
Depuis l’an dernier, les équipes d’Accor en Europe du Nord réunissent leurs principaux clients corporate lors des Masters of Travel, dont la deuxième édition a eu lieu fin mai à Francfort. Quelle sont les raisons qui vous ont poussé à organiser cette rencontre ?
Sophie Hulgard – Le Covid a accéléré certaines tendances, les besoins des entreprises ont évolué. On s’est posé beaucoup de questions pendant la pandémie, on a entendu beaucoup de choses. Par exemple, que le voyage d’affaires ne reviendrait jamais à la hauteur de ce qu’il était en 2019, que les entreprises avaient pris des habitudes de travail en virtuel qu’elles ne changeraient plus, qu’elles comptaient voyager moins pour sauver la planète. D’où cette initiative, pour mieux comprendre où nous en sommes, de rassembler le management de nos grands comptes en Europe du Nord ; des acteurs phares de la pharmacie, du conseil, du divertissement, de l’ingénierie ou du BTP venant d’Allemagne, d’Autriche, de Suède, du Royaume-Uni et de Pologne notamment.
Quels enseignements avez-vous tiré de cette rencontre cette année ?
S. H. – Première conclusion, et qui corrobore ce qui se disait depuis le début de la pandémie, nous perdrons probablement à tout jamais 20% des voyages d’affaires. Et cela, parce qu’ils seront remplacés par des moyens virtuels ou, tout simplement, parce qu’on s’aperçoit qu’ils ne sont pas nécessaires. Cette idée de « purpose of travel » est revenue de façon récurrente lors de notre réunion. Tous nos clients mettent aujourd’hui en place des politiques voyages demandant à leurs collaborateurs d’y réfléchir à deux fois avant d’entreprendre un déplacement.

Pourtant, les derniers chiffres publiés par les groupes hôteliers, les compagnies aériennes ou encore par Mastercard montrent une réelle reprise des voyages d’affaires. N’est-ce pas contradictoire avec cette baisse annoncée ?
S. H. – C’est vrai, la reprise est là et nous avons même été surpris par sa rapidité. Dès que les frontières se sont rouvertes, on a vu des pics extraordinaires, bien plus élevés que toutes nos prévisions. L’envie de voyager est là. Le trafic domestique est largement au niveau de 2019, la clientèle des pays limitrophes est présente dans nos hôtels, même si ça ne suffit pas à entièrement contrebalancer l’absence des voyageurs d’affaires américains et asiatiques, qui, quand ils reviendront, nous permettront de remonter aux niveaux de 2019. En ce qui concerne la demande meetings & events, nous sommes déjà revenu à ce stade et, depuis quelques semaines, nous voyons arriver des demandes de réservation de séminaires de plus de 200-300 personnes pour 2023. On sent que les entreprises se sont remises à planifier et budgéter leurs événements. Après, on sait que tout cela va se stabiliser, mais à quel niveau ? Il est encore difficile de le savoir. Ceci étant, l’hypothèse de 20% de déplacements professionnels en moins reste la plus probable.
A côté de cette perte attendue, l’hypothèse avait été faite pendant la pandémie que les voyages d’affaires seraient sans doute moins nombreux, mais plus longs à l’avenir. Est-ce le cas selon vous ?
S. H. – En ce qui concerne le nombre de nuitées générées par les voyages d’affaires, nous n’avons pas constaté de gros changements pour l’instant. Lors des échanges avec nos clients, nous avons évoqué cette possibilité de ne faire qu’un seul voyage de trois jours au lieu de trois d’un seul jour, entre autres pour limiter le nombre de trajets en avion. Pour être franche, ils n’en sont pas encore là. Ils trouvent tous que c’est une bonne idée, mais personne ne l’a intégré à sa politique voyages.
Nous voyons arriver des demandes de réservation de séminaires de plus de 200-300 personnes pour 2023. On sent que les entreprises se sont remises à planifier et budgéter leurs événements
Cependant, les voyages d’affaires intercontinentaux, qui commencent à reprendre, pourraient-ils être plus propices à des déplacements de plus longue durée ?
S. H. – Il faut déjà reconnaître que ces voyages ont toujours eu tendance à être plus longs. On ne va pas à New York ou San Francisco pour un ou deux jours. Mais, en ce qui concerne ces déplacements, nous sentons que le week-end pourrait être de plus en plus intégré aux voyages d’affaires, ce qui permet en outre d’avoir des billets moins chers. Cette évolution du bleisure, nous avons commencé à la constater. Mais, comme les voyages long-courriers viennent tout juste de reprendre comme vous le dites, nous n’avons pas une base énorme pour faire des analyses plus poussées. Nous verrons si cette tendance s’installe à l’avenir.

