Quelle clientèle pour les suites d’hôtels ?

Les suites d’hôtels incarnent la quintessence du savoir recevoir. Quand elles ne sont pas occupées par des stars de passage ou des dirigeants d’entreprise, ces chambres d’exception se prêtent aussi à de très beaux événements.
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Au St Regis New York, la suite Dior dévoile un sens du chic dans le ton de la Cinquième Avenue et de l’Avenue Montaigne, le tout associé à un service de butler très exclusif. © Starwood

Junior, executive, présidentielle… C’est à se demander si les hôteliers n’ont pas calqué la dénomination de leurs suites sur les organigrammes des sociétés. Pourtant, il n’est pas donné à tous les voyageurs d’affaires de fréquenter ces chambres d’exception. « L’heure étant à la rationalisation des coûts, les catégories référencées dans les programmes hôteliers mettent rarement les suites en avant », remarque Bastien Pucheu, directeur commercial des hôtels parisiens du groupe Starwood. Ceci peut expliquer que les hôtels très business-business ne disposent pas tous d’une quantité infinie de suites. Ainsi, sur ses 1025 chambres, un hôtel comme Le Méridien Étoile n’en compte par exemple qu’une dizaine.
Sans surprise, le privilège de résider dans une suite reste avant tout l’apanage des membres du comité exécutif. « Si les suites de l’hôtel Prince de Galles sortent totalement du cadre des contrats corporate, elles font en revanche partie des programmes VIP mis en place dans certaines entreprises à destination de leurs dirigeants et hôtes prestigieux, explique Bastien Pucheu. Nous y recevons aussi beaucoup de diplomates et de voyageurs d’affaires individuels. »
Dirigeants d’entreprises, riches touristes, stars de passage : les hôtels ne lésinent pas sur les attentions, petites ou grandes, pour soigner cette clientèle haute contribution. “Personne ne réside dans une suite à plusieurs milliers de dollars uniquement pour une bonne nuit de sommeil, mais notamment parce qu’elles réduisent significativement les tracasseries entourant les déplacements professionnels grâce aux nombreux services qui sont associés, remarque Vikram A. Pradhan, fondateur de la plate-forme de réservation SuiteStory.
« La clientèle des suites est très exigeante. Elle n’aime pas attendre et est habituée à des traitements VIP », décrit Bastien Pucheu. Ne pas faire la queue à l’arrivée et profiter gratuitement d’un check-in anticipé, bénéficier de petits plus en chambre comme une machine Nespresso et des peignoirs moelleux, se voir offrir le repassage d’une ou deux chemises : la liste est longue des services haut de gamme qui accompagnent le séjour. Dans de nombreux hôtels, les voyageurs habitués des classes business retrouvent aussi ce à quoi les compagnies aériennes les ont habitués dans les aéroports, à savoir des lounges feutrés avec boissons et snacks à toute heure, des espaces où ils peuvent se réunir et se détendre à l’écart de l’agitation de l’hôtel.

Nec plus ultra

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Derrière sa porte discrète, la Résidence de l’InterContinental Genève accueille des clients en quête d’intimité et de prestige. Le lieu se prête de manière exceptionnelle à des événements exclusifs. © Intercontinental
Si la part réservée aux suites est de quelques pour-cent à peine dans les établissements haut de gamme, il n’en est pas de même dans les palaces, où elles représentent souvent un tiers de l’offre. Le Mandarin Oriental Paris propose ainsi 40 suites contre 98 chambres, certaines agrémentées de terrasses arborées. © Mandarin Oriental
Avec leurs coins salons et, pour les plus belles d’entre elles, leurs salles à manger privées, les suites se prêtent à des réunions et réceptions en toute intimité. Ici, la suite Saphir du Prince de Galles à Paris. © Starwood

