Nantes : voyage au centre des affaires

Rencontre avec Francky Trichet, adjoint au Maire de Nantes délégué à l’Innovation et au numérique

Francky Trichet est adjoint au Maire de Nantes, délégué à l’Innovation et au numérique. Il décrit les forces de la destination en termes d'innovation et de créativité, et livre sa conception du quartier d'affaires en version start-up.
Francky Trichet, adjoint au Maire de Nantes délégué à l’Innovation et au numérique

 Une culture du sérieux sans se prendre au sérieux

Comment expliquer le dynamisme économique nantais ?

Francky Trichet – On pourrait parler d’un alignement de planètes entre différents éléments. Il y a tout d’abord la qualité de vie qui nous est beaucoup enviée, avec la proximité de la mer, la nature en ville. C’est ce qui revient systématiquement de la part des entreprises, des collaborateurs et plus globalement des talents qui arrivent à Nantes. Nous avons aussi les compétences : quand les entreprises viennent s’installer ici, elles se demandent si l’environnement pourra soutenir leur croissance. Or nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur une grande diversité d’acteurs de la formation, que ce soit l’université et ses laboratoires, les écoles, dans différentes filières. Enfin, il y a l’état d’esprit, cette culture nantaise du sérieux sans se prendre au sérieux. Nous sommes très exigeants sur les projets que nous développons, la famille de l’innovation nantaise est très soudée, et nous l’entretenons avec beaucoup d’événements, d’initiatives. Cela plaît aux entreprises qui arrivent ici, cette culture de la bienveillance, de la courte échelle parfois, les anciens aidant les plus jeunes… Il y a aussi des lieux inspirants comme le Quartier de la création : quand vous allez chaque matin travailler à vélo et que vous voyez cette bulle créative, l’éléphant, ou bientôt l’arbre aux hérons, ce fil créatif que l’on tisse dans la culture avec le Voyage à Nantes mais aussi dans l’univers des start-up, du numérique, tout ça contribue à l’envie d’être à Nantes.

Est-ce un phénomène nouveau ?

F. T. – Il y a toujours eu cette tradition d’innovation. Notre slogan, “terre des audacieux”, surfe d’ailleurs sur l’imaginaire « julevernien »… Et puis avec la fin des chantiers naval, il a fallu se demander ce que l’on faisait derrière cette fermeture, et il y a eu cette volonté de le revendiquer pleinement. Il y a donc eu le quartier de la création, et plus globalement une volonté de miser sur les industries culturelles et créatives, sur le numérique, sur l’innovation pour être véritablement un territoire d’innovation, un territoire d’audacieux. L’accélération a donc eu lieu dans les années 90, puis tout à suivi : cela a imprégné toutes les strates de la vie nantaise. Ce pas de côté à la nantaise est devenu une marque de fabrique que tout le monde s’est approprié et revendique aujourd’hui.

Cette créativité, ce “pas de côté”, n’est pas sans rappeler Montréal…

Francky Trichet – C’est tout à fait vrai ! A tel point que nous mettons en place un partenariat avec Montréal. Nantes sera mise à l’honneur à l’occasion du prochain printemps numérique de Montréal en mai, et nous inviterons Montréal pendant l’événement Nantes Digital Week de septembre 2019. Nous sommes donc déjà en échange de partenariats. Le Quartier des spectacles et le Quartier de la création sont en lien, les Cantines sont en lien… Nous accélérons vraiment avec Montréal parce que nous avons une sensibilité commune, à l’image de nos Maires, deux femmes de la même génération. Cela influe sur les valeurs, les convictions.

Comment conçoit-on un quartier d’affaires dans l’esprit start-up ?

