
Quoi de plus beau que New York, Tokyo ou Shanghai vues de haut. Cependant, concentrés sur leur rythme de course ou tout courbés qu’ils sont sur les vélos elliptiques installés dans le fitness club de leur hôtel, les cadres nomades ont-ils vraiment le temps d’apprécier le panorama sublime qui s’offre à leurs yeux ? Courir. Toujours courir. Le quotidien des voyageurs d’affaires s’apparente quelquefois à une vie d’athlète. Et pourtant. Entre réunions marathon et négociations au finish, ils trouvent encore le temps de s’accorder des moments de détente.
Et de quelle façon donc ? C’est tout simple : en… courant ! Car, comme tout un chacun, les voyageurs d’affaires succombent à la folie du “running”, appellation plus tendance que le footing d’autrefois. Une pratique sportive apparue aux États-Unis dans les années 1970, dans les pas de la mouvance libertaire et qui prend une ampleur phénoménale. La fédération française d’athlétisme et SL Events recensaient ainsi douze millions de pratiquants en 2016, quand ils n’étaient encore que la moitié début 2000.
Corps sain, esprit sain : la chose est entendue depuis les Romains. Mais cette maxime prend une tournure de plus en plus actuelle au regard des sportifs amateurs sillonnant à petites ou grandes foulées les rues des grandes villes. Et cela, sans parler de la floraison de centres de fitness, de studios de Pilates, de coachs spécialisés ou encore, côté diététique, de tous ces restaurants bio et sans gluten qui apparaissent dans les quartiers montants des métropoles d’affaires. Qu’il est loin le temps où Alain Souchon chantait “on est foutu, on mange trop”… D’autant que le digital vient s’ajouter à tout cela, participant à la vitalité du business de la santé avec ces balances et bracelets connectés analysant le moindre mètre parcouru, traquant le moindre gramme superflu.
Dépassement de soi ou envie de se vider la tête : quand ils le peuvent, les voyageurs d’affaires se dopent volontiers aux endorphines, profitant des petites heures du matin pour démarrer la journée au pas de course avant de vaquer à leurs occupations business. Ce qui n’est pas sans contrepartie positive. En effet, les déplacements professionnels ne sont à vrai dire pas spécialement recommandés par la faculté pour leur côté “healthy”. Selon une étude mondiale conduite l’an dernier par StudyLogic en partenariat avec la chaîne hôtelière Westin, 65 % des cadres affirment faire moins d’exercice lors de leurs déplacements.
Point de vie saine, donc, pour celles ou ceux qui traversent le monde à 10 000 pieds d’altitude, allant ensuite de salles de réunions en restaurants haut de gamme. Les jambes ankylosées après un long vol, harassés par un sommeil déréglé, stressés par leurs journées, le soir venu, ils ont bien souvent du mal à résister aux spécialités locales qui, certes, font partie des plaisirs du voyage, mais ne sont pas franchement régime-régime…
Un sondage conduit pour la chaîne Extended Stay montrait d’ailleurs que 86 % des voyageurs prenaient plus de 500 grammes en une semaine loin de chez eux. Sur ces bases, il est facile d’imaginer ce que cela peut donner sur une année entière, avec tout ce que cela comporte de risques pour la santé, diabète et problèmes cardio-vasculaires entre autres.
Pour limiter la casse, la plupart des hôtels ont depuis longtemps mis à disposition de leurs résidents de vastes espaces fitness. Mais, par delà les salles de sport ou les piscines, certaines enseignes hôtelières sont allées plus loin en composant de vrais concepts axés sur le bien-être et la santé. C’est fort logiquement aux États-Unis, pays plus que tout autre sensibilisé au surpoids, que cette tendance est apparue dans les années 2000.