Car c’est aussi une certaine intimité, une réelle discrétion qu’attendent les clients. À cet égard, tandis que les suites junior offrent avant tout une surface de chambre plus importante, les suites executive ont un sérieux avantage pour les cadres dirigeants lors de leurs déplacements. Avec leur coin salon séparé de la chambre, elles permettent de recevoir collaborateurs, clients ou conseillers pour des réunions de travail en toute discrétion.
Pourtant, par delà leur grande qualité, ces suites junior et executive pourraient presque être qualifiées de « lambda » comparées au nec plus ultra de l’offre hôtelière, ces suites d’exception qui font les belles pages des magazines. Bien sûr, dans leur carrière professionnelle, les voyageurs d’affaires n’auront que rarement le plaisir de passer leurs portes. Mais entrouvrons-les un instant pour découvrir tout le glamour qui s’en exhale et entrevoir l’excellence infinie de leurs services.
Pour les hôtels, rien n’est trop beau, ni trop parfait pour satisfaire le gotha de leur clientèle, avec des privilèges allant ici bien au-delà du lounge VIP ou du check-in séparé. Transfert depuis l’aéroport en voiture de luxe, butler se chargeant des moindres détails du séjour, à commencer par défaire les valises avant de les refaire, l’heure du départ venue : les grandes marques de luxe comme Four Seasons, Mandarin Oriental, Peninsula et consorts rivalisent de délicatesses… À Londres, le Connaught fait lui aussi preuve d’exquises attentions. Le palace très exclusif du quartier de Mayfair va en effet jusqu’à faire former ses butlers dans les ateliers de la maison John Lobb pour s’assurer du fini impeccable des chaussures de ses clients. Difficile de faire plus distingué. Quoique…
Pour concevoir certaines de leurs suites premium, les palaces n’hésitent pas à s’associer à de grands noms qui partagent avec ces hôtels un même sens du chic. Le groupe Rosewood a par exemple confié à Karl Lagerfeld le soin de dessiner deux suites dans le cadre de la rénovation du Crillon à Paris, deux « grands appartements » dont le dévoilement est attendu en 2017. Au début de la décennie déjà, le St Regis de New York avait choisi trois partenaires de haute volée – Dior, Tiffany et Bentley – pour créer ses suites Designer. Tandis que la suite Tiffany décline le bleu signature du joaillier, la suite Dior relie l’avenue Montaigne et la 5e Avenue en jouant sur la palette de couleurs chères à la marque parisienne, des verts chauds et subtils par ci, des ombres de rose tendre par là. Tendus sur les murs ou encadrant les fenêtres, des matériaux haute couture comme le tulle, la dentelle et la soie parfont l’atmosphère du lieu. De son côté, le style Bentley, très contemporain, a depuis été décliné dans d’autres suites d’hôtels St Regis, à Istanbul et à Dubai.

25 000 dollars la nuit

Pour sa part, le Lotte New York Palace a décidé de travailler avec le joaillier Martin Katz pour créer sa Jewel Suite, intégrant des créations d’une valeur estimée à 1,5 million de dollars. Clou de cette suite en triplex : un chandelier de cristal descendant en cascade le long de l’escalier. Au moment du départ, les clients – les clientes surtout – reçoivent en cadeau un anneau en diamant signé par le joaillier. Il est vrai que la chambre est tarifée en conséquence, à 25 000 $ la nuit. Elle est certes moins onéreuse que la Five Bedroom Terrace Suite du Mark à New York ou que la Royal Penthouse Suite du Président Wilson à Genève, les deux plus chères au monde, mais tout de même… elle n’est pas à la portée de toutes les bourses, ni de tous les professionnels. Sauf peut-être lorsqu’ils voyagent ensemble et « recherchent des suites premium dotées de plusieurs chambres », remarque Vikram A. Pradhan.
S’apparentant à de vrais appartements, ces suites allant du grand luxe à l’ultra chic se prêtent en effet à recevoir plusieurs hôtes, proposant presque toujours deux ou trois chambres, un salon, une salle à manger, un bureau séparé, une cuisine équipée, un dressing de plain pied, voire un ascenseur privé. Le tout assorti de vues spectaculaires sur la skyline des grandes métropoles et leurs grands monuments – Ah, l’opéra de Sydney vu depuis le Park Hyatt ! Oh, la tour Eiffel presque voisine du Shangri-La Paris –, le tout étant poursuivi par de sublimes terrasses comme celles des sept penthouses du Corinthia Londres, toutes thématisées comme le Writer’s penthouse et son salon-bureau installé dans une bibliothèque de noyer sombre ou le Musician’s penthouse, où les plus mélomanes des voyageurs d’affaires peuvent s’installer au piano Steinway.
Qui sait si un jour, lors de ses voyages officiels, Donald Trump ne fréquentera pas l’une ou l’autre d’entre elles. C’est d’ailleurs à l’un de ses prédécesseurs, Woodrow Wilson, que l’on doit le concept de « suite présidentielle ».
À son époque, au début du XXe siècle, sa volonté était d’abord de s’assurer que cette chambre dispose d’une salle de bains attenante, pour ne pas avoir à déambuler dans les couloirs dans le plus simple appareil. Depuis, les plus beaux établissements des plus grandes villes des États-Unis se sont tous dotés de leur home « suite » home dédiée au locataire de la Maison Blanche, à commencer par le Waldorf-Astoria, résidence secondaire de tous les présidents en exercice de passage à Manhattan.

