
Peur sur les villes. Sous l’inévitable effet du changement climatique, de nombreuses mégapoles côtières – New York, Miami, Shanghai, Mumbai ou Bangkok entre autres – tremblent à l’idée d’être emportées un jour par la montée des eaux. Les scientifiques les plus pessimistes parient même sur la disparition de plusieurs grands pôles d’affaires au début du siècle prochain. La hausse du niveau de la mer pourrait atteindre au minimum 30 cm à 60 cm d’ici 2100, selon le dernier rapport du GIEC publié en septembre, le tout s’accompagnant d’un riant cortège de cyclones, d’inondations et d’épidémies.
Mieux vaut donc prévenir qu’avoir un jour à guérir. Ainsi Miami a reçu l’approbation de sa population pour émettre 400 millions de dollars d’obligations afin de financer des projets allant de la surélévation des routes à des stations de pompage adaptées aux flots ravageurs. à New York, alors que l’ouragan Sandy de 2012 est encore dans les mémoires – métros inondés, courant coupé, vols annulés pour des dégâts estimés à 19 milliards de dollars –, on se prépare aussi à faire face à des événements climatiques dévastateurs. 500 millions de dollars devraient être investis pour protéger Manhattan avec, parmi les idées avancées, un barrage contre l’Atlantique gonflable, un mur de protection au sud de Battery Park et des kilomètres de dunes et de digues.

De son côté, la Chine, la plupart de ses grandes métropoles étant régulièrement inondées, teste le concept de “villes éponges”. Cette stratégie vise à rendre les terrains urbains capables d’absorber ou de réutiliser les deux-tiers des eaux pluviales. Ce qui passe par des rues aux pavés perméables, des étangs artificiels et des terres-pleins arborés pouvant stocker les trombes d’eau en excès. Cependant, face aux risques potentiels, d’autres préfèrent la fuite. C’est ainsi qu’en Indonésie, alors que Djakarta s’enfonce inexorablement et pourrait se retrouver au tiers submergé d’ici 2050, la présidence a trouvé un site où installer une nouvelle capitale à partir de 2024. Au milieu de la jungle de Bornéo !
Pourtant, contre vents et marées, il faudra bien qu’elles redeviennent vivables toutes ces mégapoles, puisqu’à n’en pas douter, elles continueront d’être le moteur de l’économie mondiale. Pour fédérer les initiatives, près de 100 villes parmi les plus importantes au monde se sont regroupées au sein de l’association C40. Car ces grandes cités, à l’origine des problèmes en consommant près des deux tiers de l’énergie mondiale, se doivent d’être porteuses de solutions.
Si les villes d’affaires leaders sont contraintes de revoir leur modèle face à l’urgence climatique, elles sont mises au défi de se réinventer sous peine de perdre de leur attractivité.
Comme souvent en matière de développement durable, l’exemple vient d’Europe du Nord avec des villes qui se donnent les moyens d’accorder croissance et résilience à grand renfort de mobilités douces, de jardins urbains et de politiques ambitieuses. Centre-ville sans voiture et vélopartage à Oslo, toits végétalisés obligatoires pour les nouveaux immeubles à Copenhague afin de développer la biodiversité, immeuble de bureaux le plus efficace au monde et autonome en énergie à Amsterdam – The Edge, dans le quartier d’affaires de Zuidas – : pour être vertes, ces villes n’en sont pas moins dynamiques économiquement avec, d’un côté, de grandes entreprises et, de l’autre, tout un vivier de petites sociétés engagées dans l’amélioration du quotidien.
De la même manière, Stockholm est de longue date engagée dans la transition écologique avec la mise en place de bonnes pratiques. Mais la ville est surtout passée maître dans la réhabilitation durable de ses anciennes friches industrielles. Après l’éco-quartier d’Hammarby Sjöstad il y a dix ans, la capitale suédoise développe une nouvelle vitrine de ses engagements, le Stockholm Royal Seaport, dont la construction a débuté en 2012 et court jusqu’en 2030.


