Interview : Philippe Guibert, directeur médical régional d’International SOS

Vaccins, passeport numérique : Philippe Guibert précise les conditions de la reprise des voyages sur le plan sanitaire. Le directeur médical régional Consulting santé d'International SOS évoque aussi la vulnérabilité des entreprises et de leurs collaborateurs face à la pandémie.
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Dr Philippe Guibert, directeur médical régional Consulting santé pour International SOS.

Avec l’arrivée des vaccins, est-ce le début de la fin de la pandémie ?

Dr Philippe Guibert – On n’en est qu’au tout début de l’histoire. Si les premiers vaccins se révèlent aussi efficaces que les études préliminaires le montrent, et si les pays organisent des campagnes de vaccination appropriées, on ne commencera à en voir les résultats qu’au bout de quelques mois. Il faudra du temps avant qu’une protection se développe sur le plan individuel, puis collectif à l’échelle d’un pays, puis d’une région, et enfin à l’échelle mondiale.

Selon vous, ces nouveaux vaccins pourraient-ils comporter certains dangers ?

P. G. – On est confiant dans cette avancée. Rien ne laisse à penser que des raccourcis sont pris pour favoriser le business au détriment de la santé et de la sécurité. Ceux qui ont été retenus par l’Union Européenne et la France proviennent de laboratoires qui ne prendront pas, a priori, de risques inconsidérés avec leurs produits. Maintenant que les demandes de mise sur le marché ont été déposées, les instances de régulation vont faire leur travail.

La vaccination va-t-elle favoriser le redémarrage des voyages à l’international ?

P. G. – Les vaccins vont participer la reprise des déplacements, mais ce n’est pas le seul élément à notre disposition. Les tests qui permettent de déterminer en quelques minutes si une personne est contagieuse sont une autre aide majeure. Avec une série de tests positionnés au bon moment – par exemple, un test PCR 72 h avant le départ, puis un test rapide à l’aéroport et un autre à l’arrivée – , on peut s’assurer qu’une personne entrant sur un territoire n’est pas porteuse du virus et peut être exempte de quarantaine. Des expérimentations sont en cours sur certaines lignes aériennes. Après cette phase pilote, on peut s’imaginer qu’à terme, des protocoles de la sorte seront largement mis en place. Tout cela, couplé à un passeport sanitaire numérique pouvant témoigner de ces tests négatifs, pourrait permettre de reprendre les voyages en confiance, sans attendre l’effet de la vaccination.

Les vaccins vont participer la reprise des déplacements, mais ce n’est pas le seul élément à notre disposition.

Quelles formes pourraient-prendre ces passeports sanitaires numériques ?

P. G. – Appuyés sur la technologie blockchain, des passeports sanitaires numériques permettront de justifier à n’importe quelle autorité administrative que son possesseur a bien été testé dans un laboratoire accrédité. Le tout avec une information inviolable, mais sans partager la moindre information médicale confidentielle la concernant. C’est un sujet sur lequel International SOS travaille en développant AOK Pass, un passeport sanitaire numérique pour faciliter la reprise des voyages internationaux.

La technologie est donc essentielle dans ce dispositif.

P. G. – J’en suis convaincu. Il faut recréer de la confiance aujourd’hui ; que ce soit pour embarquer dans un avion, pour franchir des frontières, participer à des conférences ou même se réunir en comité de direction. Nous pensons que la technologie permettra de redonner cette confiance nécessaire à la relance des voyages et des rencontres professionnelles. Certaines avancées rendues possibles en raison de la pandémie pourraient même perdurer. A l’avenir, on peut penser qu’au lieu du petit carnet jaune que nous avons tous et qui peut être falsifié, un passeport inviolable prouvera aux autorités que c’est bien vous et que vous avez bien été vacciné contre la fièvre jaune ou toute autre maladie, comme exigé à l’entrée sur mon territoire.

Vous parlez de recréer de la confiance. Les entreprises ont-elles un rôle à jouer dans ce cadre ?

P. G. – C’est aussi une de leurs priorités. Les entreprises ont pour devoir de préserver la santé physique et mentale de leurs collaborateurs, mais aussi de soutenir leur engagement et leur productivité. Dans ce cadre, la priorité est la sécurité du lieu de travail, afin qu’il soit considéré tellement sûr que le risque d’y être contaminé soit bien moindre qu’en allant faire ses courses. Mais cette confiance passe aussi par l’importance donnée à la dimension humaine et à l’accompagnement des collaborateurs. Que ce soit parce qu’ils ont été infectés par le virus, soit parce qu’ils rencontrent des difficultés dans leur quotidien. Par exemple, pendant le premier confinement, des entreprises ont organisé des activités pour les enfants de leurs collaborateurs. Ça peut paraître un peu paternaliste, mais c’est aussi une façon de leur dire : « on sait que vous avez des difficultés, et c’est une petite chose qu’on peut faire en ce moment pour vous aider. »

Comment International SOS s’inscrit-il dans cette évolution ?