Fairmont, Kimpton, Westin, Tryp by Wyndham, Hilton Garden Inn, Hyatt et bien d’autres encore : toutes ont pris le problème à bras le corps avec, par exemple, des chambres équipées de tapis de course ou de vélos elliptiques, que ce soit chez Tryp by Wyndham ou encore Westin avec ses chambres Workout, c’est-à-dire “exercice physique”. Pour sa part, Hilton Garden Inn s’est mis à distribuer à la réception des kits “Stay Fit” où les clients sportifs peuvent trouver une bande élastique pour faire du Pilates, un tapis de yoga, un haltère et une corde de musculation. De son côté, Fairmont prête à la demande aux membres de son programme de fidélité des vêtements d’exercice et des chaussures de sport Reebok. Quant à Kimpton, autre enseigne pionnière, outre des tapis de yoga dans toutes ses chambres, ses hôtels prêtent des vélos à tous ses clients. Et même des kayaks à Boston, pour descendre la Charles River !
Fitness en chambre
Plus vite, plus haut, plus fort : le groupe britannique IHG a créé en 2014 une marque tout entière dédiée à la santé et au bien-être. Baptisée Even, elle est aujourd’hui présente à New York et bientôt à Auckland et son idée s’articule autour de quatre axes : l’exercice avec un espace fitness en chambre ; le repos avec des matelas ultra conforts ; le travail avec des coins bureaux ergonomiques ; et enfin l’alimentation avec le concept de restauration The Cork & Kale Market and Bar dont la dimension diététique et durable est symbolisée par une salade “signature” de chou kale, la nouvelle star des menus detox.
Car, en parallèle de l’activité physique, les établissements positionnés “healthy” intègrent naturellement une composante diététique. Destinés à donner de l’énergie à grand renfort de smoothies et de jus hyper vitaminés, les menus favorisent le bien-être global des voyageurs. “Manger les bons aliments peut avoir un effet non négligeable sur la qualité du sommeil, a déclaré David Stern, directeur associé de SuperFoodsRx, partenaire de la marque Westin. Le tryptophane, le magnésium, le potassium et la sérotonine agissent ensemble pour prévenir l’insomnie et rétablir les cycles du sommeil, donnant aux clients la chance de se sentir en pleine forme le matin.”
Malgré l’intérêt de la démarche, il faut bien constater que, jusqu’à présent, la mode de l’hôtellerie “healthy” est surtout circonscrite aux hôteliers américains ; même si, grâce à leurs couvertures mondiales, ces chaînes ont exporté leurs concepts dans de nombreuses grandes métropoles d’affaires. L’hôtellerie urbaine européenne – est-elle épicurienne dans l’âme ou partisane du régime Churchill, “surtout pas de sport” – est encore timide en la matière.
Cependant, et ceci pourrait être les prémices d’une évolution, Pullman, la marque business d’AccorHotels, s’apprête à lancer un programme international basé sur quatre piliers – le sommeil, l’alimentation, le sport et le spa – conçu par Sarah Hoey, coach bien-être pour la marque. “Pendant des années, nous nous sommes concentrés sur notre coeur de métier, l’hôtellerie, et avons consolidé l’ensemble des services attendus dans les hôtels haut de gamme. Ces derniers temps, nous constatons une évolution des attentes des clients en matière de bien-être ; c’est en ce sens que nous avons repensé nos offres pour avoir une approche plus globale”, explique Aldina Duarte Ramos, directrice bien-être pour les marques Sofitel, Swissôtel et Pullman. Ainsi les cadres nomades devraient bientôt trouver dans les hôtels des petits déjeuners sans produits laitiers, ni sucre, ni gluten, ou encore des fitness bag pour faire des exercices en chambre en suivant les conseils diffusés par une série de vidéos, notamment destinées à l’éveil du corps ou à la relaxation pour relâcher les tensions accumulées au cours de la journée.
Saine torture
De récents développements montrent que le créneau est à la fois porteur, mais surtout d’actualité. La marque Hilton a présenté en mai dernier son concept de chambre “Five Feet to Fitness”, déployé aux États-Unis. “Les clients se rendront compte que nous sommes allés bien plus loin que simplement placer des équipements fitness dans la chambre”, décrit Ryan Crabbe, directeur bien-être du groupe Hilton. Vélo d’intérieur Wattbike, station d’entraînement Gym Rax présentant une foule d’accessoires : l’ensemble présente tout ce qu’il y a de plus sophistiqué en matière d’instruments de – saine – torture. Le tout étant organisé par le Fitness Kiosk, un écran tactile où les clients peuvent suivre des séances d’entraînement guidées par 200 vidéos portant aussi bien sur l’endurance, la force que sur le cyclisme ou le yoga.
