Wuhan : les ambitions d’une francophile

Le 12 avril dernier, Air France a inauguré une liaison directe entre Paris et Wuhan, la capitale de la province du Hubei. Une première européenne et une bonne raison d’aller à la rencontre de cette inconnue… qui ne le restera pas longtemps.

Savoir que Wuhan se prononce Wouran ne sera bientôt plus qu’une simple question de culture générale. Et pour cause, la capitale du Hubei – l’une des provinces les plus riches de Chine – est en train de devenir une ville d’affaires de première catégorie. Certes, lorsque l’on flâne sur les rives du Yangtsé, on remarque surtout les vendeurs de cerfs-volants et les enfants juchés sur d’étranges montures dragonéiformes. Si, de prime abord, les hommes d’affaires semblent presque absents de ce portrait, il ne faut guère se fier aux apparences. En 2010, la conurbation de 9 millions d’habitants située à mille kilomètres de Pékin, de Shanghai et de Hong Kong, a tiré quelque 550 milliards de yuans (RMB), soit 66 milliards d’euros, de son activité économique… avec une croissance située autour des 15 %.

Cette fabuleuse prospérité, Wuhan la doit d’abord à un passé industriel qui remonte au XIXe siècle, époque où les premiers Occidentaux vinrent y faire du commerce depuis Shanghai. Les Français, surtout, s’y plurent et y restèrent. Tout un quartier, celui de la Concession française, désormais réhabilité et ponctué d’enseignes chics et de restaurants à la mode, en a d’ailleurs gardé les traces.

Si les années maoïstes ont eu raison des liens franco-wuhanais, la ville revit aujourd’hui le grand bond en avant… en version hexagonale. Les chiffres sont probants : un millier de Français y sont déjà recensés et la France est devenue le premier investisseur étranger de la métropole avec près de deux milliards d’euros injectés, déjà, en 2008, soit 60 % des investissements européens et 13 % des investissements étrangers. “Il y a ici une tradition de francophilie, voire de francophonie”, affirme Qin Huang, consule adjointe en charge des questions économiques.

Et pour cause : en 1998, la France a été le premier pays occidental à ouvrir un consulat général à Wuhan, suivi, dix ans plus tard, par les États-Unis et la Corée du Sud. “C’est d’abord la coopération universitaire, engagée il y a plus de 30 ans, qui a tissé les rapports franco-wuhanais”, continue la consule adjointe. Il faut dire que la capitale du Hubei est une vraie ville de têtes pensantes. Troisième pôle universitaire de Chine, elle a vu naître l’une des toutes premières universités du pays.

Relations franco-chinoises

Pourtant, d’autres facteurs ont contribué aux échanges entre l’Hexagone et la ville qui borde le Yangtsé. Dans les années 90, au moment de l’ouver ture économique du pays, les investisseurs étrangers ont été incités à venir implanter des usines de production automobile en Chine. Aussi, forte de son passé wuhanais et consciente du rôle central de l’industrie sidérurgique dans la capitale du Hubei, la France s’est à nouveau tournée vers Wuhan.
Le groupe PSA y installa ses usines en 1992.Qu’en est-il vingt ans après ? “Avec 11 000 employés et 400 000 voitures produites en 2011, Peugeot-Citroën fait désormais partie du paysage économique wuhanais”, continue Li Yulong, divisionnaire exportation chez PSA-Dongfeng. Or, si l’on considère que le marché automobile chinois est le premier du monde avec une production de plus de 10 millions de voitures par an, il reste encore une belle marge de progression pour le groupe français. “Nous ne possédons pour le moment que 3,6 % des parts de marché et nous devons donc jouer sur l’image de qualité européenne et de bon rapport qualité-prix pour parfaire notre développement”, conclut Li Yunlong.
Si le secteur secondaire est celui qui évolue le plus vite et rapporte le plus à Wuhan, le tertiaire, pour sa part, représente déjà la moitié du PIB de la ville. La finance, notamment, a le vent en poupe, avec un fort potentiel d’expansion et des taux de croissance supérieurs à 10 %. La haute technologie suit un rythme de progression quasiment identique. Aussi la municipalité de Wuhan a-t-elle mis en place trois zones nationales de développement, dont le East Lake High Tech Development Park, consacré aux technologies de l’optoélectronique, à celles de l’information et aux télécommunications. En tout, la ville compte 350 instituts de recherche, 1 500 sociétés de haute technologie et de nombreux incubateurs d’entreprises.
Vrai point noir de cette croissance accélérée : la pollution, qui devient une véritable préoccupation. “Le gouvernement local est obligé de faire de gros efforts pour mettre la question du développement durable au premier plan”, reprend la consule adjointe. Avec, comme mesures à prendre, le contrôle de la qualité des véhicules privés et publics, le développement des énergies vertes, de quartiers écologiques et d’usines non polluantes.
Fort heureusement, l’une des sources de pollution les plus importantes reste provisoire. Il s’agit des 5 000 chantiers en cours, dont la ville est par ailleurs très fière. Ici et là fleurissent des ponts, des routes, des lignes de métro, des logements, des bureaux, des bâtiments publics, voire de nouveaux quartiers, comme celui de Han Street, qui devrait prochainement devenir le “district culturel”, avec un nouvel opéra, des centres commerciaux et un complexe de cinémas géant.
Fort heureusement aussi, la quasi-totalité de ces chantiers polluants donnera lieu à des bâtiments écologiques. Car, en 2007, Wuhan a été déclarée ville pilote en matière d’économie d’énergies par la Commission nationale de la réforme et du développement. Depuis, les investissements ont atteint près de 350 milliards de yuans – 42 milliards d’euros – , avec un objectif ultime : développer d’ici 2015 un modèle de consommation et de transports presque entièrement vert. Sur ce front encore, les Français sont présents. Parmi les constructions emblématiques, la “Maison des Wuhanais”, à la fois centre administratif et musée qui ouvrira courant 2012, est un projet du cabinet d’architecture Arte Charpentier.

“Rivière du ciel”

Wuhan a encore une autre ambition : celle de devenir un hub de transports routier, fluvial, ferroviaire, et même aérien. En 2015, Tianhe – la “rivière du ciel” – devrait devenir le quatrième aéroport international du pays, avec l’ajout d’un troisième terminal permettant d’accueillir jusqu’à 38 millions de passagers par an. Aussi, l’arrivée d’une toute première liaison directe entre Wuhan et l’Europe avec Air France pose-t-elle la pierre angulaire de ce développement. “La capitale du Hubei constitue un nœud de communication important, explique en effet Marnix Fruitema, directeur général Asie Pacifique d’Air France et KLM. Elle est située à un carrefour de la Chine centrale, dans une des provinces les plus dynamiques.” Pionnière dans le transport entre la Chine et l’Europe, la compagnie française fut la première d’Occident à inaugurer une liaison avec la République Populaire de Chine, dès 1966, avec Paris-Shanghai. En 2012, le Paris-Wuhan est encore une première. “Un grand nombre d’entreprises étrangères, dont plus de 80 sont françaises, sont déjà implantées à Wuhan, reprend Marnix Fruitema, avec de fortes prévisions de développement, mais aussi des échanges universitaires fréquents avec l’Europe.” Wuhan n’a pas fini de faire parler d’elle.