
Reportage Serge Barret / Photos Alain Parinet
“Les Vikings par ci, les Vikings par là… Mais qu’est-ce qu’ils ont en ce moment les Français, avec les Vikings ? Ils ne parlent que de ça, dit Arve Lindgren, directeur du convention bureau de Bergen, en Norvège. Je me demande si la série télévisée Vikings récemment diffusée n’y serait pas pour quelque chose ?” Sûrement. Mais sans aucun doute aussi leur attachement à l’histoire et au patrimoine. En tout cas, ils seront servis, les Français en recherche de lointaines origines normandes : les références au peuple conquérant qui épouvanta le haut Moyen-Âge sont, avec plus ou moins de bonheur, partout présentes en Norvège. Dans les musées bien sûr, mais aussi dans les boutiques à souvenirs, les restaurants, et parfois même dans des villages reconstitués, mi-éco musée mi-parc d’attractions, qui n’hésitent pas à mettre en scène des acteurs amateurs, non plus qu’à inviter le public à participer à des soirées costumées avec casques, cornes, peaux de bête, tout ça. Pourvu qu’on mette de côté sa retenue et se laisse entraîner dans la danse, ça peut être très amusant ; notamment dans le cadre d’une opération incentive.
Doucement, la pluie frappe aux carreaux
Mais, pour le moment, les Vikings ne sont pas au programme du jour puisque, profitant de la récente ouverture d’une ligne directe depuis Paris opérée par Joon en 2h15, on atterrit directement à Bergen, deuxième ville de Norvège. Un Bergen sous la pluie, comme d’habitude pourrait-on dire. La ville “bénéficie” en effet d’un microclimat qui l’arrose copieusement à peu près 270 jours par an. Ce qui n’est finalement pas si grave, Bergen étant avant tout une ville d’intérieurs. Du même coup, elle a développé un art de vivre particulier, jouant sur des décors chaleureux, mariant joliment les bois sombres, les bois bruns et les bois peints, écoutant le reste du temps – et bien au chaud – la pluie frapper aux carreaux.
Au fond, c’est sous la pluie qu’on apprécie vraiment son charme ; lorsque ses quais ruissellent, que les pavés des ruelles dégringolant jusqu’au port étincellent d’argent et que les cafés et restaurants sont bourrés à craquer, égayés par la présence d’une importante jeunesse estudiantine célébrant tout et n’importe quoi, de préférence fort bruyamment. Y compris du côté de Bryggen, quartier historique classé à l’Unesco, qui laisse alors de côté ses vieux bois pour se laisser aller à une atmosphère un peu plus rock’n roll.
Du bois donc, presque que du bois à Bryggen : sur les maisons à pignons bordant le quai, dans les ruelles parfois si étroites qu’on peut toucher bras ouverts les murs à bardeaux qui les bordent ; dans ses passages couverts, ses placettes et ses arrière-cours, dans les coursives qui longent les maisons sur tout leur étage, mais aussi, et étonnamment, sur le sol des rues. Ce qui ne manque pas de donner un sentiment d’intérieurs-extérieurs mêlés. Ce quartier, témoin de l’architecture médiévale nordique, était celui des marchands de la Ligue hanséatique ; autrement dit, celui de l’organisation commerciale allemande qui contrôlait le commerce en Europe du Nord à la fin du Moyen-Âge.
Austère clair-obscur
Bien entendu, avec autant de bois, il fut maintes fois ravagé par de grands incendies, notamment en 1476, 1702, 1756, 1944 et 1955. Mais il fut aussi à chaque fois remis sur pied à l’identique, et bien malin aujourd’hui qui pourrait reconnaître le préservé du reconstruit, par exemple dans cet ensemble de maisons abritant aujourd’hui le musée hanséatique, l’un des must de la visite de Bergen. Passé le rez-de-chaussée et une mise en situation de pièces de morue séchée et d’outils nécessaires à sa préparation, on accède au premier étage par un escalier vraiment raide. Et là, l’éblouissement d’une plongée dans l’histoire ! Un austère clair-obscur cher aux pays du Nord, un dédale de couloirs, des poulies au plafond, une salle à manger faiblement éclairée par des fenêtres à vitraux, un cabinet de comptes et aussi des lits clos, celui du maître et surtout ceux des enfants qui s’entassaient à une dizaine dans quatre réduits seulement.
Car, si femmes il n’y avait pas, enfants en revanche il y avait. Qui venaient d’Allemagne dès l’âge de 11 ans et trimaient du matin jusqu’au soir… Clairement, ça ne devait pas rigoler tous les jours dans ces demeures-là. Mais c’était la façon de ces étranges marchands allemands, pensant à tous les profits, sauf à celui de la vie. C’est seulement à la Renaissance que les Norvégiens purent mettre fin à cette encombrante organisation qui a fonctionné comme un état dans l’état pendant deux siècles, à partir de 1350.
Cette maison n’est pas la seule à se laisser visiter. Au coin de la rue, il y a aussi la Schotstuene, qui présente les salles de réunion et de banquets de la ligue, et, un peu partout aussi, de nombreux restaurants à plafond bas et plancher maladroit ainsi que des boutiques de dentelles, des antiquaires et des marchands de pulls norvégiens, très chers, mais très mode ces derniers hivers dans les capitales européennes.
