
Quel regard portez-vous sur la nouvelle écotaxe, annoncée récemment ?
Paul Chiambaretto – Il y a plusieurs aspects problématiques avec cette écotaxe. A commencer par le montant, qui semble assez arbitraire, et surtout ne dépend pas du type d’appareil. Que l’on fasse atterrir un avion de 25 ans très polluant, ou un appareil flambant neuf qui pollue deux à trois fois moins, le montant de la taxe sera le même. Finalement, il n’y a donc pas d’incitation pour pousser les compagnies aériennes à investir dans une flotte qui pollue moins. Il n’y a pas de logique de bonus-malus, et c’est dommage. Le seul moyen pour une compagnie de réduire son écotaxe, c’est donc de moins voler ! Il y a aussi un problème géographique, puisque la taxe concerne tous les vols au départ de la France. Les compagnies françaises sont donc les plus pénalisées, alors que le pavillon français recule d’un point chaque année. On pénalise des acteurs qui étaient déjà en situation de faiblesse. Cette démarche de l’écotaxe aurait donc dû avoir lieu au niveau mondial, ou a minima à l’échelle de l’Europe. D’ailleurs, il y a quelques semaines, la Ministre des Transports expliquait que cette démarche serait négociée au niveau européen… Cela va donc créer des distorsions en faveur des acteur non européens, et non-français. J’ai l’impression que l’objectif de cette taxe n’est pas environnemental mais fiscal…
Que pensez-vous de l’affectation des revenus liés à cette écotaxe ?
P. C. – Elle pose aussi question. J’ai cru comprendre qu’il allait s’agir de financer d’autres modes de transport, dont le ferroviaire. Malheureusement, le transport aérien est déjà habitué à payer pour des activités qui ne sont pas le siennes. Par exemple, le budget de l’Agence Française de Développement via la taxe Chirac. Si l’on avait dit aux compagnies que cette écotaxe financerait de la R&D pour le transport aérien, avec une sorte d’Etat paternaliste qui les force à épargner pour investir dans la recherche, la pilule pouvait mieux passer. En les taxant comme c’est prévu on réduit leur capacité à faire de la R&D et à investir dans une nouvelle flotte. Les millions d’euros enlevés à Air France [le groupe estime le surcoût annuel à plus de 60 millions d’euros, ndlr] ce sont autant de millions qui n’iront pas à la R&D. On rend donc ainsi, potentiellement, le transport aérien encore plus polluant.
Les voyageurs vont-ils ainsi modifier leurs habitudes de déplacement ?
Paul Chiambaretto – Etant donné la marge par passager et le montant de la taxe, celle-ci sera répercutée intégralement sur le consommateur. Le voyageur compare les prix, et il ne faudra pas s’étonner s’il se tourne vers des compagnies low-cost long-courrier par exemple.
Auriez-vous préconisé un autre format de taxation ?
P. C. – J’étais partisan d’une taxe avec un double dividende, comme ça s’est déjà fait ailleurs. Cela génère une taxe, mais les recettes fiscales restent fixes. Par exemple, créer une taxe carbone de 5 euros par passagers, en baissant parallèlement d’autres taxes. Cela crée une incitation pour les compagnies aériennes à travailler sur les émissions carbone, tout en préservant leur compétitivité et donc leur capacité d’investissement.
Les Assises du transport aérien laissaient-elles présager d’une telle décision ?
Paul Chiambaretto – Ces Assises ont finalement accouché d’une souris… Quand on lit le rapport sur la Stratégie nationale du transport aérien à l’horizon 2025, publié suite à ces assises, il est écrit noir sur blanc que le transport aérien paie trop de taxe. L’Etat le dit lui-même… Actuellement, sur un billet de 100 euros, les compagnies paient entre 20 et 25% de taxes. Il faut ajouter à cela une trentaine d’euros de redevance. Il reste donc in fine une petite cinquantaine d’euros à la compagnie, qui doit ensuite faire face à sa structure de coûts. La marge atteint donc 4 euros par passagers chez une compagnie comme Air France, et 6 dollars en moyenne au niveau de l’ensemble du secteur aérien. La création d’une nouvelle taxe pose donc aussi question à ce niveau-là. Par ailleurs, il existait une sorte d’accord entre l’Etat français et les compagnies aériennes, qui ne payaient pas de taxe sur le kérosène, et on contrepartie s’auto-financaient quasi intégralement, à hauteur de 80 à 85%, contre 16 à 20% pour le secteur ferroviaire. C’est par exemple le secteur aérien qui finance la sécurité en aéroport par le biais de redevances. Dès lors que l’on supprime cette exemption de taxes, le transport aérien n’a plus véritablement de raison de financer ces activités qui relèveraient normalement du ressort de l’Etat.