P. G. – Notre mission de conseil et d’assistance n’a pas changé. Il y a toujours des salariés qui voyagent et qu’il faut assister. C’est même plus complexe à gérer aujourd’hui avec l’alourdissement des contraintes administratives et réglementaires. Si les déplacements ont considérablement diminué pour ne concerner que les voyageurs essentiels, ces derniers ont désormais besoin de cinq fois plus de conseils et de soutien pour chaque voyage. De la même manière, la demande d’informations est toujours très forte. De la transmission du virus et l’efficacité des masques au début, les questions tournent aujourd’hui autour de la vaccination contre la Covid-19 et contre la grippe, mais aussi autour de la validité des tests et de la reprise des voyages. Notre rôle est de distiller cette « infodémie », de décanter ce qui est approprié pour permettre aux entreprises de prendre des décisions. Cependant, l’exposition des entreprises aux risques de santé et de sécurité ne se limite pas aux personnes en déplacement et aux expatriés, mais à tous leurs collaborateurs. C’est une chose que nous, International SOS, avons appris de cette crise.

Dans les faits, comment ce constat se traduit-il ?

P. G. – Cela nous engage dans un nouveau positionnement, à savoir l’accompagnement de l’ensemble des employés d’une entreprise. Nous ne faisions quasiment pas d’assistance domestique auparavant et nous nous y sommes mis au printemps dernier pour répondre aux nouveaux besoins. Nous avons donc élargi nos services de formations et d’assistance notamment pour les salariés locaux. Désormais, tout manager peut nous appeler directement pour des problèmes liés à son équipe par exemple. Des entreprises se tournent vers nous pour parler de la pandémie à leurs collaborateurs et à leurs familles autour de sessions d’informations simples donnant des messages clairs, fiables et indépendants, que ce soit sur l’arrivée des vaccins ou les nouveaux tests. Ces entreprises estiment que faire en sorte que leurs salariés et leurs proches vivent cette crise le plus sereinement possible s’intègre dans leur devoir de protection.

Un professionnel du risque sur trois pense que les problèmes de santé mentale vont continuer à entraîner des disruptions dans l’engagement et la productivité des collaborateurs en 2021.

Dans une récente étude, International SOS met en avant un facteur de risques important mais souvent négligé, la santé mentale.

P. G. – Ce sujet nous semble être une des leçons clés de cette pandémie. Cette crise a révélé à quel point les individus pouvaient être vulnérables dans un contexte où l’organisation du travail, l’accès aux soins et aux biens de première nécessité se trouvent désorganisés. A cela s’ajoutent des inquiétudes économiques des collaborateurs sur leur emploi et la capacité de leur entreprise à faire face à cette crise. Ce qui se traduit aujourd’hui par des situations de détresse, du stress, des troubles du sommeil ou de l’anxiété sur le plan personnel. Au sein de l’entreprise, cela peut aussi impacter le sentiment d’appartenance, l’implication et par ricochet sur la productivité. Notre étude révèle qu’un professionnel du risque sur trois pense que les problèmes de santé mentale vont continuer à entraîner des disruptions dans l’engagement et la productivité des collaborateurs en 2021.

Comment les entreprises doivent-elles réagir face à ce risque ?

P. G. – Les entreprises doivent trouver des mesures pour le contrôler. On parle beaucoup de leur résilience face à cette crise, de leur capacité à la franchir et à en sortir mieux armées. Mais, en fin de compte, cette notion de résilience passe d’abord par la résilience de leurs collaborateurs. Les entreprises avaient des plans de continuité d’activité en cas de crise de grande envergure, mais elles n’ont probablement pas assez ciblé cette résilience individuelle des employés qui la composent. Nous pensons que ce sujet continuera à être une priorité pour les entreprises en 2021.

Le recours massif au télétravail peut-il avoir, selon vous, des effets pervers sur la santé des collaborateurs ?

P. G. – C’est une solution appropriée dans beaucoup de situations, mais qui n’est pas optimale à 100%. C’est très pratique quand on a une pièce à part, au calme, avec une bonne connexion. Mais le télétravail devient compliqué quand on a des enfants à gérer ou quand on n’a pas un lieu à soi où se concentrer. Par ailleurs, certaines personnes plus extraverties ont besoin de contact et se retrouvent déstabilisées par cet isolement. Les entreprises ont engagé cette réflexion afin de trouver le bon équilibre et garder leurs équipes unies et engagées.