Pékin : cap sur l’innovation

En cinq ans, l’industrie lourde a disparu de Pékin. À sa place, la Silicon Valley chinoise s’affiche comme leader des nouvelles applications et du e-commerce.
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Imaginez un Paris urbanisé de Melun à Rouen : voici Pékin !”, décrit Jean-Philippe Dufour, conseiller développement durable et transports à la Mission économique de l’ambassade de France à Pékin. Ville polycentrique de près de 23 millions d’habitants, Pékin est aussi polymorphe, architecturalement éclectique ; des bâtiments de Rem Koolhaas, Zaha Hadid ou Paul Andreu côtoyant aussi bien d’épouvantables tours de béton de l’ère maoïste que de charmantes ruelles traditionnelles – les hutongs – et même un gratte-ciel de 528 m et 120 étages, la China Zun Tower.

Par temps clair, depuis cette jungle urbaine aux avenues larges comme des terrains de football, on aperçoit la nature au loin, et les montagnes sur le dos desquelles court la célèbre muraille. C’est qu’en peu de temps, Pékin a délaissé ses industries manufacturières trop polluantes au profit de l’innovation comme le préconise, depuis 2016, le 13e plan quinquennal. Car, si la capitale chinoise reste avant tout le centre du pouvoir et des administrations, elle n’en est pas moins devenue la ville au monde où l’on dépose le plus de brevets par habitant.

La Chine veut prendre le leadership dans différents domaines. Dans celui du véhicule électrique par exemple, elle est passée de 1 % à 3 % du marché mondial entre 2015 et 2017”, poursuit Jean-Philippe Dufour. Dans cette course au renouveau économique, la technopole de Zhongguancun, au nord-ouest, a joué un rôle crucial. “On y trouve entre autres le Google chinois Baidu, Lenovo, le premier fabriquant d’ordinateurs au monde qui a racheté la branche PC d’IBM, mais aussi les mobiles Xiaomi, Didi – le Uber chinois – ainsi qu’Ofo et Mobike, les start-up de vélos en libre-service”, continue le conseiller.

  • Les formes fluides des quatre tours du Galaxy Soho – vaste ensemble de bureaux, de commerces et de lieux de divertissement – sont apparues en 2012 au c?ur de la capitale chinoise. Dessiné en son temps par Zaha Hadid, ce complexe symbolise le nouveau lien très fort qui unit Pékin aux starchitectes mondiaux.
  • Si l’effervescence high-tech gagne le nord-ouest de Pékin, les affaires se concentrent toujours dans le quartier de Chaoyang, dominé par le China World Trade Center.

Silicon Valley pékinoise

Surnommée la Silicon Valley chinoise, cette technopole revendique la place de premier “parc scientifique” de Chine et gère aujourd’hui des terrains répartis sur l’ensemble de la municipalité, soit bien au-delà de son implantation originelle située près des universités de Beida et Tsing-hua. Aujourd’hui, pas moins de 25 000 entreprises, dont 90 % de PME, font partie de cette zone d’innovation. Des sociétés qui ont réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 720 milliards de dollars US, en majorité dans le domaine des technologies de l’information et de la communication. Et ce sont environ 10 000 “angel investors” qui assurent le financement d’un parc high-tech comptant plus de 300 entreprises cotées en bourse, dont un tiers à l’étranger.

Pourtant, en arrivant à Pékin, ce n’est pas ce qu’on pourrait imaginer. En descendant de l’avion, à peine se connecte-t-on à Internet que l’on constate ceci : rien ne marche. Plus de Facebook, Google, Whats-App, Viber ou autres Gmail… Tout est bloqué. Sans VPN, aucun espoir d’outrepasser les restrictions du gouvernement. Du coup, on le comprend rapidement, les Chinois naviguent sur d’autres voies de communication. WeChat, surtout, est devenu le Sésame de Pékin. “Ici, tout se fait via cette appli : on paie son taxi et ses factures, on règle sa note de restaurant, on appelle ses amis, on communique avec ses proches, on organise des conf’calls”, explique Thomas Courbière, directeur de la Chambre de commerce française de Pékin.

En d’autres termes, impossible de ne pas avoir WeChat en Chine, sorte de WhatsApp, Uber, Facebook, Amazon et carte bancaire regroupée en une seule et unique appli. En quelques années, WeChat est devenu un véritable phénomène. Plus besoin de se promener avec un portefeuille, on va jusqu’à acheter son kilo de pommes de terre à l’aide d’un QR code. “Lorsque Pékin prend des décisions, elle s’y tient. Il y a cinq ans, elle voulait devenir une ville entièrement digitale. En y mettant les moyens nécessaires, elle l’est en effet devenue”, constate le directeur de la Chambre de commerce.

Cependant, en raison de ces progrès, beaucoup de centres commerciaux construits au début des années 2000 et 2010 se voient désormais délaissées. “Le e-commerce augmente de 30 % par an. Et il pénètre même dans les campagnes, notamment grâce à des groupes comme Alibaba ou des sites de e-commerce de luxe”, explique Julien Bonnet, conseiller à la Mission économique de l’ambassade de France à Pékin. On parle même aujourd’hui d’une nouvelle Route de la Soie, la Virtual Silk Road, sorte d’autoroute digitale permettant aux Chinois d’exporter des biens de consommation à travers le monde grâce à des plates-formes multilingues. En 2017, dans plus de 200 pays, ce sont 140 milliards de dollars qui ont été dépensés pour des produits chinois vendus sur Internet, principalement via Amazon ou AliExpress. “La population de Pékin est jeune, c’est une ville qui bouge, avec de grandes universités installées sur des campus à l’Américaine, et cette population est un facteur important de l’innovation”, analyse Julien Bonnet.

