Voyage en terres de temps : de Fribourg à Neuchâtel et Bienne

C’est entre le Jura neuchâtelois et les cantons de Berne et Fribourg que l’on déambule dans les méandres du temps. Cœur de l’horlogerie, terre de cités médiévales intactes, c’est une Suisse un peu à l’écart des grands axes qui se dévoile dans ce circuit.
L'horlogerie suisse à l'honneur
Esprit contemporain pour la Cité du Temps à Bienne, le campus Omega-Swatch de l'architecte japonais Shigeru Ban (Photo : Cité du Temps)

En 45 minutes de train, on quitte Lausanne pour se lancer à la découverte de Fribourg, capitale du canton du même nom. Fribourg est un peu le pendant en Romandie de la ville de Berne. Derrière la création de ces deux cités au XIIe siècle, on trouve une grande dynastie d’origine allemande, les Zähringer. Mais, dans les circuits touristiques, Berne a quelque peu éclipsé Fribourg. A tort !

Pureté gothique à Fribourg

Comme Berne, Fribourg s’inscrit parmi les plus belles villes médiévales d’Europe.  Cette dernière a été préservée, car enserrée dans des fortifications d’où surgissent toujours de puissantes tour-portes de guet. Au gré des ruelles, on s’extasie devant plus de 200 maisons de style gothique ainsi qu’une incroyable densité d’hôtels particuliers du XVIIIe siècle. La molasse – une pierre locale – décline à l’infini une palette de tons gris clairs, certains nimbés de reflets vert. Elle donne à Fribourg ce charme inénarrable, notamment au soleil !

Fribourg dispute aussi à Berne le privilège d’avoir la plus belle cathédrale de Suisse, dotée de la plus haute tour. Elle mesure 74 mètres, celle de Berne atteignant pourtant les 100 mètres. Petite nuance dans cette compétition : Fribourg est une cathédrale catholique, Berne une collégiale, car protestante. L’honneur est sauf pour les deux cités…

Fribourg
Vieille ville de Fribourg avec sa cathédrale en arrière-plan (Photo : Luc Citrinot)

Neuchâtel, art de vivre à la française

Il faut à peine une heure de train pour rejoindre Neuchâtel depuis Fribourg. Le long de son lac, le plus grand du pays totalement en territoire suisse, la troisième ville la plus peuplée de Romandie prend des allures de riviera. Les maisons bourgeoises du début de siècle s’alignent sagement le long des promenades, interrompues par quelques grandes bâtisses : le musée d’art et d’histoire, l’ancienne poste centrale, l’ancien Collège Latin (aujourd’hui bibliothèque) et l’incontournable palace Beau-Rivage.

A quelques mètres, la ville basse avec ses maisons médiévales – dont la très belle Maison des Halles et ses oriels – bruisse de vie autour de son marché. Tandis que sur les hauteurs, le château et la collégiale au toit de tuiles vernissées complètent cette image de carte postale.

Il y a quelque chose de profondément français à Neuchâtel. Une impression liée à la proximité de la frontière, à seulement 35 km, mais aussi à la domination de familles régnantes françaises pendant plusieurs siècles. Dynastie bourguignonne dans le haut Moyen Âge, puis de la famille d’Orléans-Longueville jusqu’en 1707 et enfin, un bref interlude napoléonien pendant la période prussienne de la ville.

Le long de la rue du Faubourg de l’Hôpital s’alignent ainsi les très belles façades de style classique français de l’hôtel de ville, mais aussi de la villa Castellane ou encore de l’Hôtel DuPeyrou. Bâties dans une pierre calcaire d’Hauterive de couleur jaune, ces façades revêtent une couleur presque bronze le soir.

Ce qui fit dire à Alexandre Dumas que Neuchâtel était « taillée dans une motte de beurre ». L’écrivain ne fut pas le seul Français présent dans cette ville. Neuchâtel accueillit ainsi Voltaire, Diderot, Balzac ou encore Blaise Cendrars et Rousseau. On en oublierait que ces deux derniers étaient en fait Suisses !

La ville offre aussi une première approche de l’horlogerie suisse. Deux endroits s’y prêtent. Au Musée d’art et d’histoire, trois androïdes “L’Ecrivain”, “La Musicienne” et “Le Dessinateur”, créés à la Chaux-de-Fonds, berceau de l’horlogerie, démontrent une précision technique unique au monde. Ces créatures firent le bonheur des cours royales européennes au XVIIIe siècle.

