
Face à la disparition programmée d’AirBerlin, second transporteur d’Allemagne, deux compagnies aériennes se sont mises immédiatement dans les rangs des acheteurs. Sans surprise, Lufthansa s’est montrée intéressée par la reprise d’une partie de l’activité de son concurrent moribond. Mais easyJet va également récupérer 25 avions d’AirBerlin afin de monter en puissance dans la capitale allemande.
Qu’une compagnie low cost parte à la rescousse d’une compagnie traditionnelle, voilà bien une situation à laquelle les dirigeants des transporteurs classiques n’auraient jamais pensé être confrontés, même dans leurs pires cauchemars ! Le seul exemple de rachat d’un transporteur régulier par une low cost s’est produit au Brésil il y a dix ans avec la faillite de Varig, dont les actifs ont été rachetés par GOL pour un prix dérisoire de 320 millions de dollars.
EasyJet n’est d’ailleurs pas la seule à partir à l’assaut des compagnies régulières. Ryanair avait elle aussi évoqué sa volonté de racheter AirBerlin ou encore Alitalia, proposition à laquelle le transporteur irlandais n’a pas donné suite, étant lui-même embourbé dans ses propres problèmes de gestion de flotte et de personnel.
Pourtant, on voit bien où se situe aujourd’hui la tendance, et c’est un tout nouveau monde dans lequel se trouve plongé le transport aérien. Après avoir grignoté et conquis les lignes de point-à-point, c’est-à-dire celles qui ne génèrent pas un trafic important de voyageurs en correspondance, les compagnies low cost font voler en éclat toutes les frontières qui les séparaient des compagnies traditionnelles jusqu’à récemment.
Le low cost, c’est ça !
Peut-être, d’ailleurs, faudrait-il redéfinir ce qu’est un transporteur low cost. Récemment de passage à Paris pour la signature d’un accord avec Air France, Eduardo Bernardes Neto, vice-président commercial de la compagnie brésilienne GOL, en donnait sa propre définition : “Nous offrons des salons en aéroport, le WiFi et des services à bord. Nous avons d’aussi bonnes prestations que les compagnies traditionnelles, à une exception près : nos coûts de production sont parmi les plus bas du monde, grâce à une gestion très rigoureuse. C’est ça, le low cost !”
Comment juger de cette percée du low cost ? D’abord avec des chiffres. L’organisation de l’aviation civile internationale (OACI) avançait un total de 984 millions de passagers sur des transporteurs low cost en 2015, soit 28 % de tous les voyageurs aériens dans le monde. Selon les études fournies par le géant Boeing, le transport aérien à bas coûts représentait par exemple 47 % des capacités offertes sur les lignes intra-européennes, la barre des 50 % devant être franchie dès cette année.
En Asie, le transport low cost représente 20 % de la totalité de l’offre aérienne, une part de marché limitée qui s’explique par la relative faiblesse des transporteurs à bas tarifs en Chine ou au Japon. Car, si l’on prend uniquement le cas de l’Asie du Sud-Est, Boeing donne une part de marché des low cost de 70 % sur les lignes régionales. Au final, seule l’Afrique échappe encore au phénomène, les compagnies à bas coûts s’arrogeant seulement 10 % de tous les passagers transportés sur le continent.
Cette incroyable poussée a plusieurs causes, le prix des billets proposés étant certainement le facteur clé de cet engouement mondial. Mais pas seulement. Car il y a aussi la simplicité d’accès au produit, les compagnies low cost ayant très tôt intégré les systèmes de réservation en ligne et les applis pour smartphone. Troisième raison à ce succès massif : le développement de lignes de point-à-point pratiquement partout où existe un bout de piste. Sur ce plan, les compagnies traditionnelles européennes ont d’ailleurs ouvert un boulevard aux low cost en abandonnant les lignes ne venant pas alimenter leurs hubs. Les dessertes qu’une Air France, une British Airways ou une Lufthansa ne proposent plus faute de rentabilité, les compagnies à bas tarifs, elles, le font.
La voie est libre
On a vu par exemple British Airways se retirer de Birmingham, Édimbourg ou Manchester pour se concentrer exclusivement sur Londres Heathrow et Gatwick. Pourtant, encore au début des années 2000, British Airways représentait près de 50 % du trafic de Manchester, troisième aéroport de Grande-Bretagne. Aujourd’hui, le transporteur anglais n’y assure plus que des vols sur Londres et quelques lignes saisonnières. Et c’est ainsi que Flybe, Jet2com et easyJet constituent aujourd’hui le socle des lignes court-courriers depuis le Royaume-Uni vers l’Europe.
