
A quelle évolution du marché doit répondre le partenariat annoncé le 5 octobre entre SAP Concur et VoyagExpert ?
Sébastien Delannoy – Il y a quelques années, deux schémas distincts cohabitaient au sein des organisations : d’un côté le travel, avec les agences de voyages, les directions achats qui géraient cette activité en interne, et de l’autre l’expense, la note de frais, gérée par les services financiers, avec un prisme comptabilité, ROI… A partir de 2017-18, on a vu s’opérer un rapprochement. C’est la génèse de ce partenariat annoncé aujourd’hui, car nous cherchons bien sûr à coller aux évolutions de nos clients et même à les anticiper. Or chez nos clients, les deux sujets ont été amenés à être combinés. Des appels d’offres qui ne concernaient initialement que le travel ont imbriqué des éléments liés à la note de frais, et inversement. Nous avons donc évolué dans notre gestion des partenariats.
Pourquoi avoir choisi VoyagExpert ?
Sébastien Delannoy – Nous nous sommes posés la question il y a un an et demi : quel type de partenariat permettrait de faire sens chez nos clients qui se sont structurés en conséquence, et de présenter un front uni ? Nous avons audité les agences de voyages, des grands réseaux internationaux aux structures plus locales, et nous avons constaté assez rapidement que malheureusement ce n’est pas tout à fait le même monde en termes d’offre de service et de proposition. Nous nous sommes donc orientés vers VoyagExpert pour quelques raisons évidentes : l’agence avait déjà développé énormément de compétences autour de Concur. VoyagExpert avait embarqué un outil pour réserver les déplacements, et en avait fait une véritable expertise autour de l’IT, du logiciel et de la gestion de transformation des déplacements pour ses clients. Cela l’a amené à gagner des comptes importants. Il y a aussi la certification, et l’investissement dans la formation des collaborateurs. C’est un vrai point fort, car offrir un point sur lequel peu de gens sont certifiés, et d’amener de la qualité au client final nous aurait décrédibilisé rapidement. VoyagExpert combinait ces différents critères, et cela nous permet finalement d’amener un partenariat qui est beaucoup plus en phase avec ce qu’attend le marché. Nous sommes convaincus que s’adosser à des partenaires comme VoyagExpert répond aux besoins d’aujourd’hui, mais surtout anticipe le besoin de demain.
Concur évoque une « première mondiale ». La portée de l’événement, qui ressemble à une simple extension de votre partenariat à une nouvelle « brique », est-elle vraiment si considérable ?
Sébastien Delannoy – C’est une première dans le sens où nos grands réseaux d’agences mondiaux, qui représentent un volume d’affaires immense, comme American Express GBT, BCD Travel ou CWT, n’ont pas ce positionnement. C’est effectivement l’ajout de la brique notes de frais à celle du travel qui était déjà utilisée, car c’est la brique « naturelle » pour les agences de voyages. Mais c’est la première fois au sein du groupe qu’une agence, et a fortiori une agence locale, est en capacité de porter une offre globale sur toutes les plateformes, dans toutes les régions du monde. Et ça, même nos plus grands réseaux d’agences ne l’ont pas. C’est en ce sens que l’évolution du partenariat est importante.
Ce partenariat est-il donc révélateur d’une évolution profonde de la demande ?
Sébastien Delannoy – Jusqu’à maintenant, le travel était jugé comme une commodité au sein des organisations. Aujourd’hui, notamment en France, il est de plus en plus jugé comme il doit l’être : une brique au sein d’un projet de transformation digitale. Dans ce projet, il y a les éditeurs, c’est naturel, mais il y a des acteurs qui n’étaient pas considérés comme légitimes jusque là, dont les agences de voyages, qui sont maintenant impliqués. Il y a cinq ou six ans, un acteur proposant du service sur la note de frais, en particulier une agence, était perçu comme complètement illégitime. Aujourd’hui ces acteurs commencent à prendre leur place sur ce dossier parce que la gestion du travel & expense a véritablement évolué au sein des organisations.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du paysage concurrentiel, avec les acquisitions d’American Express GBT, l’intégration d’Expensya avec Travelperk, ou le retrait de Sodexo au sein de Rydoo ?
Sébastien Delannoy – Dans beaucoup de cas, la consolidation que l’on peut observer concerne des agences de voyages intégrant de la technologie. Pour une raison simple : c’est ce qui est demandé par les organisations aujourd’hui. Une offre de service dans laquelle va être incluse une brique technologique. Il y a donc deux mouvements : des agences de voyages qui veulent intégrer, acquérir de la technologie, voire qui vont innover autour de cette technologie parce qu’elles veulent être une « TMCT », une Travel Management Company & Technology. En parallèle, beaucoup d’acteurs locaux, éditeurs de solutions de gestion de notes de frais, sont arrivés au bout d’un cycle. Ils se sont rendus compte que cela impliquait beaucoup d’investissement, de R&D, et la logique devient complexe quand on n’est pas adossé à un grand groupe. Et il y a un troisième type de mouvement : des acteurs qui étaient éloignés de ce secteur, à l’image du groupe Sodexo, qui stratégiquement a été particulièrement impacté par la crise dans le domaine de la restauration d’entreprise, et a réalisé que certaines acquisitions étaient assez éloignées de son ADN et a revu sa position. Nous avons choisi une approche mixée : le rapprochement avec les agences est de plus en plus évident, puisque c’était une commodité et cela devient une offre de service avec une brique technologique, et donc les acteurs naturels – même s’ils sont peu à remplir tous les critères – restent malgré tout les agences de voyages. Mais il y a une immense différence avec un mouvement opéré par exemple par American Express GBT : nous avons la conviction qu’être éditeur de logiciel est un vrai métier en soi. En ce qui concerne Concur, étant intégrés au sein du monde SAP, nous sommes aujourd’hui présents dans les directions financières, les direction achats, les directions générales, avec toute une suite de logiciels dont la brique travel & expense. Nous avons une très lourde capacité d’investissement, de recherche et développement sur ces produits. C’est d’autant plus crucial que les changements de modes de déplacements se sont sensiblement accélérés par rapport à ce qui se passait il y a une dizaine d’années.