Afin d’aider les entrepreneurs français, parfois dépassés par la rapidité d’évolution de ce marché, Laure de Carayon a lancé en 2011 China Connect, un événement européen dédié aux tendances de la consommation chinoise. Son objectif : faire le lien entre la Chine et l’Occident dans le secteur du digital et permettre aux investisseurs de comprendre les réseaux sociaux, les plates-formes de contenus, l’innovation technologique et la data made in China. “Il y a de plus en plus d’acteurs et l’accès à ce marché coûte de plus en plus cher. Le pouvoir d’achat est élevé, les Chinois sont sollicités par énormément d’enseignes locales performantes. C’est un marché excessivement compliqué, explique la CEO et fondatrice de China Connect. Il faut être opportuniste et agile par rapport à la Chine, avoir les reins solides, être réaliste, prudent, rapide, boulimique et de nature curieuse…

  • Si le quartier à la mode de Sanlitun reste toujours couru pour le shopping entre amies, les Chinois se mettent de plus en plus au e-commerce. Un phénomène de société soutenu par de grands acteurs tels Alibaba et WeChat.
  • Conçu par l’architecte français Paul Andreu, le Grand Théâtre National fait partie des grandes œuvres architecturales construites à l’occasion des Jeux Olympiques de 2008.

Big Brother

S’il est une chose à quoi les étrangers doivent aussi s’habituer, c’est la transparence des données. Les Chinois, eux, les donnent sans peur et ne craignent pas la reconnaissance faciale permanente, avec des caméras situées à chaque coin de rue. D’ailleurs, depuis quelques mois, une sorte de permis à point social et juridique vient d’être instauré, visant le comportement des citoyens et se basant justement sur les données collectées par ces nombreuses caméras. Si on se conduit bien, rien à craindre. Si, en revanche, on ne paie pas ses factures ou on agit en mauvais voisins, on se voit retirer, par exemple, le droit d’achat d’un billet de train ou l’accès à certains lieux. D’ores et déjà, 170 millions de caméras douées d’intelligence artificielle ont été installées dans les grandes villes du pays, et le chiffre devrait passer à 600 millions en 2020. Voilà, aussi, en quoi la Chine innove…

Parmi les autres aspects centraux du dernier plan quinquennal, l’écologie occupe une place centrale. À une centaine de kilomètres au sud de Pékin pousse actuellement une ville nouvelle, Xiong An, dans une zone marécageuse. Proclamée future mégalopole verte du XXIe siècle, elle est amenée à rivaliser avec Shenzhen et Pudong. Son rôle sera non seulement d’absorber les industries de Pékin non liées à ses fonctions administratives de capitale nationale, mais aussi d’attirer des sièges d’entreprises et d’institutions financières, tout en devenant un lieu d’excellence académique avec de nombreux établissements d’enseignement supérieur et instituts scientifiques et technologiques.

Xiong An s’imagine aussi en centre de l’innovation chinoise et en modèle de développement durable. Cependant, un an après le début des travaux de cette mégalopole qui devrait s’étendre sur 2 000 km2 – contre 100 km2 aujourd’hui –, les étangs restent toxiques, l’eau n’est toujours pas potable et la pollution de l’air et de la terre, gorgée de métaux lourds, demeure sévère. L’idée pourtant est là : celle d’un grand nettoyage et d’une ruée vers le vert… Et c’est peut-être aussi une nouvelle façon de désaturer Pékin, toujours plus peuplée sous l’effet de l’exode rural.

Haro sur la pollution

Construire de nouvelles villes permettrait donc d’en alléger d’autres ? En tout cas, les mesures entreprises pour faire de Pékin une ville plus verte, avec la fermeture de nombreuses usines, font leur effet. “Cet hiver a été fantastique, la ville semblait ne plus être polluée, remarque Thomas Courbière. Les entreprises qui quittaient Pékin à cause de cela reviennent petit à petit. Les indices de pollution atteignaient de tels niveaux que les expatriés américains ou japonais touchaient même des primes de risque.” Anthony Lopez, directeur business de la Chambre de commerce française de Pékin, le confirme, en expliquant que “le lycée français aurait perdu beaucoup d’élèves ces trois dernières années” et que “le nombre de nouveaux arrivants français aurait baissé de 30 % en cinq ans.

Pourtant, la Chambre de commerce reste la plus importante de Chine, avec 1 600 membres. “Depuis peu, nous acceptons aussi les entreprises chinoises qui veulent s’implanter en France et nous leur organisons des ‘learning expeditions’, car, pour elles, la France reste la fenêtre sur l’Europe”, poursuit Anthony Lopez. Les Chinois, qui ne jouissent pas d’une très bonne réputation en France, doivent donc apprendre à s’adapter culturellement s’ils veulent faire des affaires. Mais le mouvement est réciproque. En 2017, le groupe Galeries Lafayette a ostensiblement déployé WeChat Pay pour ses clients chinois. Les deux millions de touristes annuels venus de l’Empire du Milieu représentent un très fort potentiel. Actuellement, seuls 10 % des Chinois sont détenteurs d’un passeport. Ils seront 40 % d’ici quinze à vingt ans. À vos Wechat !