On en parle depuis plusieurs mois, mais les pays de l’ASEAN semblent jouer de malchance avec les événements. Loué par l’OMS pour son contrôle de la pandémie, le groupe des dix pays de l’ASEAN (Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam) semblait bien maîtriser la propagation du virus. Dès mars 2020, tous ces pays avaient refermé à l’unisson leurs frontières afin de circonscrire le virus. Une stratégie qui a permis des taux de contamination et de mortalité très bas comparés à l’Europe.
Pourtant, depuis le début du mois de mars, la pandémie retrouve une certaine vigueur avec le variant anglais. Ce qui pourrait mettre en péril une possible levée des restrictions de déplacements.
L’industrie du tourisme vitale pour l’ASEAN
Or, plus qu’ailleurs, l’ASEAN dépend fortement du tourisme. Dans ses études, le WTTC (World Tourism and Travel Council) indique que le tourisme et les voyages génèrent à l’échelle mondiale 10,4 % du PIB et 10 % des emplois. Dans l’ASEAN, ces taux sont encore plus élevés, respectivement de 12,8 % et 14,2%, mais avec des différences notables d’un pays à l’autre. Pour le Cambodge, les Philippines et la Thaïlande, l’industrie des voyages représente entre 20 % et 25 % du PIB et plus de 21 % des emplois. En revanche, Birmanie, Brunei et l’Indonésie sont les moins dépendants du tourisme, le secteur n’excédant 6 % de part dans le PIB de ces trois pays.
Au cours des vingt dernières années, le tourisme est devenu pour beaucoup le fer de lance de l’économie, en particulier au Cambodge ou en Thaïlande. Rouvrir la région aux voyageurs est donc essentiel, d’autant que nombre des pays de l’ASEAN bénéficient aussi d’importants investissements internationaux. Or, en interdisant les vols ou en imposant des quarantaines sévères, ces pays se coupent économiquement du reste de la planète. Et contribuent à plonger une partie de leur population dans la pauvreté.
Vivre en autarcie est certes possible dans des pays comme le Laos, le Myanmar ou le Vietnam qui, tous, ont connu pendant longtemps isolement politique et économique. Mais que penser de Singapour, le hub financier de la région ? Ou encore de la Thaïlande, hub commercial et économique de la sous-région du Mékong ?
Pourtant, la réponse de l’ASEAN en tant qu’entité économique a été jusqu’à présent inaudible, si ce n’est inexistante. Aucune coordination n’a été mise en place pour une réouverture graduelle des frontières ou encore pour une stratégie de santé. Tout cela, au nom d’un inaliénable principe de non-intervention dans les affaires internes d’un autre pays ; une pratique qui, dans la plupart des cas, font de l’association une coquille vide.
Passeport vaccinal commun et influences chinoises
Cependant, il semblerait que les lignes soient enfin en train de bouger. En mars, les ministres de l’économie de l’ASEAN ont discuté de la possibilité de lancer un passeport numérique régional de santé. Un tel mouvement permettrait alors de concrétiser une « bulle de voyages » intra-ASEAN, alors que, pour le moment, les frontières restent quasi hermétiques. Seuls Singapour et la Malaisie avaient créé un corridor de voyage l’an dernier, et qui a fait long feu avec le retour de la pandémie.
L’idée d’un passeport médical numérique dans l’ASEAN devra faire face à un chemin semé d’embûches. Beaucoup de gouvernements régionaux sont réticents à la divulgation de données personnelles. Ils craignent que ces informations deviennent en effet une source d’utilisation à des fins autres que celles liées à la pandémie.
Les dix pays membres restent par nature extrêmement méfiants les uns envers les autres. Les nationalismes locaux jouent leur rôle, mais pas seulement. L’influence de la Chine sur certains pays de l’ASEAN est un autre élément à prendre en considération. Au cours de la dernière décennie, Cambodge et Laos sont devenus de fait des « chevaux de Troie » chinois au sein de l’ASEAN, à grands coups de crédits etd’ infrastructures. Ce qui permet aux dirigeants chinois d’infléchir régulièrement les décisions de l’ASEAN.
La proposition des ministres pourrait donc ne jamais se concrétiser, faute de consensus. A moins que l’ASEAN ne produise un document similaire au futur certificat digital vert de l’UE. Le document européen pourrait en effet servir de base à son homologue asiatique, notamment pour la confidentialité des données. Un tel certificat pourrait d’ailleurs être élargi aux voyageurs extra-ASEAN vaccinés pour qu’ils puissent de nouveau se déplacer au sein des pays membres.
En attendant, l’ouverture des frontières dans la région se fait étape après étape. Mais en ordre dispersé. La Thaïlande et l’Indonésie ont annoncé une réouverture progressive aux visiteurs internationaux avec des contraintes sanitaires allégées, voire même supprimées. L’Indonésie veut par exemple autoriser les visiteurs internationaux à Bali en juillet, et la Thaïlande souhaite faire de même à Phuket à la même date. D’autres destinations suivraient d’ici l’automne.
De son côté, Singapour a décidé d’accueillir de nouveau des événements MICE de plus grande envergure à partir du 27 avril prochain. C’est un premier pas même si la Cité-Etat estime que le tourisme international va rester à des niveaux bas en 2021. Une prédiction plus que réaliste…