Pour autant, et malgré ce patrimoine exceptionnel, il ne faudrait pas cantonner la ville à ce seul univers laborieux, fût-il médiéval. Car, outre son côté portuaire extrêmement dynamique, son marché aux poissons à ne pas manquer le matin, Bergen fut plus récemment à nouveau célèbre sur la scène internationale. Artistique cette fois, grâce à l’immense compositeur et chef d’orchestre que fut Edvard Grieg, né à Bergen en 1843. On retrouve sa musique, tout en sensibilité norvégienne, faite de montagnes, de fjords et de noces paysannes, dans un auditorium contemporain parfaitement intégré dans le paysage et situé dans la proche banlieue de Bergen.
Mieux : on peut visiter sa maison, la villa de Troldhaugen, elle est à deux pas. On plonge alors dans un univers victorien, un rien collet monté, intact, avec mobilier d’époque, piano, tableaux et photos souvenirs en noir et blanc. C’est là que le génie a composé quelques-uns de ses chefs d’œuvre, plus particulièrement dans une cabane isolée qu’il s’était fait construire tout exprès. Pour suivre, un cocktail glamour à l’auditorium est parfaitement adapté, d’autant que le lendemain, le périple abordera des contrées nettement moins sophistiquées ; la Norvège sauvage, celle des montagnes sévèrement enneigées, des maisons pastel emperruquées de couches et de couches de neige et des fjords ombrageux, abrupts, immobiles et silencieux dans leur hiver sans fin.
Train cahotant dans le grand blanc
Après un transfert en train régional, on embarque dans le Flamsbana, autrement dit le célèbre train touristique menant de Myrdal à Flam. Un dénivelé de 850 mètres pour 20 km de trajet, une voie étroite cahotant dans le grand blanc, des précipices sans fond, des abrupts en contre-plongée, des couloirs d’avalanche dans le lointain, des tunnels se succédant et des tonnes de glace qui se font cascades l’été : le Flamsbana n’usurpe pas sa célébrité, les paysages qu’il est le seul à pouvoir traverser – ici, pas de route – étant tout simplement extraordinaires.
Cerise sur le gâteau, il marque un arrêt à l’hôtel Vatnahalsen, une bâtisse bardée de bois rouge totalement isolée au milieu d’un grand rien. Le train effectuant quatre rotations quotidiennes, on peut parfaitement s’y arrêter le temps d’une longue pause déjeuner-buffet, voire dîner avec nuit sur place, autour de spécialités norvégiennes. Beaucoup de saumon, donc. Le lieu est extraordinairement hospitalier : une cheminée dans un salon, une salle à manger typique des années 50 scandinaves, des tapis, des canapés, des fauteuils club et partout des napperons en dentelle. Avec raison, le livre d’or ne tarit pas d’éloges, d’autant que les téméraires peuvent, dès le sortir de l’hôtel, s’exercer à la luge, au ski de fond ou aux raquettes en guise de promenade digestive.
La fin de l’après-midi s’annonce avec le sifflet du train en vue du départ pour Flam, terminus de la ligne. Cette bourgade nichée au fond de l’Aurlandsfjord est le point d’ancrage et de départ d’activités hivernales plus ou moins sportives : montée à un belvédère spectaculaire lorsque la route n’est pas trop enneigée, promenades en raquettes au-dessus du fjord et, surtout, mini-croisières au ras de l’eau en bateau ouvert pouvant embarquer une douzaine de personnes.
L’aventure est frisquette, mais fabuleuse. Elle navigue un instant sur les eaux noires du Naeroyfjord, classé à l’Unesco, passe d’ouvertures ensoleillées en gorges profondes, rencontre quelques phoques taquins, et au passage accoste au ponton d’un minuscule village, Undredal. Un vrai village à l’écart du temps, quelques maisons colorées accrochées aux rives d’un torrent, la plus petite église en bois debout encore en activité de toute la Norvège et un bistrot-épicerie comme on n’en trouve plus où l’on déguste le brunost, délicieux fromage de brebis légèrement sucré et typiquement norvégien.
On ne saurait boucler ce court séjour dans les neiges du Nord sans participer à une soirée à connotation viking, puisqu’ils sont dans l’air du temps. En l’occurrence, elle sera largement réinterprétée, puisqu’elle n’aura d’inspiration viking que le décor passablement extravagant de l’Aegir BryggeriPub : cheminée centrale gigantesque installée dans une sorte de fosse, bancs de bois tout autour, lustre au plafond, peaux de bêtes et lourds tabourets de bois brut, pour ne pas dire brutal. Le premier étage est en revanche nettement plus sophistiqué, presque contemporain, et propose un concept unique de dégustation de cinq bières accompagnées de plats adaptés, exactement comme on organiserait une dégustation vins-fromages. Le tout est fort artistiquement présenté, d’une très grande finesse, et certainement à mille lieues de ce qui se pratiquait à l’époque qui l’a inspiré.
La bière à toutes les tables aidant, l’atmosphère est à la plus grande décontraction. Elle le sera plus encore un peu plus tard, lorsque devant le feu de cheminée, on tâtera à l’aquavit, alcool de pomme de terre aromatisé qui réchauffe à la fois les cœurs et les corps. Et ça tombe bien, car au sortir, il neige dans la nuit sur les eaux noires du fjord. Et c’est magique.
Norvège : un hiver au bord du fjord
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