Grâce au renfort des nouvelles technologies, les hôteliers peuvent maintenant compter sur des coachs virtuels pour prodiguer des conseils personnalisés à leurs clients. Depuis l’an dernier, Westin est partenaire de Fitbit, spécialiste des bracelets connectés. À travers l’application FitStar Personal Trainer, les clients se voient proposer des programmes adaptés à leur niveau de forme et conçus par des figures faisant autorité dans le monde du fitness. Dans le même ordre d’idée, les établissements longs séjours Element proposent une appli Your Trainer à ses résidents. “Lors du check-in, ils reçoivent une carte d’entraînement avec un code à trois chiffres afin de définir leur profil dans l’appli, explique Toni Stoeckl, vice-président, Distinctive Select Brands. Ce qui leur donne accès à des exercices personnalisés, soit extrêmement physiques, soit énergisants ou encore relaxants.”
Tendance de fond
La course à l’hôtellerie “healthy” n’est pas prête de s’arrêter. À tel point qu’Equinox, une des enseignes les plus hypes en matière de clubs de fitness aux États-Unis, va se mettre à l’hôtellerie avec un premier établissement très design attendu à New York en 2018 tout en envisageant d’autres destinations comme Londres, Los Angeles ou Miami. Peut-être n’est-ce non plus un hasard si, cet été, Hyatt a racheté Exhale, une enseigne de fitness et spa à la fois urbaine et “boutique”, pour muscler son offre bien-être…
Reste que l’activité physique ne reste pas cantonnée à la chambre ou aux salles de sport. Elle se pratique aussi, surtout même, au grand jour. Et pour cela, les cadres sportifs peuvent compter sur le personnel des hôtels pour les inviter à se dépenser. A l’Hotel Monaco de Washington, de l’enseigne Kimpton, c’est même le directeur général, Ed Virtue, qui conduit les clients dans des visites à vélo de la ville tous les mercredis. Le reste du temps, ce cycliste chevronné a enregistré sur GPS 25 parcours que les résidents pourront sillonner à loisir. Dans d’autres villes, les directeurs guident eux-mêmes les footings, le plus original étant celui organisé à l’Hotel Palomar de Philadelphie. Baptisé “Rocky Run”, il emmène les clients sur les traces de Rocky Balboa avec, à l’arrivée, la grimpée des marches du Philadelphia Museum of Art pour finir les bras levés, à la façon du héros incarné par Sylvester Stallone.
Cette même volonté d’accompagner les cadres soucieux de leur forme est partagée par Westin avec son programme mondial RunWestin, lancé en 2014. Dans les 200 hôtels de la marque, des “Run Concierges” organisent à la demande des courses en groupe ou distribuent des cartes de parcours aux coureurs de fond plus solitaires. “Partout dans le monde, nous avons vraiment constaté un changement dans la façon dont les voyageurs d’aujourd’hui intègrent le bien-être dans leur travail et leurs habitudes de voyage. Et cela va des millénials, qui ont une approche des activités de remise en forme plus sociale que compétitive, aux voyageurs d’affaires qui préfèrent aujourd’hui faire partie de clubs de running plutôt qu’être membre de clubs sportifs privés”, remarque Brian Povinelli, senior vice-président en charge de Westin, Le Méridien, Renaissance, Autograph, Tribute et Design Hotels au sein du groupe Marriott.
L’an dernier, l’enseigne a décidé d’étendre le champ d’action de ces concierges au ski, au vélo, au tennis ou au golf. Au surf aussi : au Westin Los Angeles Airport, situé à quelques kilomètres de la mer, une Surf Concierge, Jenny, renseigne sur les meilleurs spots où prendre la bonne vague. Le nom de sa plage préférée : Manhattan Beach. Loin, bien loin de Wall Street, Midtown et de toute effervescence business.