu’on a fait ailleurs. Nos premiers hôtels en Espagne ou en Italie ont eu un succès mitigé et aujourd’hui nous sommes très satisfaits de nos réseaux dans ces deux pays. De la même manière, quand B&B Hotels s’est installé en Allemagne il y a 20 ans, les cinq premiers établissements étaient si peu convaincants que nos actionnaires de l’époque avaient demandé à mon prédécesseur, Georges Sampeur, de fermer l’Allemagne. Mais il a eu la clairvoyance de leur demander une nouvelle chance. Aujourd’hui, nous avons 170 hôtels outre Rhin. Notre expérience européenne nous apprend que chacun des 14 pays où nous sommes présents est différent, avec ses goûts, ses attentes. Après, j’ai bien conscience que les Etats-Unis ne sont pas un pays comme un autre. C’est un monde à part, avec une culture totalement différente, des modes de consommation totalement différents. On a tellement à apprendre.


Comment votre offre va-t-elle se déployer ?
Fabrice Collet – B&B Hotels a bâti son histoire en proposant des hôtels le long des axes routiers. Les clients, qui généralement se déplacent en automobile, pouvaient ainsi voir leur logo de manière régulière. C’est comme ça que B&B a commencé sur la côté bretonne en Bretagne, puis dans la vallée du Rhin en Allemagne ou le long du Po en Italie. Il se trouve que la Floride correspond à ces critères avec ses deux grands axes autoroutiers, ses 24 millions d’habitants et sa superficie d’un quart de la taille de la France.
Vous avez également annoncé votre implantation prochaine au Royaume-Uni, en 2023. Quel axe ciblez-vous ?
Fabrice Collet – Au Royaume-Uni, il y aura moins cette notion d’axe autoroutier. Nous ciblons l’Angleterre et cette zone très dense entre Londres et Manchester. Sans avoir encore signé de contrats, nous avons une équipe qui travaille sur beaucoup de projets, donc je suis très confiant. Cependant, vous avez souvent un endroit précis en tête au départ et après, le jeu du hasard et des affaires fait qu’on atterrit là où on peut. Donc on verra bien.
L’Angleterre, les Etats-Unis, la France aussi où votre développement est soutenu : votre groupe est dans une phase d' »hyper croissance », comme vous la décrivez, avec 3000 hôtels attendus en 2030, contre 700 aujourd’hui. Atteindre cet objectif est-il réalisable ?
Fabrice Collet – J’ai défini cet objectif de 3000 hôtels avec nos équipes en 2019 déjà. A l’époque, nous ouvrions 40 à 50 hôtels par an. En 2022, nous en avons ouvert une centaine et ce sera encore, je l’espère, le cas en 2023. Il faudra être capable dans deux ou trois ans d’en ouvrir 200 par an et puis 500 dans six ans. Tout l’enjeu est là. Pour l’instant, nous sommes en ligne avec notre feuille de route.
Quels sont les ingrédients de cette hyper croissance ?
Fabrice Collet – En France, nous pensons pouvoir monter à 600 hôtels. A voir le nombre d’Ibis en France ou de Premier Inn au Royaume-Uni, nous savons qu’il y a de la place pour des réseaux de l’ordre de 500 à 1000 unités dans ces deux grands pays. En parallèle, nous développons notre présence en Italie, en Allemagne, en Espagne, tout en s’implantant dans de nouveaux territoires, comme le Danemark cette année. L’assouplissement de nos standards est un autre élément de cette croissance. Il y a une quinzaine d’années, un hôtel B&B avait très souvent le même plan, la même chambre, le même type d’emplacement. Aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus diversifiés. Vous trouvez des B&B au centre des villes principales, secondaires ou tertiaires comme dans leur périphérie, dans des zones très business comme dans des stations de ski ou près de parcs d’attraction, Disneyland par exemple. En outre, nous avons multiplié nos modes de développement, auparavant fondés sur de la construction neuve, en ouvrant nos horizons à la reprise d’hôtels ou de petits groupes et la conversion d’établissements d’autres enseignes.
Avec votre récente reprise des hôtels Roi Soleil dans le Grand Est, vous intégrez des hôtels à la fois trois et quatre étoiles. Alors que vous comptez ajouter plus de 2000 établissements à votre réseau, cela vous conduira-t-il à segmenter votre offre ?
Fabrice Collet – En réalité, avoir des hôtels quatre étoiles dans notre portefeuille n’est pour nous pas nouveau. A Florence, vous pouvez trouver le B&B Pitti Palace al Ponte Vecchio, à l’emplacement exceptionnel et à la décoration soignée. En Espagne, le B&B Madrid Aéroport T4, en face de ce terminal, est aussi le fruit de la reprise d’un hôtel indépendant haut de gamme. Selon les volontés de son propriétaire, nous avons gardé ce niveau et ses chambres de plus grande taille. Mais nous sommes restés fidèle au modèle B&B, sans services superflus. Nous avons sous-loué le restaurant, les salles de conférences et de mariage ont été fermées…

