T. Janin (Ilios) : « un voyageur peut se retrouver très seul en cas de problème »

Thibault Janin, directeur général d'Ilios International, revient sur la récente levée de fonds et l'originalité de l'offre de sa société spécialisée dans l'assistance et la sécurité des voyageurs.
Thibault Janin, directeur général d'Ilios International
Thibault Janin, directeur général d'Ilios International

Ilios International vient d’annoncer une levée de fonds d’un million d’euros pour poursuivre son développement et renforcer sa position sur le marché de la sécurité et l’assistance. Pouvez-vous revenir sur la genèse de votre société ?

Thibault Janin – Les risques de sécurité ont évolué, d’où un besoin de faire évoluer les choses. On ne traite plus les risques comme il y a encore cinq ou six ans. La crise Covid a exacerbé des tensions sociales et politiques dans très nombreux pays dans le monde. Ce qui fait que, même dans des pays relativement sûrs, il peut vous arriver des bricoles en matière de sécurité. Nous avons monté cette société avec mon père autour du constat que les solutions existantes manquaient leur cible d’une certaine manière, c’est-à-dire le voyageur lui-même, face aux tracas du quotidien. Lui, comme ancien directeur Sûreté d’un grand groupe, était acheteur de solutions de sécurité et d’assistance, tandis que moi, j’étais habitué à les utiliser dans le cadre de mes déplacements professionnels, que ce soit aux États-Unis et au Moyen-Orient ou dans des pays plus risqués, notamment le Nigeria. De par mon expérience de terrain, je pense avoir une bonne idée de ce dont les voyageurs ont besoin à l’étranger.

Justement, de quoi ont-ils besoin précisément, selon vous ?

Thibault Janin – De deux choses essentiellement : d’une part, être bien informé des quartiers et rues à éviter pour des raisons de sécurité et, d’autre part, d’être rassuré sur le fait qu’on vienne les secourir en cas de problème. Vous avez des tas de cas de figure où les voyageurs se retrouvent très seuls quand il leur arrive un problème à l’étranger. La plupart des solutions, en dehors de leur capacité à gérer les déplacements dans les zones à risques, sont fondées sur des fiches pays, des alertes et une hotline à contacter en cas de problème. Mais ce n’est pas suffisant, une hotline qui aiguille vers le médecin ou l’hôpital le plus proche. D’où notre volonté de proposer à nos clients un véritable système d’assistance sur le terrain.

Centre de conduite des opérations d’Ilios, à Aix-en-Provence.

Dans ce cadre, quelles solutions avez-vous mis en place ?

Thibault Janin – Nous avons mis en place un centre de conduite des opérations qui sert à coordonner des interventions rapides en cas de problème. Ce centre s’appuie sur une trentaine de spécialistes habitués à gérer des crises, que ce soit des coordinateurs issus de la sécurité civile, des anciens militaires, des policiers. En parallèle, nous avons un réseau de partenaires dans une petite soixantaine de pays, tous connectés avec nos outils, et qui peuvent déployer rapidement une équipe d’intervention sur place, souvent en un gros quart d’heure et dans l’heure dans des villes très congestionnées, comme Lagos, Luanda ou Johannesburg.

Comment Ilios International orchestre-t-il les relations entre son centre des opérations et les interventions sur le terrain ?

Thibault Janin – Ce centre des opérations s’appuie sur une partie digitale nous permettant d’anticiper les risques. Nous proposons bien sûr les fonctionnalités classiques telles que des fiches pays, des systèmes d’alertes ou encore le tracking PNR grâce à notre clé API pour faire le lien avec les agences de voyage. De même, nous organisons des formations collectives et briefings sécurité avant le départ des voyageurs. Nous nous différencions surtout par ce système digital, développé en interne, qui repose à la fois sur la géolocalisation des voyageurs et une cartographie précise des quartiers sensibles.

Comment avez-vous bâti cette cartographie ?

Thibault Janin – Notre département veille et analyse a quadrillé à peu près 800 villes dans 160 pays en définissant des quartiers à risques, le tout étant affiné avec nos partenaires locaux. Ils peuvent par exemple nous suggérer d’enlever certaines rues qui sont sûres ou de rajouter des quartiers qui ne le sont pas. Dès qu’un voyageur entre dans l’une de ces zones, il commence à être géolocalisé en temps réel. De la même façon, il pourra être suivi en permanence à partir du moment où il actionne son bouton d’urgence. Ce qui est clé pour pouvoir donner la localisation précise du voyageur à nos partenaires locaux en cas d’intervention, gérer le temps entre l’appel passé et la récupération, diriger la personne vers une zone refuge.

Vous ne géolocalisez donc pas les voyageurs en permanence ?

Thibault Janin – Les voyageurs ne sont pas contre être géolocalisés, mais ils ne sont pas favorables à être traqués en permanence sans comprendre pourquoi. Contrairement aux anciens systèmes, les voyageurs ne sont pas trackés en permanence dans notre solution. Leur position n’est poussée qu’une seule fois par jour dans le système, à 12H GMT, et c’est cette position à ce moment précis qui sera accessible aux directions sûreté. Bien sûr, toutes les données sont conservées en back office en cas de problématiques juridiques. Mais c’est une boîte noire à laquelle on ne touche pas.

