
Arriver à l’aéroport, filer vers la porte d’embarquement, puis s’envoler sans être ralenti par une succession de contrôles, sans même avoir à dégainer carte d’embarquement ou passeport : tout voyageur d’affaires en rêve. Un rêve qui pourrait bientôt devenir réalité, car les spécialistes du transport travaillent à développer de nouvelles méthodes pour identifier instantanément les voyageurs de manière infaillible. La panacée pour tout service d’immigration en somme…
En pratique, il s’agit de coupler la technologie à l’humain, au sens technique du terme. Reconnaissance faciale, scanner de l’iris, identification vocale : le lexique aéroportuaire devient de plus en plus futuriste, digne du Guide du voyageur galactique de Douglas Adams. Ces méthodes d’identification sont regroupées sous l’appellation de biométrie, définie par la CNIL (Commission nationale informatique et libertés) comme “l’ensemble des techniques informatiques permettant de reconnaître automatiquement un individu à partir de ses caractéristiques physiques, biologiques, voire comportementales”.
Le recours à la biométrie est loin d’être nouveau. Sans remonter jusqu’à Qin Shi Huangdi – empereur chinois qui, le premier, authentifia certains documents avec une signature digitale, deux siècles avant notre ère –, l’identification a eu le temps de faire ses preuves dans le monde du voyage. L’immigration américaine s’est dotée depuis plusieurs années d’un tel dispositif dans les aéroports internationaux. Et l’installation du système Parafe (Passage Automatisé Rapide aux Frontières Extérieures) par le groupe Aéroports de Paris remonte déjà à 2009. Depuis cette date, chaque passeport délivré en France intègre un composant stockant deux empreintes digitales de son propriétaire.
Ce qui est plus récent, c’est l’accélération des phases de test, la diversification des outils ainsi que leur utilisation lors de nouvelles étapes du parcours du voyageur. Depuis quelques temps, pas une semaine ne se passe sans qu’un aéroport ou une compagnie aérienne ne se signale par une expérimentation biométrique. En 2015, Alaska Airlines faisait figure de pionnier. La compagnie aérienne lançait alors un test basé sur les empreintes digitales pour accéder aux salons affaires des aéroports, puis embarquer sans avoir à présenter de passeport ou de carte d’embarquement. “Notre rêve, c’est qu’à chaque étape du transport aérien où il vous est demandé de prouver votre identité, vous puissiez tout simplement utiliser votre empreinte digitale”, confiait alors Jerry Tolzman, directeur de la recherche et du développement clients d’Alaska Airlines.
Depuis, d’autres transporteurs ont partagé ce rêve et cherchent à le concrétiser. L’aéroport de Schipol et la compagnie néerlandaise KLM ont en ce sens lancé une phase test en février, avec l’ambition d’être sacré “Leading Digital Airport” dès 2018. Les passagers préalablement enregistrés ont accès à un kiosque dédié qui utilise la reconnaissance faciale pour un “embarquement biométrique”, se passant ainsi de billet d’avion et de passeport.
De son côté, Delta expérimente depuis le mois de mai à l’aéroport de Washington le système CLEAR. La première phase se limite aux salons affaires, en attendant l’enregistrement et l’embarquement. “Nous nous approchons rapidement du jour où vos empreintes digitales, votre iris ou votre visage deviendront la seule pièce d’identité dont vous aurez besoin”, promet Gil West, chef de l’exploitation chez Delta.

Plus proche de nous, Air France devrait bientôt se lancer à son tour dans l’aventure biométrique. À l’occasion du salon Viva Technology organisé en juin dernier, les responsables de la compagnie française ont évoqué le projet “selfie ID”, qui pourrait bien se concrétiser dès 2018. Il s’agirait alors de pouvoir utiliser comme pièce d’identité la photo du voyageur stockée sur son smartphone, authentifiée grâce à une association avec la puce NFC de son passeport. En France toujours, au sein du Terminal 2F de Roissy-CDG, Aéroports de Paris expérimente avec l’entreprise portugaise Vision-Box la solution PARAFE II, basée sur la reconnaissance faciale, qui est aussi en test à l’aéroport de Marseille Provence.