Réduire sa consommation n’est pas un impératif d’image, c’est une nécessité économique
Cette écotaxe semble signifier que les acteurs de l’aérien ne prennent pas les mesures nécessaires pour réduire leur empreinte carbone…
P. C. – Je trouve dommage que l’on s’attaque à l’un des rares secteurs qui s’auto-régulent, et qui justement fournit des efforts technologiques et institutionnels pour réduire son empreinte environnementale. Le secteur aérien représente 2% des émissions carbone. D’après la DGAC, en une quinzaine d’années, le transport aérien français a augmenté de 55%, tandis que la hausse des émissions carbone s’est limitée à 14%. Il y a donc une baisse de 25% des émissions carbone par passagers. Je ne connais pas beaucoup de secteurs qui sont aujourd’hui en mesure de présenter de telles réductions unitaires. Les nouveaux avions, comme les A321 LR, limitent la consommation à 2 à 3 litres aux 100 km par passager, soit l’équivalent d’une voiture hybride. Le carburant représente le poste de dépense principal d’une compagnie. Réduire sa consommation et donc son empreinte carbone n’est pas un impératif d’image, c’est une nécessité économique pour être rentable.
Transport aérien et développement durable sont ils incompatibles ?
Paul Chiambaretto – Je ne le pense pas. Il faut d’abord investir dans la R&D. Il y a aussi plein de moyens de réduire les émissions, en optimisant par exemple le parcours des vols, la navigation aérienne. Il y a là une grosse marge de manœuvre, notamment pour les vols internationaux.
L’arrivée de l’écotaxe rend-elle crédible la suppression des lignes domestiques, quand le temps de parcours en train en fait une véritable alternative ?
P. C. – Ce serait une très, très mauvaise idée. Dans certains territoires, l’avion est indispensable au désenclavement, et pour beaucoup d’autres villes, comme Montpellier ou Marseille, l’avion et le train sont complémentaires. La majorité des passagers aériens sur un vol Montpellier-Paris sont en correspondance, ou bien il s’agit de trajets contraints pour des personnes qui vont faire l’aller-retour dans la journée. Par ailleurs, un billet d’avion s’avère parfois moins cher qu’un billet de train sur un même trajet… Cela pose aussi des questions sur l’attractivité tarifaire de ces alternatives à l’aérien. En outre, si l’on décide de développer l’intermodalité air-fer, avec une première partie du voyage en train sur le réseau domestique, puis un départ en avion, il faut s’en donner les moyens… Aujourd’hui, il n’y a qu’une vingtaine de villes qui peuvent proposer une telle option. Cela suppose non seulement une bonne liaison jusqu’à Paris, mais aussi et surtout jusqu’à la gare de Roissy. Les compagnies aériennes ne sont pas réticentes à l’idée de l’intermodalité, mais elles savent que ça ne fonctionne pas partout et pour tout.
On a tendance à opposer l’avion et le train, en les rangeant dans les cases « polluant » et non polluant » : est-ce si simple ?
Paul Chiambaretto – Non : si l’on regarde d’un point de vue marginal, un avion, sur une distance donnée, polluera effectivement beaucoup plus qu’un train. Mais contrairement à l’avion, le train doit bien rouler sur quelque chose… Il faut des infrastructures, dont la construction a généré des émissions carbone, et même énormément de carbone. Si l’on prend une ligne TGV de 500 km, et que l’on lisse sur cinquante ans les émissions carbone ainsi générées, il faudrait qu’il y ait entre dix et vingt millions de passagers par an sur cette ligne de train pour compenser les émissions carbone liées à la construction.
Je ne suis pas sûr qu’au final le voyageur en sorte gagnant, ni même l’environnement d’ailleurs
Une compagnie comme Air France doit-elle donc repenser sa stratégie, au niveau domestique voire global ?
P. C. – Cette problématique va changer un certain nombre de calculs au sein des compagnies aériennes, qui vont devoir faire des arbitrages. Je ne suis pas sûr qu’au final le voyageur en sorte gagnant, ni même l’environnement d’ailleurs…
Quid de l’avion électrique, dont on évoque régulièrement l’expérimentation ?
Paul Chiambaretto – Il s’agit encore d’un projet à très long terme. Pour l’heure, des modèles pour deux ou quatre places peuvent fonctionner, et des prototypes d’une dizaine de places sont en tests. Mais au-delà, on ne sait pas encore faire. La principale problématique concerne le poids des batteries, auquel est lié la capacité de stockage. Pour avoir suffisamment d’énergie pour effectuer un vol domestique, le poids des batteries dépasserait le poids de l’avion… Ce qui pourrait être intéressant en revanche, c’est de passer à des phases de roulage électriques sur le tarmac… Certes, cela semble marginal, mais il y a dans le monde près de 80 vols par minute. La somme de beaucoup de marginal donne un résultat significatif. C’est d’ailleurs ce que font IATA et l’OACI : identifier toutes les petites mesures que l’on maîtrise déjà, pour progresser. Le tout en travaillant sur les bio-carburants, les nouvelles générations de réacteurs, les matériaux composites, pour aller plus loin.