Avoir des salles de réunions est un service superflu pour un hôtel, selon vous ?
Fabrice Collet – Les hôteliers disent souvent qu’elles sont très importantes, qu’elles permettent de remplir l’hôtel, etc. Cette conviction, que je respecte, n’a jamais soutenu l’épreuve des chiffres, quand on regarde le coût de leur distribution, la complexité de leur gestion. Donc, quand un hôtel a des salles de réunions, soit on les condamne et on arrête de les chauffer, soit on les transforme en chambre. C’est ça, le secret : épurer notre produit de tous ces services additionnels qui peuvent être utiles certains jours, mais qui ont un impact quotidien sur le prix de la chambre. Ce qui permet d’avoir un rapport qualité-prix dont nos clients ont la gentillesse de nous dire qu’il est parfois remarquable.
La tendance générale dans l’hôtellerie à ouvrir les lobbies, les remplir de bars et restaurants animés, a-t-elle gagné B&B Hotels ? Que garantissez-vous aux voyageurs d’affaires ?
Fabrice Collet – La première exigence du voyageur d’affaires, au-delà d’une bonne nuit et d’un bon petit déjeuner, c’est le Wifi. Et comme vous le savez, chez B&B Hotels, nous avons été les premiers à offrir du Wifi gratuit à une époque où il était de coutume de faire payer ce service aux clients, puis à installer de la fibre dans tous nos hôtels. Ça, ça c’est le contrat de base avec le voyageur d’affaires. Ensuite, nos hôtels ouverts depuis une dizaine d’années offrent généralement un lobby éclairé avec des tables d’hôtes où s’attabler pour boire un café et travailler, avec des prises où brancher son ordinateur. Offrir tout cela dans nos lobbys, oui. Avoir des bars de ci de là pourquoi pas, mais toujours en gardant à l’esprit que nous devons offrir l’essentiel sans services qui viendraient gonfler les prix.

Les prix, l’inflation, le pouvoir d’achat… Ce sujet est on ne peut plus actuel.
Fabrice Collet – 2023 sera en effet l’année du pouvoir d’achat. Les voyageurs en Europe sont pris entre deux contradictions, le désir de voyager après la période Covid et pouvoir continuer à voyager sans compromettre leur confort. Dans les périodes de crise, les gens se rendent compte que l’hôtellerie économique de qualité, dont nous sommes un des représentants, a un rôle à jouer. Pour 70€, nous proposons quelque chose qui n’a pas grand-chose à envier à des hôtels de la gamme supérieure entre 120 et 150 euros. Même combat vis-à-vis des entreprises où les patrons de PME font le même raisonnement. Quand aux groupes plus importants, leurs services achats planchent depuis quelques mois sur cette question épineuse : comment faire baisser le coût d’un voyage d’affaires sans pour autant renoncer à visiter des clients qu’on a plus vu pendant des mois. A toutes ces entreprises, B&B Hotels peut proposer des offres sur mesure, des sélections d’hôtels dédiées à la clientèle corporate sans compromettre la satisfaction de leurs collaborateurs.
Vous avez présenté d’excellents résultats pour l’année 2002 avec une croissance du revenu par chambre de 13% comparé à 2019. Comment expliquez-vous cette bonne dynamique ?
Fabrice Collet – Il y a plein de raisons à cela. Pour moi, la plus intéressante remonte aux confinements, quand nos hôtels ont majoritairement fait le pari de rester ouverts alors que d’autres ont fait le choix inverse. Les voyageurs qui ont dû continuer à se déplacer pendant cette période ont quelquefois trouver porte close dans leurs hôtels habituels et ont traversé la route pour arriver dans un hôtel B&B. Nombre de ces clients sont depuis restés fidèles à notre marque. La seconde raison que je vois est que, hormis quelques coups de frein, nous n’avons jamais cessé d’investir. Nos clients voient bien que le réseau se rénove, se modernise, avance. Enfin, nous n’avons jamais arrêté de miser sur nos équipes. Il n’y a pas eu chez B&B Hotels de plan de licenciement ou de restructuration. Nous n’avons pas eu la douleur de nous séparer de collaborateurs, ni la difficulté de les réembaucher ensuite. Ce qui a contribué à l’efficacité opérationnelle de nos hôtels.
Comment B&B Hotels aborde-t-il le sujet de la RSE, lui aussi très actuel ?
Fabrice Collet – La RSE est au cœur de nos préoccupations, parce que ce sont celles de nos clients, de nos collaborateurs, de nos banquiers, de nos actionnaires, des pouvoirs publics. Nous abordons ce sujet essentiel sous trois angles. D’abord, à travers la certification et l’audit de nos actions par Socotec, pour ne pas donner l’impression détestable à nos clients de faire du greenwashing. Notre autre axe de travail est d’assurer à nos clients qu’en résidant chez nous, ils trouveront une des solutions les plus efficaces du marché en termes d’économie de CO2. Les premiers chiffres que j’ai me confortent dans l’idée que nous allons dans la bonne direction, même si nous avons encore beaucoup, beaucoup de travail à faire évidemment. En tout cas, on y planche activement et et nous proposerons bientôt des solutions. Enfin, il y a un dernier axe essentiel pour nous dans la RSE : l’humain. L’hôtellerie économique joue un rôle formidable d’ascenseur social et d’intégration. Nous faisons déjà un certain nombre de choses de manière informelle, par exemple avec l’Ecole de la seconde chance en France. Demain, il faut organiser ça de manière plus industrielle, avec des centres de formation, des filières de d’éducation. Il y a tout un travail à faire. C’est dans notre agenda des prochains mois.