Une jeune femme blond platine

Si les murs de ces suites pouvaient parler… Ils en auraient sûrement à raconter, autant de secrets d’alcôve que de mémorables apartés. Ceux de la Penthouse Suite du Fairmont San Francisco, par exemple, pourraient confirmer ou non la légende qui veut qu’un soir, au début des années 60, une silhouette s’éclipsât par une porte cachée dans l’immense bibliothèque pour emprunter un escalier secret, tandis que la femme du président en exercice s’apprêtait à entrer. La first lady s’appelait Jackie, lui John. Quant à la silhouette, d’aucuns jurent leurs grands dieux qu’il s’agissait d’une jeune femme et qu’elle était blond platine…
Plus sérieusement, et de manière certaine, c’est dans ce luxueux appartement qu’eut aussi lieu un autre événement, moins people certes, mais de nature à changer la marche du monde. À l’invitation du président Truman, les représentants des Big Four se réunirent dans sa salle à manger pour discuter des termes de la charte de San Francisco, celle qui donna naissance à l’ONU.

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Fréquentée en son temps par JFK, la Penthouse Suite
du Fairmont San Francisco peut accueillir jusqu’à 60 personnes à dîner. © Fairmont

Rencontres au sommet

« Where history is made », là où l’histoire se fait. C’est comme ça que se décrit l’InterContinental Genève, construit il y a cinquante-deux ans en plein cœur du quartier des Nations Unies. Il en a vu passer des chefs d’État et des têtes couronnées, 400 d’après le dernier décompte. Ses murs se souviennent par exemple qu’en 1985, l’hôtel fut entièrement réquisitionné par l’administration américaine à l’occasion du premier sommet Reagan-Gorbatchev. Pour l’occasion, l’ancien directeur de l’hôtel, Herbert Schott, avait fait installer une gigantesque colombe, pressentant sans doute que la guerre froide tirait à sa fin. Colombe il y eut aussi en 1991, mais point de paix à l’issue du sommet entre James Baker et Tarek Aziz avant le déclenchement de la première guerre du Golfe. Une rencontre tendue qui a nécessité « toute une logistique, un timing parfait pour faire en sorte que les protagonistes ne se croisent pas », explique Nadège Roy, responsable marketing de l’hôtel. Autant d’anecdotes racontées par Herbert Schott dans le livre L’hôtelier.
Aujourd’hui encore, l’établissement est reconnu pour son sens de la diplomatie et sa discrétion. « Sauf si sa venue à l’hôtel a été annoncée dans la presse, le nom d’un client ne filtrera jamais, précise Nadège Roy. Nos employés y sont très sensibilisés. C’est pourquoi nous sommes très appréciés. » Mais pas seulement. Abritée derrière une porte d’entrée pour donner une idée d’hôtel particulier, sa résidence, située au 18e et dernier étage, est fréquentée par les personnalités de passage, autant parce qu’elle est organisée en plusieurs espaces, avec deux ailes reliées par un grand salon, que pour son atmosphère contemporaine réinventée par Tony Chi. Laquelle résidence, lorsqu’elle n’est pas occupée, prête aussi son cadre à des événements exclusifs.
Car c’est là une autre des forces des plus belles suites d’hôtels. Avec leurs vastes espaces, leurs vues sublimes et la discrétion qui les entoure, elles sont le théâtre idéal de très beaux événements. Ainsi, l’été dernier, le Shangri-La Paris a organisé des soirées éphémères rassemblant une vingtaine de personnes sur la sublime terrasse de sa Suite Shangri-La.
Les entreprises trouvent là également un cadre prestigieux pour des réunions qui ne le sont pas moins. « Ce qui se fait de plus en plus, ce sont des comités de direction, constate Émilie Pichon, responsable des relations presse du Mandarin Oriental Paris. Dans ce cadre intime, l’atmosphère est plus détendue. » Le soir, des dîners de gala peuvent aussi y être organisés. « Agrémentés de cuisines équipées, ces espaces se prêtent à l’accueil de dîners supervisés par Thierry Marx. Cela casse de la routine, d’autant que nos clients sont habitués aux grandes tables. »
Transformés en show room lors des fashion week, ces lieux élégants sont aussi régulièrement réservés pour les présentations de films. “Cela se passe comme ça maintenant, poursuit Émilie Pichon. Un acteur dans une suite, le réalisateur dans une autre et les interviews qui s’enchaînent.” Des cinéastes qui ont eux-mêmes popularisé certaines de ces suites. En accueillant, dans Very Bad Trip, les tribulations de jeunes hommes venus enterrer à Las Vegas la vie de garçon d’un de leurs amis, la Forum Tower Emperor’s Suite du Caesars Palace a démontré à l’envi le côté “événementiel” de ces résidences. Ce dont s’inspireront peut-être les groupes incentive de passage à « Sin City ». Les voyageurs ou voyageuses d’affaires plus “fleur bleue” préféreront sans doute réserver la Presidential Suite du Four Seasons Beverly Hills Wilshire. Rien que pour pouvoir s’allonger dans la baignoire et chantonner Kiss un casque sur les oreilles. Comme Julia Roberts dans Pretty Woman.