Les transporteurs low cost sont même à la genèse de nouvelles lignes aériennes, parfois si improbables qu’il est facile d’imaginer que les transporteurs traditionnels ne s’y soient jamais intéressés ! Par exemple, easyJet relie régulièrement La Rochelle à Bristol, Wizz Air dessert Vilnius depuis Grenoble et Transavia, filiale d’Air France-KLM, relie depuis Paris Orly les villes de Dakhla, au Maroc, et Tivat, au Monténégro. Et cela marche : “On constate que les Français ont une vraie appétence pour des destinations inconnues”, décrit Zoran Jelkic, directeur général France d’Air France-KLM.
Au total, les compagnies dites à bas tarifs ont acheminé sur les aéroports français plus de 53 millions de passagers en 2016, avec 30 % du trafic l’an dernier. Mais, hors de Paris, ce taux s’établit à 43,5 %. Si l’on exclut Paris Beauvais – dont le trafic est constitué à 99 % par des compagnies à bas tarifs –, les grands aéroports les plus dépendants du transport à bas coûts sont Bâle-Mulhouse, avec 70 %, et Nantes, avec un peu plus de 60 %. Autre exemple de la prédominance du low cost en Europe : en cinq ans, l’aéroport de Barcelone a vu son trafic croître de plus de 30 %, les compagnies à bas tarifs, en particulier Vueling et Ryanair, représentant aujourd’hui 65 % de tout le trafic. Mais ce sont loin d’être des cas uniques, l’influence du transport low cost étant similaire à Berlin, Budapest, Cologne, Cracovie, Dublin, Genève, Porto ou encore Londres Gatwick et Stansted.
La poussée du low cost correspond également à l’abandon relatif, question de rentabilité, des liaisons court-courriers par les transporteurs classiques. En Allemagne, la décentralisation du pays fait qu’il existe plusieurs puissantes métropoles économiques sur lesquelles il était difficile pour Lufthansa de faire l’impasse. La compagnie a donc trouvé la solution la plus “astucieuse” : dans un souci de continuité de produits pour le passager en correspondance, son réseau Europe n’est plus assuré qu’au départ de ses deux hubs de Francfort et Munich.
En revanche, à Berlin, Cologne, Düsseldorf, Hambourg et Stuttgart, c’est sa filiale low cost/hybride Eurowings qui assure la présence du groupe avec des coûts réduits et un service de bord simplifié. Un modèle que cherche désormais à reproduire Air France avec HOP et sa nouvelle venue, Joon, qui va récupérer dès cet hiver les liaisons de Paris CDG vers Barcelone, Berlin, Lisbonne, Madrid et Porto. Des lignes qui, si elles génèrent un fort volume de passagers, sont soumises à la concurrence féroce des compagnies à bas tarifs, tirant les prix vers le bas.
À travers les exemples d’Eurowings ou de Joon, on sent bien que le concept low cost continue d’étendre son influence. Au point de métamorphoser le modèle économique des compagnies traditionnelles comme Brussels Airlines, Aer Lingus ou SAS Scandinavian Airlines. Depuis plusieurs années déjà, ces transporteurs appliquent les bonnes vieilles méthodes des low cost sur leurs tarifs les plus bas, facturant l’enregistrement du bagage, la sélection du siège ou les prestations de bord.
On aurait pu penser que le low cost se contenterait de rafler la mise sur les lignes de point-à-point. Or, l’influence du transport à bas coûts s’immisce désormais dans ce que l’on considérait encore il y a peu comme le pré carré des compagnies classiques, à commencer par leur stratégie de hub.
En septembre dernier, un nouveau coup de tonnerre a secoué le transport aérien avec le lancement par easyJet d’une solution permettant de réserver un parcours mêlant vols court et long-courriers. Le produit “Worldwide by easyJet” organise, en un clic, des correspondances entre les lignes court-courriers d’easyJet et celles, long-courriers, de certains partenaires. Le programme reste cependant plus contraignant pour le passager que sur une compagnie traditionnelle en raison des temps de transfert, fixés à deux heures et demie minimum. En contrepartie, le passager est enregistré de bout en bout et voit son bagage transféré d’un vol sur l’autre, le service garantissant une place sur le vol suivant dans le cas d’une correspondance ratée.