Alors que le bleisure n’était pas toujours très bien vu par les entreprises, pensez-vous que la pandémie a changé leur regard sur ce point ?
S. H. – De la même manière que vis-à-vis du télétravail, il y a un changement des mentalités sur ce point. Les entreprises sont beaucoup plus souples et s’adaptent à la volonté des voyageurs de voyager différemment, de vivre différemment. Au début, un certain nombre d’entreprises n’était pas tellement ouvert au bleisure, elles demandaient un respect strict de la politique voyages. Aujourd’hui, on sent clairement que le voyageur a des droits et que les entreprises assouplissent leur position et considèrent même le bleisure comme un avantage pour satisfaire les attentes de leurs employés.
A côté de ces tendances, vous avez certainement dû aborder avec vos clients un sujet d’actualité : l’inflation et la croissance des tarifs des hôtels qui, depuis plusieurs mois déjà, ont dépassé les niveaux de 2019. Comment voient-ils cette hausse des coûts ?
S. H. – Nous avons été surpris de constater que les entreprises voyaient cette augmentation des tarifs de façon tout à fait naturelle. Sans doute parce qu’elles sont elles-mêmes confrontées à des coûts élevés de l’énergie ou à la croissance des salaires. A partir de là, nous avons ouvert le débat sur la façon de compenser cette augmentation. Par exemple, alors que la saison des RFP va débuter, nous allons proposer des solutions intelligentes avec des réductions pour des séjours plus longs. Pour nous, un séjour de trois nuits représente certains avantages, entre autres l’absence de recouche à faire. Donc, nous pourrions reporter cet avantage sur le tarif de nos clients de manière à compenser la hausse des tarifs. Mais il y aura une hausse, c’est sûr.
A n’en pas douter, une large part de vos discussions ont dû tourner autour de l’autre grand sujet du moment, l’éco-responsabilité.
S. H. – En effet, énormément de questions ont abordé ce sujet. Nos clients ont des besoins pressants en matière de RSE. D’où la nécessité de bien comprendre leurs attentes et de leur expliquer ce que nous faisons de notre côté. Accor a été par exemple le premier groupe à annoncer l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. Nous avons fait beaucoup de choses depuis longtemps, d’autres sont en cours, notamment le bannissement des plastiques à usage unique dès la fin de cette année, mais nous n’avons pas encore rendu cela très visible en attendant que tout soit bien structuré.
S’il y a un point sur lequel les entreprises envoient un SOS énorme, c’est sur l’évaluation de la dépense carbone de chaque voyage
Quelles sont les attentes des entreprises vis-à-vis d’un groupe hôtelier comme le vôtre ?
S. H. – S’il y a un point sur lequel les entreprises envoient un SOS énorme, c’est sur l’évaluation de la dépense carbone de chaque voyage. Aujourd’hui, compenser les émissions carbone ne suffit plus, il faut trouver les moyens de la réduire. Pour y arriver, nos clients nous demandent de pouvoir leur donner la dépense carbone hôtel par hôtel, selon des critères précis et non des moyennes approximatives. Et aussi de rendre cette empreinte visible par les voyageurs afin qu’ils puissent faire un choix allant dans le sens des objectifs RSE de son entreprise.
De nombreuses initiatives ont été prises récemment pour aider les entreprises à mieux appréhender l’empreinte carbone de leurs déplacements, notamment par HRS avec son label Green Stay ou par American Express Cartes avec des tableaux de bord étoffés. Comment l’hôtellerie se saisit-elle de ce point crucial pour les entreprises ?
S. H. – C’est un des gros challenges de l’industrie toute entière pour les années à venir. Si chacun se lance dans le développement de sa propre solution, les clients auront au final des difficultés à s’y retrouver. De ce fait, Accor travaille avec les autres chaînes – en particulier notre Chief Sustainability Officer, Brune Poirson, qui connaît très bien toutes ces problématiques – pour créer des standards globaux et qui soient auditables. Il ne suffit plus de dire « moi je fais ci », « moi je fais ça ». Il faut pouvoir le prouver, avec un contrôle identique pour tous. C’est un travail en commun de longue haleine, mais obligatoire.

Cette évaluation de l’empreinte carbone est-elle aussi essentielle pour le segment MICE ?
S. H. – En la matière, on propose déjà le « net zero carbon calculator », un système qui calcule la dépense carbone d’une réunion dans tel ou tel hôtel. Et cela, selon la taille de la salle de réunion et le nombre de participants, mais aussi leur façon de venir à l’hôtel, par train, voiture ou en avion. A partir de ce calcul, ils peuvent compenser de manière immédiate l’empreinte de l’événement avec l’ONG myclimate avec qui Accor travaille. D’ailleurs, les Masters of Travel et toutes les réunions internes de notre groupe sont entièrement compensées de cette façon. Cette solution plaît beaucoup aux entreprises, mais, comme elles nous le disent, ce n’est plus assez. Il faut prendre des décisions pour réduire la dépense carbone et donc, pouvoir choisir tel ou tel hôtel en connaissance de cause.
Cela pourrait-il avoir un impact à l’avenir sur le choix des destinations ?
S. H. – Il nous est arrivé de calculer l’empreinte carbone d’une réunion pour un client qui hésitait entre Dubaï et une destination européenne. Et, quand on a fait ce calcul, ils ont tout de suite abandonné l’idée de Dubaï pour se tourner vers la destination européenne. En prenant en compte le transport aérien, la différence était tellement impressionnante qu’ils ne se sont même pas permis de proposer cette idée à leurs collaborateurs. Je pense qu’on verra de plus en plus les entreprises se tourner vers des destinations alternatives aux destinations « soleil ». Par exemple, la Croatie ou l’Espagne en Europe, ou alors elles iront essayer autre chose, pêcher dans la glace dans le grand Nord et autres choses de ce genre, sans aller aussi loin qu’auparavant. Ce qui va permettre à d’autres destinations de se développer et qui peuvent être intéressantes pour le MICE.