
L’existence de Hong Kong comme colonie britannique n’avait jamais été un problème pour la Chine. Bien au contraire. Le territoire aux portes de la Chine continentale avait permis pendant des décennies de favoriser les affaires avec le reste du monde. Hong Kong bénéficiait non seulement d’une totale liberté commerciale – le gouvernement britannique de Hong Kong étant assez peu interventionniste – assortie d’un cadre juridique et légal façonné par les Britanniques. La prospérité de Hong Kong se fondait ainsi sur ce véritable hub des affaires Est/Ouest. Et bon nombre d’observateurs pensaient que le retour en 1997 de Hong Kong a la Chine n’allait rien changer à ce statut si particulier, garanti par la formule « un pays, deux systèmes » prévue pour 50 ans, soit jusqu’en 2047.
Cette formulation garantissait de fait une semi-autonomie à l’ancienne colonie avec le maintien d’un système juridique indépendant de celui de la Chine, de ses propres lois, de sa propre monnaie, de son propre système fiscal (plus avantageux qu’en Chine continentale) et d’une liberté d’expression impossible de l’autre côté de la frontière. Un cadre qui rassurait donc les milieux d’affaires mondiaux pour parler business avec leurs homologues chinois. Hong Kong est ainsi la troisième place boursière d’Asie avec neuf des dix plus grosses entreprises chinoises listées au Hong Kong Stock Exchange tandis que deux tiers des fonds que lève la Chine a l’étranger se font dans l’ancienne colonie britannique, selon les experts.
Flou artistique
La nouvelle loi sécurité adoptée à Pékin et immédiatement mise en application sur le territoire le 30 juin au soir – date du 23e anniversaire de la rétrocession – ouvre une nouvelle ère pour la métropole et devrait avoir des répercussions sur son attrait à l’international. En passant de facto sous juridiction chinoise à travers cette loi, Hong Kong perd ce statut privilégié dans les cercles économiques internationaux. La nouvelle loi punit désormais toute personne considérée comme dangereuse a la sécurité du territoire et du pays, si elle commet ou soutient des actes de sécession, de subversion, de terrorisme ou de collusion avec un Etat étranger ou des éléments extérieurs.
Toute personne soupçonnée pourra ainsi se retrouver arrêtée immédiatement, voire même se faire extrader vers la Chine pour y être jugée. Le flou qui existe dans les définitions de ce qui est désormais considéré comme des actes criminels donne en fait aux autorités toute latitude dans l’application de la loi. Par exemple, des gens qui ont dégradé des espaces publics ont été déjà arrêtés sous motif de « terrorisme » dès son entrée en vigueur le 30 juin à minuit.
Autre exemple, selon la section 4 de la loi, toute personne ou organisation « imposant des sanctions, ou bloquant ou se livrant à d’autres activités hostiles » contre la Chine, y compris Hong Kong, commet une infraction.
« La référence aux sanctions pourrait être interprétée comme englobant le respect des sanctions imposées par une institution internationale ou par le gouvernement de son pays d’origine », analysait dès lors Lester Ross, associé responsable du bureau de Pékin du cabinet d’avocats international WilmerHale dans une interview pour le quotidien de Hong Kong, le South China Morning Post. « Le terme « actions hostiles » est entièrement vague et ouvert, exposant les personnes, entreprises et autres entités concernées à des enquêtes et des poursuites pour une vaste gamme d’activités », poursuivait-il dans son entretien avec le quotidien.
Les journaux locaux indiquent que de nombreux Hongkongais ont déjà effacé le contenu de leurs messages sur le net, la Chine ayant aussi la possibilité de surveiller et de traquer les internautes. Des entreprises comme Google ou Facebook ont ainsi annoncé qu’elles ne transmettraient plus de coordonnées de leurs membres aux autorités hongkongaises.
Tout aussi troublant est le fait que la loi s’applique aussi aux non-résidents de Hong Kong et de Chine en visite dans la métropole, y compris en transfert à l’aéroport.
Un tel cadre devrait avoir des conséquences notables sur le statut de hub international de la métropole. Selon un sondage de la Chambre de Commerce américaine, qui regroupe 180 entreprises à Hong Kong, 53,5% d’entre elles se déclarent très concernées par la nouvelle loi et 30% modérément concernées. Le Canada, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont déjà révisé leurs conseils aux voyageurs pour la destination, mentionnant un plus grand risque de surveillance, voire d’arrestation arbitraire.
les Français résidents ou de passage sont invités à prendre en compte le changement introduit par cette nouvelle législation
La France a également modifié ses conseils à l’entrée de ses ressortissants sur le territoire. Le site du consulat de France à Hong Kong explique que « la loi sur la sécurité nationale est applicable aux ressortissants étrangers, y compris au titre d’activités ayant eu lieu hors de Hong Kong. Les prises de position politiques, y compris sur les réseaux sociaux, sont susceptibles d’entrer dans son champ d’application. En l’absence de recul sur ses modalités de mise en œuvre, les Français résidents ou de passage sont invités à prendre en compte le changement introduit par cette nouvelle législation. »
Le consulat recommande donc de :
- se tenir à l’écart de tout rassemblement, mouvement de foule ou zone de tension susceptible de donner lieu à des violences ou affrontements
- suivre les consignes des autorités locales
- se tenir régulièrement informé de l’évolution de la situation
Hong Kong, une ville comme les autres ?
La nouvelle loi devrait se traduire d’après les experts par une réduction de l’activité internationale à Hong Kong, beaucoup d’entreprises pouvant décider de quitter la ville pour travailler dans un cadre légal plus rassurant. Certes, beaucoup travaillent déjà en Chine continentale, notamment à Shanghai, Canton, Shenzhen et Pékin sous le coup d’une loi sécuritaire similaire à celle adoptée à Hong Kong, sans subir une quelconque pression de Pékin. Il en est de même à Macao dont le statut de territoire semi-autonome a déjà intégré une disposition similaire, sans créer de vagues à l’international.
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Le chairman du Conseil du tourisme de Hong Kong, Pang Yiu-kai, a d’ailleurs étayé cette hypothèse. S’exprimant lui aussi face au China Morning Post, il s’est voulu rassurant pour les touristes, expliquant qu’il ne pensait pas que la loi ferait fuir les voyageurs puisque les étrangers visitent toujours la Chine continentale, malgré une loi sur la sécurité nationale.
En fait, la loi sécuritaire a une dimension psychologique pour Hong Kong. La ville a prospéré pendant des décennies sur l’idée d’être une bulle protégée, à l’abri d’une Chine où les libertés individuelles sont très surveillées. Aligner Hong Kong sur le reste de la Chine continentale vide de fait la métropole de son rôle de hub international. Hong Kong va certes rester une ville d’affaires importante, probablement en se recentrant sur l’immense marché intérieur, notamment pour les entreprises chinoises travaillant offshore dans la finance. Ces dernières ont d’ailleurs applaudi la nouvelle loi qui leur permet de bénéficier d’un cadre opérationnel enfin « apaisé ». L’indice Hang Sen a même connu une envolée après la mise en place de la loi…