Worldwide by easyJet a commencé par combiner des voyages au départ de Londres Gatwick grâce à des partenariats signés avec les compagnies Norwegian et Westjet (Canada), soit 16 destinations long-courriers – 14 en Amérique du Nord, en plus de Singapour et Buenos Aires – reliées au réseau très dense d’easyJet sur l’Europe et l’Afrique du Nord. Si Norwegian et Westjet sont également des compagnies à bas tarifs, easyJet ne compte pas en rester là. “Nous estimons chaque année que 70 millions de passagers sur les aéroports desservis par easyJet sont en fait des passagers en correspondance. Notre produit Worldwide by easyJet signifie que nous pouvons attirer de nouveaux clients sans remettre en question notre modèle économique”, décrit Peter Duffy, directeur commercial d’easyJet.
Coup de tonnerre “by easyjet”
Ce ballon d’essai devrait être rapidement suivi par l’intégration d’autres transporteurs, particulièrement du Moyen-Orient et d’Asie. “Nous souhaitons aussi inclure d’autres aéroports comme Amsterdam, Barcelone, Genève, Milan Malpensa ou Paris”, ajoute Peter Duffy. En ce qui concerne Paris, ce vœu sera réalisé dès décembre, puisque deux transporteurs français, Corsair et La Compagnie, sont devenus partenaires de la solution d’easyJet. “Ce nouveau partenariat nous ouvre des perspectives énormes en matière de connectivité, explique Pascal de Izaguirre. Notre réseau diversifié et international vient enrichir celui d’easyJet sur le moyen-courrier à Orly. C’est extrêmement prometteur.”
Le nouveau service d’easyJet intègre aussi la possibilité d’organiser des correspondances entre deux vols de la compagnie. La compagnie orange n’est d’ailleurs pas la première à offrir ce service, puisque Ryanair le propose en test depuis le mois de mai à Rome Fiumicino. Les passagers ont ainsi la possibilité d’organiser des connexions entre des lignes domestiques italiennes et quelques liaisons européennes. Ce qui existait d’ailleurs déjà en Asie, AirAsia ayant lancé il y a cinq ans un système de correspondances internes au groupe, avant que Jetstar, Cebu Pacific et Nok Air/Nokscoot ne suivent le mouvement.
Place au long-courrier
Cette évolution est liée à l’autre nouvelle conquête du low cost sur le transport traditionnel : les lignes long-courriers. On a longtemps pensé que le low cost ne pouvait se cantonner qu’aux liaisons court-courriers en raison de son modèle d’exploitation qui implique une utilisation intense des avions – entre 12h et 13 h de vol par jour – et des temps de rotation au sol très courts, de 30 à 45 minutes en moyenne. Erreur ! Selon un rapport du consultant Centre for Asia Pacific Aviation, 20 compagnies low cost long-courriers ont vu le jour en une décennie. Les pionniers furent Jetstar, filiale de Qantas, et AirAsia X, lancées respectivement en 2006 et 2007. L’Europe n’est pas en reste : 2012 a vu apparaître Norwegian en Scandinavie, puis Eurowings a commencé en 2015 à ouvrir des lignes long-courriers depuis Cologne et Düsseldorf, l’objectif de filiale de Lufthansa étant d’abaisser les coûts d’exploitation de 40% par rapport à sa maison mère.
C’est en 2016 qu’est née la première compagnie française long-courrier à bas tarifs, French Blue, positionnée pour l’instant sur les Caraïbes et la Réunion. Les deux derniers exemples en Europe sont Level, émulation du groupe IAG (British Airways et Iberia), qui a lancé cet été ces premières lignes depuis Barcelone vers l’Amérique. Et bien entendu, Joon. Officiellement filiale “hybride” du groupe Air France-KLM, ce transporteur va adopter certaines caractéristiques de service des transporteurs low cost dès l’ouverture de ses premiers vols intercontinentaux, au printemps prochain. Enfin, la prochaine livraison d’Airbus A320 à la compagnie turque Pegasus devrait également se traduire par une expansion du réseau du transporteur à bas tarifs en Asie, en particulier vers l’Inde.
