
Que retenez-vous de la conférence GBTA Europe organisée à Bruxelles, et tout particulièrement du premier Sustainability Summit ?
Stéphane Vallageas – La sustainability est un objectif crucial pour la majorité des entreprises en 2023. GBTA Europe devait donc absolument se positionner dans cette mouvance. L’événement s’est très bien passé, avec des intervenants de grande qualité et notamment les représentants de la Commission européenne. Les retours sont donc très positifs, avec une audience qui a répondu présent et une bonne représentativité. On savait beaucoup de choses, j’en ai appris certaines, mais la problématique que l’on voit à notre échelle des achats voyages n’est qu’une partie du problème, et les actions sont à des échelles bien au-delà des nôtres.
Justement, comment affrontez-vous cette problématique au sein de votre entreprise ?
Stéphane Vallageas – La sustainability fait partie de mon scope achats. Je regarde de très près les prestataires avec lesquels nous travaillons, leur stratégie net zéro, sur une base SBTi (Science-based Targets initiative). Nous sommes alignés sur des normes, car un bilan carbone doit être audité, donc auditable, avec des certifications validées, reconnues. Nous avons aussi fixé des objectifs qui n’attendent pas l’échéance de 2050, et d’autres objectifs intermédiaires. Il en va de la réputation de l’entreprise, cela concerne aussi les clients, les actionnaires… La sustainability est une thématique qui me tient à cœur à titre personnel, ce sont des valeurs qui me sont chères. Je suis donc d’autant plus attentif vis-à-vis des prestataires avec lesquels on travaille pour nous assurer que c’est ce qui se fait de mieux en matière de sustainability.
Disposez-vous d’outils adaptés dans ce secteur ?
Stéphane Vallageas – Non. Aujourd’hui, il y a des outils qui remontent des informations, mais notre problème en tant qu’acheteur c’est le manque d’exactitude de ces données. Elles ont certes le mérite d’être là. Mais ce qu’on veut, ce sont des données fiables. Et c’est encore loin d’être parfait. Il y a de nouveaux acteurs qui sortent de nouvelles méthodologies, à l’image de IATA dans l’aérien, ou de la méthodologie d’Advito, certifiée ISO. Les méthodes diffèrent, les résultats aussi… Nous travaillons avec notre agence et notre outil de réservation (OBT) pour faire en sorte que les données soient beaucoup plus fiables. Car au final c’est le voyageur qui doit faire un choix et il faut que l’on réussisse à le responsabiliser, pour qu’il ne soit pas guidé uniquement par le prix mais aussi par l’empreinte carbone de son voyage en fonction des différentes options disponibles. Il s’agit d’amener le voyageur à être acteur de ce changement. Et pour ça il faut que l’on puisse leur fournir les bonnes données. Par exemple, on part souvent du principe qu’un vol direct doit avoir un impact moindre, alors que ce n’est pas toujours le cas. Il faut donc des données fiables pour que nous, acheteurs, puissions choisir les bons prestataires, mais surtout pour le voyageur, parce que finalement c’est lui qui « appuie sur le bouton ».

Ne faut-il pas être plus contraignant avec les voyageurs d’affaires, avec des politiques voyages plus strictes ?
Stéphane Vallageas – Il faut regarder la raison du déplacement, sa pertinence, sa durée. Est-ce qu’un aller-retour dans la journée pour une réunion d’une heure se justifie ? Il va falloir apprendre à voyager différemment. C’est peut-être une conséquence positive de la crise sanitaire : beaucoup de gens ont réalisé qu’il était possible de continuer à travailler sans se déplacer. Ce n’est pas l’idéal, car beaucoup de choses ne se règleront jamais au travers d’un écran. Mais les gens ont trouvé un nouvel équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Les nouvelles générations sont moins enclines à voyager, elles se posent davantage la question : « ai-je besoin de me déplacer ? ». Et c’est une bonne question, une question que nous intégrons désormais dans les politiques voyages.
Une question que pourraient résoudre les nouvelles technologies. L’intelligence artificielle pourrait-elle distinguer les voyages essentiels des déplacements superflus ?
Stéphane Vallageas – Avant un déplacement, on se dit « il faut que je me déplace pour connaître mon client, mon prestataire ». En se déplaçant il y a autre chose qui passe, qui va permettre de finaliser les choses. Et ça, ces affinités qui peuvent exister entre les êtres humains, l’intelligence artificielle ne pourra jamais le quantifier, c’est une notion qui restera heureusement propre à l’humain, au moins pour quelque temps j’espère !
Quid de l’inflation ? Comment piloter les achats dans ce contexte tarifaire ? Cela implique-t-il de voyager moins ?
Stéphane Vallageas – C‘est la question que se pose la grande majorité des acheteurs. Les chiffres évoqués par le ministre de l’Economie sont complétement déconnectés de ce que l’on subit dans la réalité. On parle d’inflation à 5% ou 6%. En ce qui nous concerne, dans le secteur aérien par exemple, entre début et fin 2022 sur des billets en Europe, l’impact sur les prix avoisine les 20%. On subit aussi l’effet de rattrapage, qui devrait se calmer. Mais on s’inquiète pour l’année prochaine et nous sommes tous en train de chercher quel levier il est possible d’activer. Aujourd’hui c’est compliqué. Dans l’hôtellerie, les tarifs négociés peuvent être sous contrôle. Dans l’aérien, les négociations avec les compagnies aériennes portent la plupart du temps sur des remises. Ça ne suffit pas à contenir la flambée des prix. Nous sommes donc en train d’étudier les moyens mis à notre disposition pour limiter cette sur-dépense, cette explosion des budgets. Cela passera effectivement par voyager moins, en étant plus sélectif, en regroupant plusieurs rendez-vous. On va aussi jouer sur l’anticipation des réservations. Aujourd’hui la majorité des politiques voyages s’appuient sur un booking à -14, on va pousser les voyageurs à être plus prospectifs, peut-être en doublant ce délai. Il va falloir voyager différemment. C’est un peu comme un déplacement en voiture électrique, qui implique de planifier davantage son trajet en fonction des impératifs de recharge. De toutes façons, on n’a pas vraiment de leviers pour faire baisser les coûts, nous sommes dépendants de quelque chose qui nous dépasse, avec l’inflation, la loi de l’offre et de la demande, les pénuries de personnels, de pilotes. On n’a aucune prise là-dessus, on essaie juste de limiter la casse autant que possible. On sort d’une période complexe, nous entrons dans une nouvelle ère qui n’est pas simple… C’est aussi ce qui rend ce métier passionnant. Parmi les différentes catégories d’achats que j’ai été amené à gérer, le voyage d’affaires est la plus dynamique, la plus changeante.