L’Australie affiche aussi de grandes ambitions avec son programme “Seamless Traveller”. En remplaçant le contrôle du passeport par différents types d’identification biométrique – empreintes digitales, reconnaissance faciale et scanner de l’iris –, les autorités locales entendent automatiser les contrôles à l’immigration pour 90 % des passagers d’ici 2020. Le secteur aérien est donc clairement en première ligne, mais les autres acteurs du voyage d’affaires s’activent eux aussi.
Depuis le début de l’année, les passagers Eurostar peuvent opter pour des sas de contrôle à reconnaissance faciale en gare de Paris-Nord. Le système était déjà disponible à Londres St Pancras, et la gare de Bruxelles-Midi devrait bientôt être équipée à son tour de ce système conçu, là aussi, par l’entreprise portugaise Vision-Box. En Suède, l’expérience va beaucoup plus loin. Peut-être même trop loin au goût de certains… Depuis cet été, la compagnie ferroviaire SJ propose à ses passagers de remplacer leur billet par une puce RFID implantée sous la peau, scannée par les contrôleurs. Le billet mobile sur smartphone en deviendrait presque vintage…
Gagner en fluidité
Dans l’hôtellerie, la biométrie se conjugue encore au futur, mais l’horizon est prometteur. 74 % des hôteliers sondés par Oracle tablent sur une adoption de la reconnaissance faciale d’ici 2025. Son utilisation irait alors de l’ouverture de la chambre à l’identification d’un client fidèle dès son entrée dans l’hôtel pour lui proposer un service ultra-personnalisé. Les voyageurs semblent partager cette vision, puisque 62 % d’entre eux estiment que le recours à la biométrie améliorerait leur séjour, et les fidéliserait dans 41 % des cas.
L’exploitation des technologies biométriques varie, mais l’objectif reste le même : gagner en fluidité et en sécurité. Les gares, les aéroports constituent plus que jamais des zones sensibles. Les attaques perpétrées dans les aéroports de Bruxelles et Istanbul ont rappelé, si besoin en était, que les mesures de sécurité sont essentielles dans de tels environnements. Or le nombre de voyageurs augmente de manière exponentielle.
L’Association Internationale du Transport Aérien (IATA) prévoit que le nombre de passagers à l’international aura doublé d’ici 2035, pour atteindre 7,2 milliards de voyageurs. Il s’agit donc de contrôler mieux et plus vite, au risque de voir le fameux parcours voyageur se transformer en un interminable parcours du combattant. À quoi bon, dès lors, s’ingénier à améliorer les performances d’un avion si l’attente au sol devient interminable ?
Données très personnelles
Les voyageurs d’affaires, habitués des aéroports du monde entier et rompus aux contrôles, partagent évidemment ce constat. Sont-ils prêts pour autant à offrir leur corps à la biométrie, à livrer des données ô combien personnelles, que ce soit aux autorités, aux transporteurs, aux aéroports, voire à d’autres intermédiaires ? La plupart semblent en tous cas s’attendre à des évolutions prometteuses dans ce domaine. Selon les voyageurs d’affaires interrogés par Boxever en 2015, la biométrie arrivait largement en tête (61 %) des technologies et des services les plus prometteurs dans l’univers du voyage, loin devant les robots (29 %) ou l’économie collaborative (20 %). Spécialiste des technologies aéroportuaires, SITA assure pour sa part que le grand public est prêt à entrer pleinement dans l’ère biométrique. S’appuyant sur une étude publiée cet été – la 12e édition de “The Passenger IT Trends Survey” –, SITA estime qu’une confortable majorité de voyageurs (57 %) remplacerait sans hésiter le passeport ou la carte d’embarquement par la biométrie s’ils en avaient la possibilité.