Pistes cyclables et biofuel
Parmi les plus grands projets urbains en Europe, cette ancienne zone portuaire a déjà vu fleurir des bâtiments connectés pour une meilleure maîtrise de la dépense énergétique, un réseau souterrain de récupération des déchets et une usine de biocombustibles, le tout dans une verdure à foison. Dans l’air du temps, ce cadre est amené à accueillir 35 000 employés et 12 000 logements. Le projet sert aussi de pilote aux leaders de l’industrie locale comme ABB et Electrolux et aux universités comme le Royal Institute of Technology pour envisager l’urbanisme de demain.
En centre-ville, la Norrsken House, un cluster créatif hébergé dans un ancien dépôt de tram, s’intéresse aux moyens technologiques de rendre le monde plus vivable. Créé par Niklas Adalberth, un des fondateurs de la banque en ligne Klarna – une des cinq “licornes” nées à Stockholm avec Skype, Spotify et les éditeurs de jeu King et Mojang –, ce vaste espace de coworking s’inscrit à sa manière dans une scène high-tech ultra dynamique. Alors qu’un cinquième de sa population travaille dans le secteur, Stockholm recense en effet plusieurs grands hubs d’innovation comme Sup46 et The Factory, mais aussi des start-up prometteuses, pour certaines impliquées dans une vraie qualité de vie à l’image de la plate-forme de téléconsultations médicales Kry ou de Noomi et ses bracelets connectés pour simplifier le quotidien des personnes âgées.
Nous, futurs travailleurs, sommes prêts à questionner notre zone de confort pour que la société change profondément.
Manifeste pour un réveil écologique
“Stockholm, Amsterdam, Copenhague ont changé les modes de vie, limité le nombre de voitures, soutenu les mobilités alternatives. Cela pousse à développer les nouvelles technologies, remarque Vladislava Iovkova, directrice de l’entité de conseil Strategy& de PwC. Certes, il est plus facile, à petite échelle, de chercher des solutions sur l’économie circulaire qu’à Paris, mais au final, les grandes villes historiques se retrouvent un peu à la traîne.”
Si les villes d’affaires leaders sont contraintes de revoir leur modèle face à l’urgence climatique, elles sont également mises au défi de se réinventer sous peine de perdre de leur attractivité vis-à-vis des nouveaux diplômés. Une attractivité qui ne se mesure plus seulement à l’aune de leur rayonnement économique, mais aussi à partir de critères liés à la durabilité, à la qualité de vie ; en gros, sur l’ajustement entre valeurs profondes et activité professionnelle.
Il n’y a qu’à voir la réceptivité des jeunes générations aux discours de Greta Thunberg et au mouvement Flygskam – la “honte de prendre l’avion” – ou encore le “manifeste pour un réveil écologique” signé en France par 30 000 étudiants à l’initiative d’élèves d’écoles aussi réputées que HEC, Polytechnique ou l’École normale supérieure. Le message de ces futurs décideurs : “Nous sommes prêts à questionner notre zone de confort pour que la société change profondément. Nous souhaitons profiter de la marge d’action dont nous bénéficions en tant qu’étudiants en nous tournant vers les employeurs que nous estimerons en accord avec nos revendications.”
“Prenons l’exemple de Berlin. Les millenials considèrent cette ville comme agréable à vivre, avec de la verdure, aucun danger, relate Bruno Lunghi, avocat associé au sein de PwC. Ces commentaires reviennent souvent chez les jeunes que nous recrutons aujourd’hui.” Ce qui amène l’associé à s’interroger : “les villes de demain ne seraient-elles pas celles qui ont une densité de population moindre et peuvent être gérées autrement que les mégapoles ?”
Sans doute n’est-ce pas un hasard, avec tous les millenials qui participent à son effervescence, de voir San Francisco figurer parmi les villes les plus éco-responsables. Sa politique “zéro déchet en 2020” a fait d’elle une référence en matière de recyclage et d’économie circulaire. La tour Salesforce, nouveau plus haut gratte-ciel de la ville, incarne aussi cet esprit, étant une des premières à mettre en place le recyclage des eaux “noires” – celles issues des toilettes –, en plus d’un système de climatisation alimenté par l’air extérieur. En parallèle, ce campus vertical dispose d’espaces et design, comme on les fait aujourd’hui dans tous les quartiers montants. Un mix entre conscience écologique et bien-être au travail en adéquation avec l’ambition du building : “être une destination digne d’attirer les plus brillants talents du monde”.

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