Neuchâtel
L’Hôtel DuPeyrou bâti dans un style Louis XVI à Neuchâtel accueille restaurant de luxe et espaces de réunion (Photo: Luc Citrinot)

L’horlogerie en ses murs à la Chaux-de-Fonds et Le Locle

On peut également s’initier ou même fabriquer sa propre montre dans un atelier d’horlogerie. Le Centre horloger offre la possibilité de découvrir le monde passionnant de l’horlogerie en montant et démontant quelques composants d’un mouvement mécanique ou même d’assembler une montre dans sa totalité…

Deux autres ateliers, les « Apprentis du Temps » et « Le Garde Temps » proposent des activités similaires. Le premier se trouve dans la commune du Locle, le second dans celle de la Chaux-de-Fonds Les deux cités sont au cœur de l’histoire horlogère de Suisse. Le Locle abrite Tissot, Montblanc ou encore Zenith. La marque Corum est quant à elle intimement liée depuis 100 ans à La Chaux-de-Fonds. Mais on trouve aussi dans la cité les ateliers de Breitling, Cartier, Girard-Perregaux, Jaquet Droz, JeanRichard ou encore TAG Heuer. Ils peuvent tous se visiter sur rendez-vous.

Plus encore qu’au Locle, c’est à La Chaux-de-Fonds que bât le coeur industriel de l’horlogerie suisse. La ville s’est développée en effet sur un schéma urbain imposé par les manufactures horlogères. Au milieu du XIXe siècle, l’horlogerie intégra ateliers et maisons d’habitations. Mais elle a soutenu aussi le développement de l’eau courante, la construction de voies de chemin de fer, d’écoles et de bâtiments publics.

Une structure urbaine unique donc et qui a valu à la ville – de même qu’au Locle – un classement au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO en 2009. Une exposition sur l’espace de l’urbanisme horloger explique les spécificités de cette architecture. On peut aussi, du haut du 14e étage de la Tour Espacité, avoir une vue plongeante sur le damier des rues et leurs ateliers. En 1870, ces derniers employaient 4 500 personnes, soit la moitié de la population locale ! Outre les visites d’ateliers d’horlogerie ou d’apprentissage, Le Locle comme La Chaux-de-Fonds possèdent chacune un musée de l’horlogerie…

Vue en damier de la Chaux-de-Fonds (Photo: © Ville de La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz)

Biel/Bienne, la vraie capitale horlogère de la Suisse

Aux confins des cantons de Neuchâtel et Berne, on atteint la singulière ville de Bienne. Probablement pas la plus jolie ville de Suisse, même si son petit centre historique vaut le coup d’œil, Bienne offre pourtant deux spécificités aux curieux. Elle est officiellement la seule ville totalement bilingue de Suisse où l’on parle et écrit sans distinction l’allemand et le français. La répartition entre Romands et Alémaniques est d’ailleurs presque à l’équilibre avec 47% pour les premiers contre 53% pour les seconds. D’où le double nom de Biel/Bienne qui s’affiche sur tous les panneaux…

Là encore, détail peu connu du grand public, Bienne se profile comme la véritable capitale de la montre en Suisse. Au Nouveau Musée, plusieurs salles racontent le développement de la cité, devenue centre horloger et industriel. On y découvre ainsi les premières montres de marques célèbres.

La tradition s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui: Rolex pour les mécanismes de mouvements, Mikron et Movado ont à Bienne leur centre de fabrication. Le groupe Swatch a également son siège et sa fabrique à Bienne. Le groupe est notamment derrière les marques Breguet, Longines, Certina et Tissot. Ce sont quelque 2 500 personnes qui travaillent ici dans le secteur horloger.

S’il n’est malheureusement pas possible de visiter les manufactures, il existe néanmoins une exception, et de taille ! En 2019, le Campus « La Cité du Temps » a ouvert ses portes, une structure spectaculaire, toute en transparence. L’architecte en est le Japonais Shigeru Ban, le même qui a construit le Centre Pompidou de Metz. Le campus abrite le siège de Swatch et Omega ainsi que deux musées, Planet Swatch et Omega Museum. Cette architecture futuriste est le reflet d’une Suisse qui, à travers son histoire horlogère, a su redéfinir son avenir.

Bienne
Le pittoresque coeur historique de Bienne/Biel date de la renaissance (Photo: Luc Citrinot)