Certes, cet acteur high-tech a tout intérêt à porter un tel message. Il n’en demeure pas moins que l’usage de la biométrie fait son chemin auprès du grand public. Depuis plusieurs années déjà, l’iPhone identifie l’empreinte digitale. Le nouvel iPhone X dévoilé le 12 septembre va même plus loin avec la technologie de reconnaissance faciale Face ID. Chez la concurrence, le Galaxy S8 mise lui sur un scanner de l’iris. Pour autant – et Samsung l’a d’ailleurs appris à ses dépens (voir encadré ci-après) –, tous les systèmes n’offrent pas les mêmes garanties. La généralisation de la biométrie passera par la mise en place de normes techniques et éthiques, sous peine d’exposer la population à de graves déconvenues.
Dès 2014, le sénateur américain Al Franken expliquait : “Je m’inquiète sérieusement au sujet de la technologie de reconnaissance faciale et sur la façon dont elle pourrait redéfinir la vie privée dans le futur. Contrairement à d’autres identificateurs biométriques tels que les scanners d’iris et les empreintes digitales, la reconnaissance faciale est conçue pour opérer à distance, à l’insu de la personne identifiée et sans son consentement. Les individus ne peuvent empêcher l’identification par des caméras qui pourraient être installées n’importe où, sur un lampadaire, sur un drone ou dans les lunettes d’une personne…”
Sécurité renforcée
La logique sécuritaire jouera à n’en pas douter un rôle clé dans l’essor de la biométrie. Néanmoins, d’autres utilisations plus “légères” sont également à l’étude. Dean Senner, Pdg de l’entreprise Tascent, envisage par exemple des usages plus ludiques : “Dans un avenir proche, la technologie permettra à une personne voyageant de New York vers la Californie avec une escale à Denver de regarder le début d’un film pendant la première étape du voyage, puis, une fois embarqué dans le deuxième avion, de reprendre le film exactement là où il s’était arrêté après une rapide identification biométrique.”
De là à voir dans ces technologies une source de revenus supplémentaire, il n’y a qu’un pas que les acteurs du marché sont tentés de franchir. Le livre blanc publié en 2015 par Tascent sur le thème du “nouvel Âge d’or du transport aérien” constate que “simplifier les achats en introduisant le paiement biométrique soit par le biais d’un système intégré au siège, soit par le biais d’un dispositif mobile utilisé par un membre de l’équipage, rend la transaction plus fluide.”

Le paiement : voilà l’autre territoire à conquérir pour les spécialistes de la biométrie. La course est déjà lancée. Au cours des derniers mois, Mastercard a dévoilé deux nouveautés prometteuses. Fin 2016, le projet Identity Check Mobile faisait ses grands débuts dans une douzaine de pays. Cette application de paiement mobile se base sur l’empreinte digitale et la reconnaissance faciale du détenteur de la carte, son objectif étant de “fluidifier l’expérience de paiement en ligne, sans faire de compromis sur la sécurité et la sûreté”, explique Ajay Bhalla, président risques & sécurité de Mastercard. Le spécialiste des moyens de paiement se montre très confiant quant à l’accueil réservé à ces nouvelles technologies.
En effet, selon une étude réalisée avec l’université d’Oxford, 93 % des consommateurs préféreraient la biométrie mobile aux traditionnels mots de passe. Et Mastercard a donc récidivé au mois d’avril avec sa carte biométrique, testée en Afrique du Sud. Concrètement, l’empreinte digitale du titulaire est enregistrée auprès de sa banque, puis stockée sur la carte. à l’heure de régler ses achats, il insère comme de coutume sa carte dans n’importe quel terminal EMV (“Europay Mastercard Visa”), et place ensuite ses doigts sur le capteur intégré à la carte. L’empreinte est alors comparée avec le modèle enregistré, et la transaction validée si les données correspondent. Le futur est donc déjà en marche, comme le confirme l’étude publiée en mai par Juniper Research, qui estime que le nombre de transactions mobiles se basant sur une authentification biométrique atteindra deux milliards à la fin de l’année 2017, contre 600 millions un an plus tôt. Sécurité, paiement, divertissement : la technologie biométrique promet de changer en profondeur le quotidien des voyageurs.
Technologies : la biométrie prend corps dans le monde du voyage
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Rencontre avec Andrew O’Connor, vice-Président aérien de SITA