Des solutions d’assistance 24/7 à travers l’application mobile.

Pouvez-vous donner quelques exemples concrets de ces interventions sur le terrain ?

Thibault Janin – Je prendrais le cas récent d’un voyageur envoyé pour une mission de trois semaines en Tanzanie et qui, au bout de quelques jours, se tord le genou dans les escaliers de son hôtel. On a envoyé une équipe le récupérer à l’hôtel pour l’emmener voir un médecin. C’est le genre d’incidents que nous prenons en charge, ces petits tracas du quotidien bien loin des attentats ou des enlèvements. Autre exemple en Afrique du Sud, en fin d’année dernière, où une voyageuse d’affaires s’est faite suivre par un groupe de jeunes lors d’une balade à Johannesburg. Elle appelle nos chargés d’assistance qui ont compris la situation et ont contacté nos partenaires en moins de deux minutes. A partir de là, elle a été aiguillée vers un hôtel, où notre partenaire est venu la récupérer une vingtaine de minutes plus tard, la réconforter, puis la raccompagner à son hôtel. Ca fait partie, entre autres, des choses sur lesquelles on intervient, mais nous pouvons aussi gérer des problèmes d’ordre administratif.

De quelles sortes ?

Thibault Janin – Prenons le cas d’un voyageur qui devait se rendre dans un pays en Afrique, persuadé qu’il obtiendrait son visa à l’arrivée à l’aéroport dans le cadre de sa mission pour une organisation de l’ONU. Nous en doutions et nous lui en avions fait part. Mais, par acquis de conscience, notre direction des opérations a demandé à un de nos partenaires de se trouver à l’aéroport, au cas où. Bien nous en a pris, puisque le voyageur n’a pas pu avoir son visa comme prévu. En quelques heures, nous avons pu résoudre la situation en démontrant qu’il n’avait pas respecté les règles, mais que son visa était tout à fait conforme.

Pour autant, êtes-vous aussi paré pour la gestion de crise ?

Thibault Janin – Bien sûr, nous avons eu à gérer des crises en Angola, au Mali, au Burkina Faso. Nous avons une salle qui est dédiée à ça, un département opération qui peut organiser la mise en protection temporaire, des relocalisations, voire des exfiltrations de personnel. Pour autant, des coups d’État, des catastrophes naturelles, des attentats, des enlèvements, tout cela a évidemment un impact fort, mais ce sont au fond des cas assez rares. En revanche, des tracas du quotidien surviennent tous les jours.

Justement, parlons un peu de vos clients, quels sont-ils ?

Thibault Janin – On a une trentaine de clients aujourd’hui, de la PME au grand groupe, avec le même service pour les uns comme pour les autres. La seule différence, c’est la manière dont on vend nos solutions. Les grands groupes achètent nos prestations de manière forfaitaire sur l’année, alors que les PME, elles, payent à la consommation. Si elles organisent 200 voyages dans l’année, elles payent à la hauteur de ces déplacements et rien de plus, hormis des frais de connexion à notre plateforme extrêmement réduits. Mais ce qui nous rend aussi très différent dans le secteur de la sécurité, c’est notre modèle économique de type assurantiel. Nos clients payent nos solutions comme une assurance voyage, quelques dizaines d’euros par déplacement ou par mois pour les expatriés. Le coût des interventions ne les regarde pas. Elles sont prises en charge par Ilios selon les conditions convenues avec nos partenaires.

Ilios dispose d’un réseau de partenaires dans une soixantaine de pays dans le monde.

Ce qui explique qu’Ilios a aussi pour volonté de déployer son offre via les grands groupes d’assurances ?

Thibault Janin – Tout à fait, on a deux types de cibles. Les premières, ce sont les ETI et grands groupes en direct, et l’autre type, ce sont les assureurs et les courtiers. Notre modèle les intéresse, d’abord par la qualité de nos infrastructures. Mis à part International SOS, je pense que nous sommes les seuls en France à avoir un centre opération de ce niveau-là. Mais notre offre les intéresse aussi et surtout parce que notre modèle se rapproche du leur, de leurs clés de compréhension. Alors que d’autres prestataires sécurité envoient la facture de leurs interventions, de notre côté, tout est pris en charge. Dès lors, les assureurs peuvent faire des projections en fonction du nombre de voyages assurés, savoir combien ça va leur coûter. Et ça, ça leur plaît.

A quoi va servir la levée de fonds que vous venez de réaliser ?

Thibault Janin – Cette levée nous permet d’avancer. Ce métier nécessite un niveau de structure très important pour animer son réseau de clients et de partenaires, pour avoir des outils informatiques performants et surtout pour faire tourner notre centre opération. Faire du 24/7, c’est un investissement lourd en ressources humaines, d’autant que nous ne sommes pas dans le pays le moins cher en matière de charges.