F. T. – Avant tout, on le fait avec les gens. Le politique était autrefois le bâtisseur, il est maintenant le catalyseur d’énergies. On ne peut plus concevoir un quartier sans avoir mobilisé les start up pour savoir comment elles s’imaginent travailler ensemble. On crée des lieux pour créer du lien. On essaie aussi d’anticiper des friches, de garder des espaces dans lesquels on n’a pas tout anticipé, au sein desquels l’histoire n’est pas encore écrite. Il n’y a rien de plus frustrant que de tout vouloir planifier à 5 ans, et de réaliser qu’il manque 600 m² pour mener à bien un nouveau projet différenciant. Il faut aussi des lieux de partage, ces “tiers lieux” qui peuvent être des Fab Labs, des Users Labs, des espaces de cocréation, des lieux de vie en rez-de-chaussée, dans lesquels les gens vont se rencontrer simplement, où il y aura une mutualisation pour qu’ils s’emparent d’un sujet. On l’a fait avec la Cantine numérique, qui était au départ une petite association. Les locaux ont brûlé, mais il y a eu un phénomène de résilience. Tout le monde a dit : “touche pas à ma Cantine !”, et on a bien vu qu’il fallait que l’on remette en place ce lieu emblématique par lequel beaucoup d’entreprises sont passées. C’est toujours le cas d’ailleurs : quand les entreprises arrivent à Nantes, elles passent souvent trois ou quatre mois à la Cantine. C’est important de sentir ces bonnes vibrations en s’installant dans une nouvelle ville, de sentir que ça bouillonne, qu’il y a beaucoup d’événements. Il faut donc garder des espaces événementiels qui relèvent du bien commun. Tous ces points de concentration, de création, de vibration, de friction créative, il est important de les étudier quand on pense à l’organisation d’un quartier.

Comment gérer l’équilibre entre grands groupes et start up dans un quartier d’affaires ?

Francky Trichet – Il faut faire des quartiers de vie, avec des lieux de friction créative qui font partie du bien commun et qui sont souvent gérés par des associations. Les grands groupes peuvent y envoyer leurs cadres pour aller “s’oxygéner l’esprit”. D’ailleurs, la théorie qui consiste à dire : “les grands groupes vont faire venir des start-up dans leurs locaux” n’est pas forcément la bonne. A force, cela risque d’assécher le vivier. Souvent, mieux vaut faire l’inverse : je conseille aux grandes entreprises d’envoyer leurs cadres, leurs équipes de management dans ces lieux là. Ce sera beaucoup plus profitable. D’ailleurs, il y a eu un basculement. Les grands groupes ont compris que les start-up n’avaient pas forcément envie d’aller dans leurs locaux. Il ne faut pas que les grands groupes viennent aspirer les start up dans leurs locaux. Il faut laisser ces lieux dans lesquels il y a un temps de maturation pour que les jeunes projets émergent, avec de la friction, de l’échange, un peu comme dans les couloirs d’une résidence étudiante. Il est bon d’avoir des start-up concentrées dans un même lieu : ça grouille, ça échange… Si l’on peut en plus avoir un accélérateur en interne c’est mieux. Nous avons Imagination Machine qui s’inscrit dans cette logique, qui apporte une autre culture, une forme de renouveau. Tout cela fonctionne un peu comme un centre de formation, un autre domaine dans lequel Nantes s’est distingué d’ailleurs. C’est un peu l’effet Canari : on aime bien accompagner nos jeunes pousses !

Le Quartier de la création et Euronantes incarnent deux conceptions très différentes du quartier d’affaires…

F. T. – Ce n’est pas la même histoire… Sur le Quartier de la création, nous avons pu revaloriser un patrimoine industriel, avec un petit côté “Station F”. Pour Euronantes, il n’y avait quasiment rien, il a fallu tout construire. C’est donc plus moderne, plus urbain, dans le sens d’un quartier d’affaires classique. Mais Euronantes est situé à proximité de  la gare, ce qui est un avantage non négligeable pour les entreprises, et du quartier de la création. Le quartier va prendre vie : il faut laisser le temps au temps, pour qu’une alchimie se produise… Bien sûr, Euronantes est moins bouillonnant que le Quartier de la création, et ce n’est pas le genre d’endroits où l’on installerait l’équivalent de La Cantine. Mais il y a des entreprises qui jouent un peu ce rôle à leur manière, comme iAdvize, une belle start-up nantaise.

Les Nantais se retrouvent-ils dans cette ville en transformation ?

Francky Trichet – Les Nantais adorent voir leur ville se transformer avec ces axes que constituent l’innovation, la créativité et la nature en ville. Evidemment, certains quartiers se gentrifient. C’est le cas dans toutes les métropoles qui se transforment, mais nous sommes très vigilants, nous mélangeons les usages, en intégrant 25% de logement sociaux dans les immeubles. De toutes façons, s’il n’y a plus de mixité, il n’y a plus d’écosystème fertile. La mixité est primordiale. Une ville meurt si il y a une consanguinité intellectuelle, une gentrification trop forte. Il faut de la mixité, des friches contrôlées, pour qu’une ville reste créative.

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