
La situation actuelle de l’hôtellerie est-elle inédite de par son ampleur ?
O. P. – Non seulement ça ne s’est jamais vu, mais je n’imaginais pas qu’un jour cela puisse même arriver. On a déjà connu des cycles avec des baisses importantes. Par exemple, les attentats à Paris en 2015 ont engendré une baisse de l’ordre de 30% à 35% du chiffre d’affaires de l’hôtellerie du luxe. Mais les établissements n’ont pas pour autant cessé d’accueillir des clients. C’est pareil lors des autres crises sanitaires comme le SRAS ou le virus H1N1 : aucun hôtel ne s’était posé la question de fermer ses portes. La tendance est complètement inversée. Certains hôteliers s’interrogent aujourd’hui sur l’opportunité de rester ouvert. Qu’une bonne part des hôtels en Europe et dans de nombreux pays dans le monde soient fermés, c’est absolument fou. Sans dramatiser, à part dans des zones de guerre comme la Syrie ou l’Irak où les seuls hôtels qui fonctionnent sont ceux réquisitionnés pour l’accueil des pompiers, des soignants, des gens qui se retrouvent coincés ou de quelques clients, je ne trouve pas d’autre parallèles.
Quelle clientèle pour ces hôtels toujours ouverts ?
O. P. – Pour ceux qui sont encore ouverts, les niveaux d’occupation sont extrêmement faibles. On ne peut pas vraiment parler de clientèle. Il n’y a plus de voyages d’affaires ou de loisirs, seulement quelques personnes qui doivent encore se déplacer et tous ces gens qui ont besoin d’être hébergés car leurs vols ont été annulés ou parce qu’ils se sont fait piéger par le confinement. Par exemple, le Residence Inn de Toulouse reçoit encore sept ou huit clients du secteur de l’aéronautique qui ne peuvent plus repartir chez eux. Cela représente une grosse partie des flux.
Je n’imaginais pas qu’un jour cela puisse arriver
Jusqu’à quand cette situation pourrait-elle perdurer ?
O. P. – C’est difficile à apprécier. Si on regarde les chiffres publiés par le cabinet STR, on voit que la Chine, après avoir atteint un plancher bas, commence tout doucement à se redresser, mais à des niveaux de fréquentation qui restent très faibles, de l’ordre de 20%. En Europe, si l’Italie est déjà tombée en dessous de la Chine, le reste du continent a malheureusement encore à digérer une phase de repli avant d’amorcer une phase de stabilisation, puis de reprise.
Quels seront les effets de la crise sanitaire actuelle sur la demande future ?
O. P. – Sans connaître encore précisément l’impact du Covid-19 sur l’économie française et mondiale, il y aura certainement une tension sur la trésorerie d’un grand nombre d’entreprises. De ce fait, les hôteliers vont avoir du mal à reconquérir le marché MICE. Dans toutes les crises, notamment celle de 2008, un des premiers budgets à être sabré avec celui de la communication, ce sont les séminaires et conventions. Il n’y a pas de raison que la situation actuelle fasse exception. Le marché du séminaire risque d’être mal en point pour tout le reste de l’année 2020. Même dans un contexte de reprise, il ne sera pas au mieux de sa forme. Les événements qui n’auront pu se tenir au deuxième trimestre ne vont pas tous se reporter sur septembre, déjà parce que des choses sont déjà prévues à cette période traditionnellement forte, mais aussi parce que les budgets seront revus à la baisse.
Les hôteliers vont avoir du mal à reconquérir le marché MICE
Êtes-vous aussi pessimiste en ce qui concerne les déplacements d’affaires individuels ?
O. P. – Il n’y a pas de raison que ça ne reprenne pas assez vite dès la fin de la crise sanitaire. Les gens ne se seront pas vu pendant un petit moment et auront besoin de se rencontrer. C’est la même chose pour la clientèle individuelle loisirs. Une fois passée cette période difficile, les gens vont assez vite oublier et auront envie de sortir de chez eux et de bouger, moi le premier. Ca devrait donc repartir assez bien, d’autant qu’on arrivera en période estivale. Cette dynamique devrait être favorable à l’hôtellerie nationale, car un grand nombre de Français voudront rester dans un environnement sanitaire connu, en cas de résurgence du virus.
Les hôteliers peuvent-ils envisager cette probable reprise dès aujourd’hui ?
O. P. – Afin que leurs clients puissent commencer à envisager des plans pour le futur, j’espère qu’ils auront la clairvoyance d’assouplir leurs conditions d’annulation et de remboursement. Je vais prendre mon propre exemple. Nous avons un séminaire interne prévu en juin. Je le fais où et quand ? Si je trouve un hôtel qui m’autorise à annuler jusqu’à J-7 sans frais, je peux m’organiser. Mais, pour l’instant, je ne me presse pour organiser cet événement, alors qu’on ne sait pas quand le confinement va finir. En revanche, une certaine souplesse peut me conduire à prendre une décision. Je n’ai pas encore vu passer ce type d’offre. Et cela vaut aussi pour la clientèle individuelle qui ne sait pas quand organiser son prochain week-end en famille. Est-ce à la mi-mai, fin mai, en juin, voire début juillet ? Elle ne va pas s‘amuser à réserver un hôtel à un tarif non annulable et non remboursable ou une formule plus souple, mais qui va lui coûter beaucoup plus cher. Du coup, elle ne planifie rien. Ainsi, il vaudrait sans doute mieux que les hôteliers se disent, « je lâche un peu sur les questions de modulation tarifaire ou de remboursement », pour soutenir la demande.
Les hôteliers ne sont-ils pas un peu dépassés par les événements ?
O. P. – Ils sont carrément assommés, dans l’inconnu total. Certains ont été obligés de fermer, avec derrière eux des soucis potentiels de trésorerie des emprunts sur leurs murs et des traites à payer. La façon de moduler leurs équipes entre chômage et temps partiel n’est pas évidente, avec des démarches pas toujours compréhensibles. Aujourd’hui, ils sont en train de subir et ne sont pas encore pas dans la réponse à la crise. L’horizon de sortie semble encore lointain.
Quand l’hôtellerie retrouvera-t-elle des résultats plus favorables ?
O. P. – Je pense que la tension sur le secteur pourrait durer entre 18 et 24 mois. C’est ce que montre l’étude des exemples précédents. Après la crise sanitaire que fut le SRAS, l’hôtellerie avait retrouvé son ancien niveau au bout de trois à six mois. Mais si on regarde la crise financière de 2008, entre le moment où ça a commencé à baisser et le retour à la normale, il s’est écoulé entre deux ans et demi et trois ans et demi. Si nous étions aujourd’hui seulement dans une crise sanitaire, avec comme hypothèse une issue dans deux mois, un retour à la normale pourrait se faire en six mois. Mais l’impact du Covid-19 sur l’économie mondiale sera bien plus important. Si ça s’éternise un peu, la crise économique pourrait même être plus soutenue que celle de 2008 et les 18 à 24 mois que j’évoquais seraient alors dépassés. Pour l’instant, la dynamique négative sur l’économie est encore plus forte qu’en 2008, mais elle pourrait être plus réduite dans le temps. Il est encore difficile de voir tout ce que cela va donner.