D’autres partenariats sont-ils prévus à court terme ?
Sébastien Delannoy – Par définition, nous étudions tous les partenariats qui pourraient faire sens pour nos clients et pour le marché, dont nous essayons d’anticiper les évolutions. Nous sommes dans un secteur d’activité qui est arrivé au bout d’un cycle, et qui se reformate. Nous étudions beaucoup de partenariats, qu’il s’agisse de technologie, de service… Nous sommes en permanence en recherche de nouveaux partenaires, dès lors que ces partenariats apportent véritablement une valeur au marché et à nos clients.
Comment avez-vous traversé ces 18 moins, et comment avez-vous fait face à la chute des transactions travel & expense ?
Sébastien Delannoy – Le Covid nous a évidemment impacté, c’est un euphémisme… Mais nous avons rassemblé nos équipes en les recentrant sur nos priorités : le développement de l’activité, l’accompagnement des clients et leur satisfaction. Certaines de nos offres ont connu une accélération incroyable. En période de Covid, beaucoup d’entreprises se sont focalisées sur un élément fondamental : trouver ou retrouver de la trésorerie. L’une de nos offres inclut de la TVA récupérable, notamment à l’étranger, qui identifie au sein de l’activité des déplacements toutes les poches de récupération de TVA qui ne sont pas ou peu opérées par les entreprises. Avant la crise, c’était un sujet intéressant, prioritaire ou non selon les industries et les organisations. En période de crise, c’est devenu un élément fondamental pour identifier la moindre trésorerie récupérable. Nous avons donc connu une utilisation énorme de cet outil.
Beaucoup d’acteurs ont été amenés à se réorganiser, voire se réinventer pendant la crise. Quid de Concur ?
Sébastien Delannoy – Etre adossé au groupe SAP a permis à Concur de mieux résister à la crise, et nous avons réussi à dimensionner nos équipes pour accompagner au mieux nos clients. A tel point que nous en sommes sortis renforcés dans le lien que nous entretenons avec eux. Car nous avons été deux ou trois fois plus proches en termes de fréquence des contacts. Et nous avons pu confirmer, renforcer certaines organisations que nous commencions à expérimenter sur certains marchés, et qui s’en trouvent aujourd’hui pérennisées.
La reprise est-elle au rendez-vous, et le retour aux volumes pré-Covid se précise-t-il ?
Sébastien Delannoy – On peut faire des hypothèses, des projections, mais personne ne peut s’avancer sur un retour aux niveaux de 2019 ou 2018. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une reprise : c’est certain. Depuis le courant de l’année 2021, les organisations recommencent à se déplacer, à aller voir leurs partenaires, leurs clients. Plus de 60% des voyageurs disent mettre la pression sur leurs services internes pour autoriser à nouveau les déplacements. C’est un élément fort : certaines organisations ont pu sous-estimer le manque lié au fait de ne plus voir ces interlocuteurs. On ne peut pas tout faire en visioconférence, c’est une évidence. Il y a des signes très forts sur le marché européen, avec la tenue en présentiel du Business Travel Show et maintenant de l’IFTM Top Resa. Les événements reprennent, la reprise est relativement soutenue. Est-ce que ce sera linéaire, sinusoïdal ? Quel sera le point de croisement avec l’activité de 2019 ? Je ne le sais pas. Mais clairement chez nous il y a une reprise du marché, en particulier en France.
la visioconférence va faire baisser le volume des déplacements et des réunions en interne
A plus long terme, la visioconférence remplacera-t-elle certains voyages d’affaires ?
Sébastien Delannoy – Effectivement, la visioconférence va faire baisser le volume des déplacements et des réunions en interne. La réunionite est un phénomène très français : les entreprises faisait beaucoup de meetings internes, pas nécessairement avec des déplacements en avion ou en train. Cela va baisser, avec la volonté des salariés, et ce qu’ils ont découvert pendant la crise, en termes d’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, en termes d’utilité de ces réunions aussi… En revanche, alors qu’au début de la crise certains ont évoqué des baisses de déplacements au global d’un tiers voire de 50%, d’après les échanges que j’ai pu avoir au cours des dernières semaines, cela ne concernera pas les rencontres avec les clients. Après 18 mois de rencontres à distance, les organisations ont tiré le bilan et réalisé qu’on ne peut pas tout faire passer par de la visio. Et quand il y a des négociations, un nouveau partenaire, il faut voir son interlocuteur.
Alors que l’IFTM Top Resa débute ce mardi, quel sentiment prédomine : l’impatience, l’incertitude ?
Sébastien Delannoy – C’est une très bonne nouvelle pour le marché, pour tous les acteurs qui travaillent dans le secteur du voyage d’affaires. Il y a une vraie envie de retrouver le contact avec nos clients, nos partenaires, les intervenants du marché. Il y a donc plus d’impatience que de fébrilité !