En Europe, la star du low cost long-courrier reste incontestablement Norwegian. Déjà présente sur des lignes depuis la Scandinavie vers l’Amérique du Nord et l’Asie, la compagnie a pris un virage en 2014 avec ses premières liaisons long-courriers depuis le Royaume-Uni. En 2016, le transporteur s’est positionné sur l’axe Paris/états-Unis tandis que 2017 a vu le transporteur lancer des vols long-courriers depuis Barcelone et cinq villes du Royaume-Uni et d’Irlande, hors Londres. Au second trimestre 2017, Norwegian connectait 12 villes d’Europe à 18 villes d’Amérique et d’Asie ! Et la compagnie annonce d’autres évolutions…
Car on est loin d’en avoir fini avec le phénomène des compagnies à bas tarifs… Dans son rapport annuel, le PDG de Norwegian Airlines, Bjørn Kjos, explique “que la croissance de la population et la globalisation continuent de créer plus de demande pour le transport aérien”. Et de prévoir la prochaine révolution : “La mise en service du Boeing 737 MAX 8 et de l’Airbus 321LR dans les prochaines années démontrera que nous pourrons créer de nouveaux marchés et déstabiliser l’industrie. Le long rayon d’action de ces appareils ouvre de nouvelles opportunités, permettant d’envisager des lignes aériennes intercontinentales depuis des villes plus petites et à des prix abordables. Qui voudra alors encore partir autour du monde via un hub global ?” Le trait est un peu forcé, mais il est vrai que l’utilisation d’avions de petite capacité, à faible coût d’utilisation, risque de changer la donne. Toulouse-New York ou Nice-Bombay demain ne sera plus une utopie.
Compagnies low-cost long-courrier en 2017 | ||||
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Compagnie aérienne | Filiale ou Groupe | Année de lancement | Type d’appareil | Pays de présence |
Jetstar | Qantas | 2006 | B787-8 | Australie/Singapour |
AirAsia X | AirAsia | 2007 | A330-300 | Malaisie |
FlyDubai | – | 2009 | B737-800 | E.A.U. |
Scoot | Singapore Airlines | 2012 | B787-8/9 | Singapour |
Norwegian Air | Norwegian | 2012 | B787-8/9 | Scandinavie, France, Espagne, Royaume-Uni |
Air Canada | Air Canada | 2013 | B767-300ER | Canada |
Cebu Pacific | Cebu Pacific | 2013 | A330-300 | Philippines |
Jin Air | Korean Air | 2014 | B777-200 | Corée du Sud |
Azul | Azul | 2014 | A330-200 | Brésil |
Thai AirAsia X | AirAsia | 2014 | A330-300 | Thaïlande |
NokScoot | Singapore Airlines | 2015 | B777-200 | Thaïlande |
Lion Air | Lion | 2015 | A330-300 | Indonésie |
WestJet | WestJet | 2015 | B767-300ER | Canada |
Beijing Capital | Hainan Airlines | 2015 | A330-200/300 | Chine |
Eurowings | Lufthansa | 2015 | A330-200 | Allemagne |
Indonesia AirAsia X | AirAsia | 2016 | A330-300 | Indonésie |
Wow Air | Wow | 2016 | A330-300 | Islande |
French Blue | Air Caraïbes | 2016 | A330-300/A350 | France |
Level | IAG | 2017 | A330-200 | Espagne |
JOON | Air France-KLM | 2017 | A340/A350 | France |
Source: CAPA – Centre for Aviation.
Trafic passagers low-cost sur les principaux aéroports français en 2016 | ||
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Aéroports | Total Passagers low-cost | Part de marché low-cost sur le trafic passagers total |
Paris-Orly | 11161725 | 36,00 % |
Paris-CDG | 8040618 | 12,00 % |
Nice Côte d’Azur | 5079749 | 41,00 % |
Bâle-Mulhouse | 5034763 | 70,00 % |
Paris-Beauvais | 3955896 | 99,00 % |
Lyon Saint Exupéry | 3099148 | 32,00 % |
Nantes Atlantique | 2880232 | 60,00 % |
Toulouse Blagnac | 2600464 | 32,00 % |
Bordeaux Mérignac | 2562204 | 44,00 % |
Marseille-Provence | 2130277 | 25,00 % |
Source : Union des Aéroports Français.